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À Mayotte, Kayamba réduit l’écart entre musiques traditionnelles et électroniques

Sur ce département français de 376 km² situé dans l’océan Indien, un événement sonore marque les esprits, chaque été depuis deux ans. Le temps d’une chaude soirée, un melting pot artistique et plus de 500 personnes se donnent rendez-vous et font battre le cœur de l’île. Tout un symbole. Les organisateurs qui se cachent derrière Kayamba ont bien l’intention de développer leur concept qui invite au rassemblement, à la curiosité et à la danse. Retour en été.

Mayotte, son histoire difficile, son image écornée, son potentiel inexploité. Quand on habite sur cette île, la vie quotidienne provoque pour beaucoup des sentiments contradictoires : à l’enthousiasme, au plaisir et à la surprise viennent se mêler lassitude, déception, tristesse. Lorsqu’on se penche plus précisément sur la scène musicale à Mayotte, le constat est semblable, un mélange qui produit une sorte d’insatisfaction inavouée mais bien présente. Pourtant, au fil du temps, on sent bien que globalement et musicalement le territoire s’agite, bouillonne et que des émulsions sont en cours, laissant présager que le meilleur est à venir. Des petits épisodes sismiques comme l’a vécu l’île pendant de longs mois au quotidien, et comme l’association à l’origine de Kayamba tente de provoquer.

Qu’est-ce-que propose Mayotte au niveau musical ? De multiples choses pour un si petit territoire pourrait-on se dire. Des artistes réputés de l’île de
musique traditionnelle qui réalisent plusieurs dates dans l’année. Des artistes plus (re)connu·es, qui bénéficient parfois d’un statut professionnel, originaires de Mayotte ou des îles voisines (Madagascar, Comores, etc.) et qui viennent réaliser des tournées à Mayotte. Deux sound systems reggae/dub et électro) qui tournent régulièrement sur toute l’île. Des concerts en format showcase de stars internationales.

En termes de festival, seul le Milatsika, bien ancré dans le paysage musical mahorais depuis une dizaine d’années, parvient à se démarquer, au niveau en terme de l’orga, de du plateau artistique et de la plus-value pour le territoire et les artistes. Mais forcément, lorsqu’on est un·e grand·e consommateur·trice de musiques, concerts, festivals, que l’on arrive sur une île située au carrefour des richesses musicale et culturelle (Afrique du Sud, Maurice, Madagascar, Afrique de l’Est, La Réunion, etc.), que l’on a la chance d’être un département français et une fois que l’on a fait le tour des initiatives, se pose la question de savoir pourquoi est-ce-que les ambitions ne vont pas plus loin encore ?

L’expression dit qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, c’est donc ce que s’est mis en tête le collectif Kayamba depuis environ deux ans maintenant. Les personnes derrière ce projet se réunissent chaque semaine, échangent, travaillent, discutent, dans l’idée de bouleverser la vie musicale à Mayotte. Avec comme idée originelle de créer un festival qui tord les idées reçues, notamment sur les musiques électroniques où le territoire a bien 20 ans de retard si on le compare à La Réunion, l’autre département français de l’océan Indien. Un festival qui ouvrirait ses portes aussi bien à des artistes locaux·ales qu’internationaux·ales, qui mettrait en avant les initiatives artistiques du territoire, qui permette de faire reconnaître Mayotte à sa plus juste valeur.

Septembre 2018. Le petit groupe décide donc de plonger dans le grand bain (et surtout de mettre la main à la poche puisque tout l’investissement initial provient de fonds personnels) et d’organiser sa première soirée : Kayamba Moja (« un » en shimaore). Le concept est simple : organiser une soirée concerts avec plusieurs artistes et faire le pont entre musiques électroniques et musiques traditionnelles : un·e artiste local·e, un·e artiste régional·e et un·e artiste international·e. L’artiste international·e est invité à rester une semaine entière sur l’île pour s’investir sur le territoire (auprès de jeunes et/ou artistes locaux·ales avec des ateliers de découverte en classe, masterclasses, conférence à l’université, etc.).

Ainsi, pour Kayamba Moja, le producteur canadien Poirier a partagé la scène avec le local de l’étape, DJ Elyas, et les Réunionnais Sauvage Sound System. Poirier est arrivé à Mayotte plusieurs jours avant la soirée. Durant son séjour, il travaille avec des élèves de collège qui ont réinterprété l’un de ses titres, réalise un dj set dans un bar de l’île, effectue un passage en radio (entendre le merveilleux titre « Sowia » sur les ondes mahoraises fût une belle satisfaction), donne une conférence à l’université (sur le thème suivant : « Comment vivre de son art ? », un enjeu culturel actuel très fort à Mayotte). Le jour J tant attendu du concert, l’ambiance est aux visages illuminés, à la bonne humeur, à la danse. On revoit encore la tête du secrétaire de l’asso Younès quand on lui annonce que, oui oui, il y a 50 personnes devant qui font la queue là. L’atmosphère est tellement à la fête que la Croix Rouge se laisse même aller à quelques pas de danse.

Juin 2019. Qui dit Kayamba Moja dit Kayamba Mbili (« deux » en shimaore). Pour sa première édition, la petite équipe a réussi à rentrer pile poil dans ses frais : pas d’argent gagné, mais pas de perte non plus. Et puis, elle a eu l’heureuse nouvelle de recevoir quelques mois plus tard une subvention du Conseil départemental de Mayotte : de quoi élever les ambitions pour sa deuxième édition, Kayamba Mbili. Alors le plateau artistique s’étoffe. Cinq artistes confirment leur venue : le groupe Faya Red qui joue à domicile, le tout frais collectif Tropika Delika qui a en quelques mois su apporter un vent de fraîcheur dans les nuits mahoraises avec leurs sets aux sonorités électropicales, Loya avec ses rythmes de l’océan Indien, le duo réunionnais Do Moon et les électriques Pouvoir Magique. Là encore, l’édition prend une dimension pédagogique avec Loya qui reste deux semaines sur l’île afin d’animer un atelier mêlant création musicale et environnement avec des élèves de 5e : les élèves récoltent différents déchets et les transforment en instruments. Puis, ils apprennent rythmes, chants et musiques pour un concert final devant d’autres classes. Le résultat ? Bluffant. Loya s’investit alors également auprès de groupes de Mayotte : une résidence est organisée entre Loya, Faya Red et Sarera. Celle-ci a permis des échanges verbaux et musicaux aboutissant à la réalisation d’un morceau improvisé en live entre Faya Red et Loya lors de la soirée du festival. Un aboutissement et un moment magique pour les organisateurs qui défendent le mélange des cultures et l’apport de la musique électronique pour la préservation des musiques traditionnelles.

Il se passe de belles choses à Mayotte, et l’association risque bien de surprendre à nouveau en juin 2020. En espérant également que leur projet soit entendu et pris en compte par les différentes institutions. La culture ne gagnant pas à être conservatrice, elle comprend parfois qu’elle se nourrit de ses perpétuelles évolutions. Kayamba l’a bien compris.

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