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Ce que ta voix dit de moi

Notre perception de la voix de l’autre s’avère extrêmement révélatrice de notre manière de penser, de notre parcours, et même de notre situation géographique. « Voix d’homme viril », « voix de noir »… Entre inconscient, fantasmes et idées toutes faites, et with a little help from la science, on a essayé de comprendre ce qui faisait de nous les auditeurs et auditrices de musique que nous sommes.

« Il est doux de se laisser persuader par une voix que l’on aime ». Cette citation n’est pas de nous. Elle est d’Alexandre Dumas fils, dans La Dame aux Camélias. Écouter de la musique, c’est ouvrir notre cœur à la voix d’un·e inconnu·e. Chaque jour, ce sont des dizaines de voix qui nous parviennent, parfois peu, parfois pas du tout identifiées. A nous de deviner, de croire entendre ceci, de savoir reconnaître cela.

Allô, Docteur

Commençons par le commencement, la voix, c’est quoi ? C’est l’ensemble des sons produits par les vibrations des cordes vocales et modifiés par les cavités de résonance sus-jacentes (source : Dictionnaire de l’Académie de Médecine – 2021). Pour vulgariser un peu, nos cordes vocales, qui sont des organes musculaires, se touchent au passage de l’air produit par les poumons et le larynx, et tout ça crée une vibration harmonique, la voix. Un appareil phonatoire, c’est-à-dire les organes de la parole et les muscles qui les actionnent, non seulement on en a tou·te·s un, mais chacun·e a le sien. Propre, spécifique, distinct. Un peu comme l’ADN. Ce qui rend chaque voix unique. Bien sûr, unique ne veut pas dire sans aucun point commun, et c’est là que ça se complique, avec l’entrée en jeu, chaussés de leurs gros sabots, des stéréotypes, que l’on pourrait définir par nos croyances, bien souvent pas du tout vérifiées mais solidement ancrées et bien réductrices, sur les caractéristiques que l’on pense pouvoir/devoir attribuer à tel ou tel groupe : hommes/femmes, noirs/blancs, jeunes/vieux, etc.

L’explication tient en un mot : la perception. Encore un peu de science, promis c’est pour votre bien. Ce mécanisme, tel qu’il est expliqué par Michèle Castellengo, Directrice de Recherche au CNRS et spécialiste de la perception des sons musicaux, dans l’article « Perception de la voix chantée » (Ecole d’été Science et Voix Chantée – Giens – 2009) comporte 3 étapes : la réception (via l’oreille), la transmission (via les voies acoustiques), et enfin le traitement des données sensorielles (via les centres supérieurs). C’est cette 3e marche qui voit arriver les codes sociaux, culturels et l’affect. La perception entraîne la catégorisation, c’est-à-dire ce qui donne du sens à ce que l’on entend. L’écoute d’une voix chantée nous impacte au niveau perceptif et émotionnel à la fois, ce qui amène Michèle Castellengo à affirmer que « l’étude de la voix humaine est indissociable de celle du réseau de communication entre humains ». Selon elle, la voix chantée est une production culturelle, et il n’y a rien d’universel.

« Koba LaD, cette signature vocale, presque une voix de cartoon, ça ne ressemble à personne d’autre », Jean-Baptiste Audibert

Si le constat scientifique est le même pour la parole et pour le chant, on serait en droit de s’attendre à une plus grande tolérance, et à moins de préjugés dans le domaine artistique. Soit. Mais qu’on le veuille ou non, consciemment ou pas, les stéréotypes ont la vie dure.

Le monde merveilleux des stéréotypes

Parmi les plus répandus, celui de genre. Aron Arnold, Docteur en Sciences du Langage et auteur de la thèse La voix genrée, entre idéologies et pratiques, revient longuement dans son travail sur la notion d’idéologie de genre, c’est-à-dire l’ensemble des croyances qui permettent aux personnes de se situer dans l’ordre des genres et d’y situer les autres. Pour faire simple, au moment de catégoriser une voix entendue à l’aveugle, on se sert des adjectifs, qualités, défauts traditionnellement attachés au genre masculin ou féminin et on les applique. Une sorte de grille de lecture, mais dont la fiabilité est toute relative.

« Derrick Green, chanteur du groupe de metal Sepultura, est un grand black, et à aucun moment tu te dis : haaaa quelle belle voix soul », Luc Frelon

Sonia Alvarez, chanteuse et coach vocale, confirme que le domaine du chant n’est pas épargné : « Évidemment les stéréotypes continuent à perdurer, il faut que les voix d’hommes soient graves et épaisses, que les voix de jeunes premiers soient aiguës, pareil pour les jeunes premières d’ailleurs. Et les voix d’alto comme la mienne continuent à inspirer des rôles de méchantes ou de femme mûre. » Fort heureusement, des femmes qui chantent dans les graves, il y en a, des hommes qui chantent en voix de tête, aussi. De Cesaria Evora à Philippe Jaroussky, de Jimmy Sommerville à Jeanne Moreau, la confusion est possible, le trouble est fréquent. On est là, confortables, bien au chaud avec nos certitudes, et paf, on met un visage sur une voix et on n’y comprend plus rien. Jean-Baptiste Audibert, programmateur musical et directeur adjoint de la programmation musicale France Inter, est plutôt client de ce qui sort des clous, et nous a aussi parlé de « James Blake, cette voix très haute, presque une voix d’ange, qui ne correspond pas au physique auquel on s’attend, l’équilibre avec la musique qu’il produit, il y a une espèce de magie. Et chez les rappeurs, Koba LaD, cette signature vocale, presque une voix de cartoon, ça ne ressemble à personne d’autre. »

L’origine ethnique des artistes se heurte aussi à pas mal de clichés. Les fameuses « voix de blacks ». Là encore, débrouillez-vous avec ça. Bien sûr, on voit l’idée : la voix chaude, la voix qui groove. Celle de George Benson, celle de Stevie Wonder, celle d’Aretha Franklin. On va le dire une bonne fois, et sans aucune ambiguïté : la couleur de la peau n’a aucune influence sur l’appareil phonatoire. Ça n’est pas notre opinion, c’est un fait. Donc les voix noires, c’est un concept bien commode, peut-être, un raccourci limite raciste – on se le demandera dans quelques lignes – mais scientifiquement, ça n’existe pas. Parfois, les clichés peuvent se cumuler, et là attention les poncifs sont alignés comme des planètes. Barry White, par exemple, fait un strike : il a une voix d’homme noir. Il est l’archétype de la masculinité, celle des hommes à la voix rassurante et protectrice, et particulièrement celle des hommes noirs qui, comme on le sait, ont une grande… virilité. On touche ici ce qu’on appelle en langage pas du tout scientifique (avouez que ça fait du bien) le fond du fond.

On s’est tou·te·s déjà complètement planté·e·s sur le genre, l’origine ethnique, l’âge, le physique qu’on avait imaginé au premier abord. Essayez de vous souvenir. La première fois que vous avez entendu Amy Winehouse, pour vous, elle était blanche ? Elle était maigrichonne et tatouée de la choucroute aux talons de 18 ? Et Asaf Avidan, dans votre tête, c’était un homme ou c’était la fille de Janis Joplin ? Non, vraiment, y a plus de saison. Et tant mieux, non ? On écoute de la musique. Ça vit, ça bouge, ça surprend, ça pique, c’est pour ça qu’on est là. Luc Frelon, programmateur musical et animateur sur FIP, nous rappelle d’ailleurs très justement que Derrick Green, chanteur du groupe de metal Sepultura, est « un grand black, et à aucun moment tu te dis ‘haaaa quelle belle voix soul et que Janis Joplin, c’est soul mais c’est une petite blanche à lunettes qui avait été élue garçon le plus moche du lycée (…) Quand tu arrêtes les musiques formatées, tu acceptes de te faire surprendre, et ça va te toucher direct à l’âme. »

« Je peux vous dire, en écoutant un enregistrement, de quelle école sort le chanteur ou la chanteuse ! C’est évidemment absurde. », Sonia Alvarez

Les styles de musique eux-mêmes sont très codés culturellement et socialement. Pour revenir à l’idéologie du genre, si une femme « doit » avoir une voix aigüe, parce que ça fait partie des codes occidentaux de la féminité, il sera sans doute plus facilement admis qu’une rappeuse ait une voix grave et une allure que l’ont pourrait qualifier, là encore en suivant des schémas pas forcément au point, de masculine. Tout ça parce que la musique dite urbaine a elle aussi – il n’y a pas de raison – généré pas mal de lieux communs, notamment ce côté un peu rugueux, et une certaine absence d’élégance. C’est con ? Oui. C’est la réalité ? Aussi.

Sonia Alvarez nous a donné un autre exemple : « Dans certains milieux, comme celui de la comédie musicale, les rôles continuent à être écrits de cette manière (ndlr : voix graves pour ces messieurs, aiguës pour les jeunes filles), même à notre époque. Donc les écoles de comédies musicales lissent les voix pour qu’elles se ressemblent toutes. Je peux vous dire, en écoutant un enregistrement, de quelle école sort le chanteur ou la chanteuse ! C’est évidemment absurde. Dans ma façon de coacher, j’essaye de cultiver les différences, et de ne surtout pas rendre les voix ressemblantes et communes. »

Xavier Jolly, ancien directeur d’artistique d’Europe 1, nous avoue se ficher un peu de tout ça. « Ce qu’on recherche, c’est des voix singulières. J’ai beaucoup défendu Christine and the Queens, qui a une voix singulière, qui joue beaucoup sur l’androgynie. On peut aussi citer Christophe. Au-delà des races, des langues, ce qui compte dans une voix c’est ce que vous mettez dedans. En tant que programmateur musical, c’est ce que je recherche au-delà des questions de genre, de technique. Après, les voix singulières, forcément c’est clivant, et puis la musique c’est épidermique, il y a un côté j’aime/j’aime pas. Dès que c’est une voix typée ça clive, beaucoup plus qu’une voix mainstream. Les vrais rejets, c’est sur ce qu’un artiste véhicule, dont la voix fait partie, mais pas seulement. Si je prends le cas de Bilal Hassani, il y a sa voix, et aussi toute une imagerie, une revendication qui peuvent exaspérer surtout sur un media très généraliste comme Europe 1. »

Préjugés, les origines

On peut légitimement se poser la question : d’où ils viennent, ces stéréotypes ? Quelle diablerie nous fait-elle enfiler les banalités comme des perles ?

D’une manière générale, la naissance des préjugés, quels qu’ils soient, se situe dans un contexte de domination et/ou d’exploitation d’un groupe par un autre, de l’ignorance des caractéristiques réelles et objectives du groupe discriminé, ainsi que d’un bon gros complexe de supériorité, bien souvent dû à une interprétation assez ridicule de données scientifiques (c’est particulièrement vrai en ce qui concerne les préjugés raciaux). Mais les stéréotypes viennent aussi de notre expérience sociale, notamment de l’imitation que l’on fait, enfants, de notre environnement (adultes, médias). Ce phénomène perdure d’ailleurs avec l’âge, mais plutôt sous la forme d’une certaine pression sociale, et de la difficulté d’oser penser et d’agir hors du groupe et/ou de la pensée dominante.

Les recherches d’Eugène S. Morton, publiées dans le numéro de septembre-octobre 1977 de The American Naturalist, nous donnent une piste surprenante. Ce zoologiste a constaté que chez de nombreuses espèces animales les vocalisations à fréquences basses étaient utilisées pour menacer et faire fuir l’adversaire alors que celles à fréquences aiguës traduisaient la soumission. Il n’en fallait pas plus pour que son éminent confrère JJ Ohala, Professeur émérite de linguistique à l’Université de Californie à Berkeley, émette quelques années plus tard l’hypothèse que cette répartition a fait son chemin dans nos petites têtes et dans nos pratiques de langage et explique l’association voix basses/masculines et autorité et voix hautes/féminines et soumission. Certes, ce n’est qu’une théorie.

Toujours est-il que les caractéristiques dites féminines, exprimées notamment par la voix, se voient souvent accoler une connotation négative voire dévalorisante : timidité, manque de confiance en soi, et bien sûr notre préférée, l’hystérie ! L’inverse, on peut le remarquer, n’est pas vrai. Une voix hyper grave pourra à la rigueur être considérée comme un peu caricaturale, mais rien n’est jamais trop mâle. Tout ça pourrait expliquer deux choses : que les hommes cherchent à gommer les intonations féminines dans leurs voix (situation également explicable par le délicieux raccourci : homme à la voix féminine = homosexualité), et que les femmes, elles, baissent parfois leur voix, notamment dans la sphère professionnelle, pour gagner en autorité, en respectabilité, en crédibilité. Cela avait été notamment le cas de Margaret Thatcher. On notera également qu’historiquement, en médecine, le corps de base est celui de l’homme, celui de la femme étant à part, inférieur, et notamment qualifié d’ « instable ». Ainsi l’appareil phonatoire est représenté sous sa forme masculine dans les manuels, notamment au niveau de ses dimensions anatomiques.

Mais revenons à nos chansons. Plus ou moins consciemment, on leur applique donc des codes sociaux et culturels et cette petite tambouille débouche sur une perception qui risque de se trouver un peu biaisée, la nature étant bien plus complexe que tous les stéréotypes, merci à elle. On constate même une différence de perception entre l’Europe et d’autres régions du Monde. Ainsi, ce que l’on considèrera en France ou en Allemagne comme caractéristiques d’une voix féminine, notamment un timbre haut, ne se vérifiera pas sur le continent africain ou en Asie, où les stéréotypes existent aussi, il n’y a pas de raison, mais sont différents. Ce point est également développé dans les travaux d’Aron Arnold, qui cite en exemple une certaine région de la Chine, où le dialecte wu est parlé, et où la différence entre les hauteurs acoustiques des voix des hommes et des femmes est bien plus faible qu’en Europe. Les seuls critères anatomiques, comme par exemple la taille du larynx, ne pouvant suffire à l’expliquer, il en conclut que c’est le résultat de pratiques culturelles phonatoires, autrement dit des techniques articulatoires, plus ou moins conscientes, par lesquelles les hommes et les femmes modulent leurs voix pour se conformer aux stéréotypes en vigueur dans l’environnement où ils évoluent.

Dis-moi qui tu entends, je te dirai qui tu es

A ce stade, on s’interroge très fortement. Aussi ouvert·e·s d’esprit qu’on puisse se considérer, les faits sont là, et notre interprétation immédiate et spontanée des voix chantées pour immédiatement les ranger dans des petites cases en dit sans doute plus sur nous-mêmes que sur les voix en question. Des clichés au racisme, des stéréotypes à la discrimination, n’y aurait-il qu’un pas ? Dire qu’une voix de noir·e c’est une voix qui groove, n’est-ce pas dire, un peu, un peu beaucoup, que les noir·e·s ont le rythme dans la peau ? Conclure qu’un chanteur à la voix aigüe est efféminé, ça sous-entend quoi, sinon qu’il est moins viril, et donc moins crédible en tant qu’homme ?

« Quand l’autotune a été généralisé par toute une partie du rap français et de la pop urbaine que ça a suscité un rejet. Moi ça m’interroge. », Jean-Baptiste Audibert

Jean-Baptiste Audibert nous a raconté certaines réactions qui peuvent en dire long. « Les accents sont très marquants, c’est beaucoup des schémas préconçus qu’ont les gens. Un accent de quartier populaire, parisien, marseillais, il y a des gens que ça dérange, ça peut jouer en leur défaveur. On peut avoir des retours sur certains artistes qui ont une certaine façon de s’exprimer, un certain type de vocabulaire. Je sais pas si c’est tant la voix elle-même ou ce qu’elle véhicule. Mais ça peut être une façon de revendiquer ses origines, quand on voit Sleaford Mods ou le rappeur Slowthai, on voit bien qu’il n’y a aucune volonté de gommer quoi que ce soit. »

Et de continuer : « Je prends aussi l’exemple des musiques urbaines et de l’autotune. On sent un certain rejet, un peu épidermique. Or c’est un outil que j’ai découvert par le biais du funk, George Clinton, ça a été récupéré par tout le rap de la Côte Ouest, c’était plutôt tendance, pas du tout négatif, les Daft Punk en ont fait un élément signature, on l’a beaucoup entendu aussi dans le reggae jamaïcain. Mais c’est quand il a été généralisé par toute une partie du rap français et de la pop urbaine que ça a suscité un rejet. Moi ça m’interroge. Est-ce que les gens en ont vraiment marre d’entendre ce truc-là ? Ou est-ce que c’est ce que ces musiques peuvent véhiculer dans la perception qu’en ont les gens ? Je pencherais plutôt pour ça et ça me tracasse. On voit des messages d’auditeurs : « pourquoi toujours une voix trafiquée ? » Mais pourquoi une guitare trafiquée, un son de batterie trafiqué ? Depuis quelques temps on a entré un titre d’Aya Nakamura dans la playlist générale et on a des retours, pareil, pourquoi cette voix trafiquée. Je trouve ça très surprenant car on pourrait se demander plein de choses quand France Inter programme Aya Nakamura, mais non le truc qui revient c’est ça. »

On est donc sur un gros soupçon d’arbre qui cache la forêt.

« Anohni, d’Anthony and the Johnsons, voix masculine qui a évolué vers une voix transgenre, aujourd’hui féminine. Ce genre de voix, pas facilement définissable, correspond à peu de préjugés de genre », Jean-Baptiste Audibert

Tout en soulignant que la question de la présence de réactions discriminatoires dans notre perception de la voix demeure délicate à étudier, dans la mesure où elle ne peut se faire que sous la forme d’études scientifiques encadrées, et non d’observation spontanée, Maria Candea, maîtresse de conférence et chercheuse à l’Université de Paris 3, docteure en linguistique française, cofondatrice de GLAD (revue sur le langage, le genre, la sexualité), et Aron Arnold ont mené en 2017 pour la revue « Langage et société » (numéro 152) une étude sur l’influence des stéréotypes de genre et de race dans la perception de la voix. L’une de leurs observations s’avère assez surprenante.

En effet, il apparaît que les personnes testées ont absolument voulu se démarquer des stéréotypes raciaux, d’où il a résulté une évaluation globalement meilleure pour les voix des prénoms d’origine maghrébine. Pour preuve, l’e-mail écrit par une participante au sujet d’une voix lui ayant été présentée à l’aveugle mais assortie d’un prénom d’origine arabe : « Durant l’écoute j’ai pensé différentes choses comme : lui il a un accent de banlieue, mais il est pas agressif, c’est sa façon « normale » de parler ». En voulant à tout prix éviter d’employer un vocabulaire offensant, elle se trahit néanmoins par l’expression « mais il n’est pas agressif », qui semblerait démontrer qu’au contraire, l’association d’idées a bien eu lieu.

En revanche, il apparaît que les personnes testées se soient beaucoup moins préoccupées de savoir si elles allaient être considérés comme sexistes, et ont de manière générale jugé les voix graves plus positivement. Est-ce parce qu’ils identifient moins les stéréotypes en tant que tels ? Difficile à dire.

Une chose est sûre, tout ça ne semble pas très réjouissant. En même temps, on se dit qu’on ne peut que progresser. Aron Arnold conclut d’ailleurs sa thèse en soulignant que les liens entre genre et langage vont de pair avec l’évolution du féminisme et la déconstruction des schémas de domination, de soumission, d’autorité. On constate en effet, et en particulier dans le domaine artistique, que les lignes bougent, que même s’il y a encore du travail, des voix un peu en dehors des clous séduisent un large public, et enclenchent le cercle vertueux du changement. Par exemple, l’émergence d’artistes queer ou transgenre, outre la beauté de leur travail, amène petit à petit à une multiplication des genres et à laisser de côté la vision binaire uniquement basée sur le sexe. Jean-Baptiste Audibert nous parle d’un exemple précis : « Je pense à la voix d’Anohni, d’Anthony and the Johnsons, voix masculine qui a évolué vers une voix transgenre et est aujourd’hui féminine. C’est une voix qui marque énormément. Ce genre de voix, pas facilement définissable et qui correspond à peu de préjugés de genre, a un impact particulier. »

Mais ça ne passera pas que par les artistes. Il nous appartient de faire l’effort, d’aller au-delà des idées toutes faites, de nous obliger à éduquer notre esprit autrement, pour qu’un jour on n’aime plus les voix de noirs, de femmes ou de jeunes, mais simplement des chanteurs et des chanteuses, différent·e·s, singulièr·e·s, uniques.

Photo en une : Chanteuse © Richie Lugo

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Najdkima 28.09.2023

Bonjour,

juste par esprit de contradiction (et parce que je me pose des questions, notamment en tant que femme métisse, sur ma propre voix) :

Evidemment que « la couleur de la peau » n’a aucune incidence sur la voix… Elle n’en a pas non plus sur la texture des cheveux, personne n’irait prétendre que c’est la mélanine qui frise les cheveux. Mais ces deux éléments sont pourtant des caractéristiques génétiques qui varient selon l’origine des individus, même si l’un n’est pas la conséquence de l’autre. Et de la même manière que la forme du corps varie en fonction des origines, je ne voix pas pourquoi la physiologie des cordes vocales ne varieraient pas. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’exceptions…

Je me pose juste la question… je n’ai pas du tout la même voix que mes demi-soeurs blanches ou que ma mère (blanche), et je ne peux pas m’empêcher de me demander dans quelle mesure mon ADN joue là dedans…

Après c’est sûr que cela peut être très réducteur et ridicule de préjuger de la voix d’une personne d’après ses origines, ou de vouloir l’enfermer dans une catégorie/genre musical attitré, mais ça c’est une autre histoire.

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Philippe Looten 10.03.2021

Je viens de comprendre énormément de choses grâce à cet article, des choses que j ai découvert auparavant mais d une manière instinctive sans m y être réellement attardé et mettre des mots dessus ! Un grand MERCI !

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