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Dans le cosmos electro du label Nocta Numerica

Nocta Numerica Records entame la rentrée avec son vingtième vinyle. Depuis le lancement de son label en 2015, le Parisien Charles Veilletet a composé une belle collection de disques représentant le son qui le passionne depuis sa découverte de Legowelt. Il s’agit d’un courant de niche des musiques électroniques qu’on peut en gros situer entre l’electro et la braindance ou l’electronica, selon comme on préférera nommer ces exemples de musiques électroniques synthétiques, parfois appelées Intelligent Dance Music (IDM), à mi-chemin entre la musique qu’on danse et celle qu’on écoute. Son catalogue dessine une cartographie européenne d’une galaxie riche se développant à l’ombre des scènes house, techno et trance plus populaires.

Nocta Numerica Records célébrait ce mois de septembre sa 20e sortie vinyle, Ocean Acidification, du Britannique Zobol. Un bel exemple du son si particulier de ce label, celui cher aux oreilles de son fondateur, Charles Veilletet. Bordelais désormais installé à Paris, il compose depuis 2015, avec une cohérence artistique impeccable, sa collection précieuse de disques qui explore une galaxie musicale discrète : l’electro, dans son acception désignant le style d’origine né à Detroit dans les années 1980, diminutif d’electronic funk.

Discret, car moins centré sur le dancefloor que la house, la techno et la trance qui se font désormais leur place à l’affiche des festivals généralistes, l’electro n’en est pas moins vivace et protéiforme. Proche du hip hop à l’origine, il se teinte dans ses manifestations actuelles d’acid, de synthwave, d’italo disco ou d’EBM. Il peut aussi bien tendre vers le cosmique mélodieux des synthés de films de science-fiction, que marquer plus frontalement le break sous l’influence de la scène britannique. Nocta Numerica Records participe à sa mesure au nouvel essor de ce courant musical, au même titre que des labels comme Casa Voyager au Maroc, Noise To Meet You en Espagne, ou encore Electronic Consortium, en France également.

Dans les oreilles de Charles

Âgé aujourd’hui de 34 ans, Charles Veilletet, mélomane depuis toujours, est passé par différents styles : le rap, le reggae, la disco et l’italo avant de découvrir les musiques électroniques à proprement parler grâce à Intergalactic FM (alors appelée CBS). Webradio hollandaise fondée par le DJ et producteur I-F, elle a rassemblé toute une communauté autour de la musique acid, de l’italo disco et de l’electro, parmi lesquels des artistes comme David Vunk ou Legowelt.  « C’est par Legowelt que tout a débuté », raconte Charles.  « Je me suis pris de passion pour sa musique, j’ai commencé à chercher autour de lui, à gratter. D’ailleurs, mon label aujourd’hui a une sonorité proche de CBS », continue-t-il.

Charles a aussi vécu à Glasgow une année importante dans son parcours musical. « On était parti avec des amis pour faire la fête. J’y ai fait beaucoup de rencontres, des soirées incroyables, et j’ai découvert un son. Le son que je connaissais déjà de CBS, je l’ai retrouvé là-bas, mais avec des influences écossaises, une espèce de mélange entre Legowelt et la scène UK », relate-t-il. Ces deux scènes, hollandaise et britannique, sont encore les principales sources d’inspiration de Charles, celles qu’il cherche à faire découvrir désormais dans son label.

De la passion à l’action

Car après pas mal de temps à mixer et à écumer la nuit numérique, Charles Veilletet décide de passer à autre chose, tout en restant dans la musique. « J’ai toujours rêvé d’avoir un label. Je n’avais pas le talent pour être musicien, mais je voulais aider les personnes qui l’ont », confie-t-il. Charles se lance dans l’aventure en solitaire. Il peut toutefois remercier sa mère, éditrice de métier, qui lui souffle le nom si poétique de son label, Nocta Numerica. Un passage par une langue ancienne, le latin, et une jolie figure de style, pour désigner une musique toute actuelle qui travestit par ses sonorités électroniques le silence de la nuit.

S’il opère seul à la direction de Nocta Numerica, Charles a su peu à peu s’entourer de collaborateurs fidèles. « J’aime bien travailler avec les mêmes personnes pour le visuel ou le traitement du son. Ça participe à l’identité du label », affirme-t-il. Depuis la deuxième sortie, le mastering des morceaux est confié à l’Italien Marco Antonio Spaventi, réputé pour son travail impeccable sur vinyle. Humangigz, graphiste, mais aussi DJ cofondateur des Yeux Orange, réalise les 10 premières pochettes de Nocta Numerica. Lui succède Christophe Le Gall, également musicien signé à plusieurs reprises sur le label sous l’alias Too Smooth Christ et avec son duo Glass Figure. Autre artiste récurrent au catalogue, Voiron, auteur de deux splendides EP pour Nocta Numerica en 2016 et 2018.

De la musique avant toute chose

Dès sa première sortie en juin 2015, Nocta Numerica se spécialise dans la publication d’EP en vinyle. Pour le moment, un seul album figure au catalogue, Angels And Voices, le premier long format du prolifique Too Smooth Christ, paru en 2017. « ​​Je trouve qu’un EP, c’est le minimum. Et j’aimerais bien sortir plus d’albums, parce que j’ai envie de laisser à l’artiste la possibilité de s’exprimer vraiment. L’idée de Nocta Numerica, c’est place à la musique, aux artistes », résume Charles Veilletet.

Toujours dans cet esprit, la direction de Charles se limite à inviter des artistes et à sélectionner les morceaux le cas échéant. « Je m’adresse à des artistes que j’aime beaucoup et à qui je fais complètement confiance. Il y a quelques sorties qui viennent de démos reçues, mais de gens que je connaissais déjà pour la plupart », explique-t-il. Et de préciser, « je ne demande jamais de retoucher des morceaux, d’ailleurs ça ne m’arrive jamais de ne vraiment pas aimer ce que je reçois. »

Libre et heureux dans la niche

Fonctionnant au coup de cœur, Charles ne prend pas vraiment en compte la notoriété des artistes qu’il invite à produire pour Nocta Numerica. Il faut être déjà versé dans cet univers musical pour reconnaître des noms au catalogue, hormis peut-être Voiron et Fasme qui ont bien tourné dans les clubs et festivals français ces dernières années. Label de connaisseur donc, de niche, comme dit l’expression consacrée.  « Quelqu’un comme Cignol a déjà sa fanbase. PQ17, c’était un pari. C’est le seul exemple de morceaux que j’ai reçus d’un producteur que je ne connaissais pas, un Russe. J’ai vraiment adoré, j’ai voulu tenter le coup », raconte Charles.

Figure d’amateur passionné, Charles se soucie peu des retombées économiques de ses sorties. « L’objectif de Nocta Numerica, c’est de faire des disques qui plaisent, et qui marchent suffisamment pour continuer. En espérant que des gens suivent et restent en contact avec le label », affirme-t-il. Car ce qui compte dans les courants artistiques de niche, c’est cette petite communauté d’adeptes, la fanbase, qui malgré son nombre réduit face à la foule du grand public, fait vivre par son investissement émotionnel d’abord, financier ensuite, les artistes et labels qui lui sont chers. « Même si ça reste modeste, underground, j’aime bien l’idée d’être suivi par les mêmes personnes, de leur faire découvrir des artistes parce qu’elles ont aimé la sortie précédente. Régulièrement sur Bandcamp, des gens achètent 15 morceaux de 10-15 sorties différentes. Ça me fait toujours hyper plaisir, je me dis que quelqu’un est vraiment venu piocher dans le label », ajoute Charles.

L’Europe electro

Au fil des disques, Charles a rassemblé sur son label une communauté d’artistes participant à un même mouvement d’exploration de la galaxie electro actuelle. L’unique compilation Nocta Numerica, la cinquième sortie, est d’ailleurs baptisée Nouvelle Garde, « dans l’idée de rassembler des artistes que j’apprécie autour d’une cohérence musicale », précise Charles. Une nouvelle garde française d’abord, mais le label s’ouvre à la scène européenne à partir de la septième sortie, signée du Hollandais Machinegewehr, et dessine, de l’Irlande de Cignol à la Russie de PQ17, l’Italie de Teslasonic et la Belgique d’Innershades, une cartographie européenne du renouveau de l’electro.

L’Europe electro, telle qu’elle apparaît dans le catalogue de Nocta Numerica, s’abreuve des différents courants de musiques électroniques qui ont pris leur source sur le vieux continent, l’italo disco, la new wave, l’EBM, l’IDM (Intelligent Dance Music), le breakbeat, l’ambient. Elle garde toutefois des États-Unis les rythmiques electro de base, la référence récurrente à l’univers sonore des films de science-fiction et un goût prononcé pour les mélodies acid.

Par-delà cette variété, s’esquisse comme une ligne claire dans la nuit numérique. Charles avoue une prédilection pour la musique acid mélodique, comme en témoignent les dernières sorties de Fasme, Too Smooth Christ, Cignol et Zobol. « J’aime bien les morceaux acid, quand c’est mélodique, mélancolique, quand c’est beau quoi… », commente Charles. Des morceaux aussi précieux que “A48 Direction Voiron” ou “Carte Sim” réduisent le kick au minimum pour laisser chanter de sa voix la plus cristalline un synthé soliste.

En résumé, Charles Veilletet est surtout un collectionneur qui s’offre le privilège de faire produire lui-même les pièces de sa collection, en diffusant la musique et les artistes qui le passionnent, une niche pleine de merveilles. En atteste la compilation rétrospective que Nocta Numerica publiait en juin 2021, une synthèse des 20 premiers disques du label en 20 morceaux, comprenant également un single du 20e opus Nocta Numerica, signé Zobol et paru en septembre 2021. Dans sa boulimie de collectionneur, Charles Veilletet se voit bien sortir au moins une vingtaine de disques encore, et rêve de signer les artistes qui lui ont fait découvrir le genre, Legowelt, DMX Crew ou Ceephax Acid Crew. Désormais accompagné par l’éditeur Underscope pour la distribution digitale, il envisage également de lancer Nocta Numerica dans l’événementiel. L’electro s’apprêterait-il à sortir de la niche ?

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