Cinq musiciens, un ingénieur du son et un producteur, place au Cabaret Contemporain. Après quelques années à déclarer son amour aux géants du minimalisme et de l’électronique (John Cage, Terry Riley, Moondog, Kraftwerk) dans des projets hommages collaboratifs avec Etienne Jaumet ou Château Flight, la formation est bien décidée à ce qu’on écoute ses propres compositions. On a rencontré deux de ses membres, Simon Drappier et Fabrizio Rat, pour conjuguer les mots électro et acoustique. On cause du nouvel album, de l’attachement à la danse, d’un remix d’Arnaud Rebotini en écoute, d’improvisations et de techno avec des cordes.
Le Cabaret Contemporain existe depuis bientôt cinq ans. Comment est né le groupe ?
Simon Drappier : Le groupe est né d’une volonté commune d’expérimenter la musique.
Fabrizio Rat : On jouait dans des groupes différents mais on se connaissait tous plus ou moins. Au début on ne savait pas qu’on allait faire ce truc de techno acoustique. On a beaucoup joué, improvisé, cherché. Et l’idée s’est développée.
« Ø [Phase], Donato Dozzy, etc. On adore les mélanges ambient – techno »
Vous êtes connu du grand public pour vos projets hommages à Moondog, John Cage, Kraftwerk ou Terry Riley en collaboration avec d’autres artistes, mais vous avez toujours joué vos morceaux plus personnels en live. Comment se fait-il que cet album soit le premier consacré à votre oeuvre ?
F.R : Le travail sur la musique des autres, c’était un work in progress qui nous a permis de développer un vocabulaire et une syntaxe qu’on peut utiliser dans notre musique et ainsi donner plus de sens à nos compositions musicales. Quand on travaille sur la musique des autres, on est dans la transformation, à la frontière un peu floue entre composition originale, arrangement et reprise. C’est la façon dont tu fais vivre une mélodie qui lui donne tout son intérêt.
S.D : Le disque arrive plus tard car on est un groupe de live. Une fois qu’on a eu un bon live, on s’est demandé comment faire un bon disque. On ne voulait pas simplement mettre le live sur disque. Certains groupes commencent par enregistrer de la musique pour ensuite la tourner, nous on a fait l’inverse.
On sait que vous improvisez beaucoup en live. Comment cela se passe-t-il lorsque vous enregistrez un album ?
F.R : En concert, on cherche toujours à créer de la surprise. On a des grandes lignes, une structure, mais il y a plein de choses possibles. C’est très important de garder ces portes ouvertes pour faire vivre la musique. Parfois, il y a une partie d’un concert ou on ne décide pas l’ordre des morceaux. N’importe qui peut en lancer un. On mélange les morceaux de façon très intéressante. Comme un mix, mais à plusieurs. Il faut être très à l’écoute. Dans le disque, c’est aussi une question de format, c’est plus court. Mais il y a tout de même une partie de ce processus.
S.D : La surprise dont parle Fabrizio, sur ce disque là, a été beaucoup initiée en post-production. Les instruments étaient enregistrés séparément. Mais c’est une méthode. Pour le prochain, on expérimente d’enregistrer en jouant tous ensemble. On verra où ça nous mènera.
Cet album a un côté progressif, presque cosmique, proche de James Holden, Voices from the Lake ou même Boards of Canada. On connait vos influences venues de la musique minimaliste ou répétitive. Quelles sont-elles du côté techno ?
S.D : Tu viens de les citer ! Et puis Détroit, les années 90.
F.R : Aussi, Ø [Phase] ou certains trucs du label Prologue : Donato Dozzy, toutes ces choses-là. On adore les mélanges ambient – techno.
Vous vivez à Paris et il y a un côté naturaliste aux titres de vos chansons : “La biche”, “Map”, “Tea Tree”, “Dune”. La nature vous inspire ?
F.R : On aime beaucoup les animaux !
S.D : Le fait d’être en ville nous fait fantasmer des trucs sur la nature.
Votre musique a quelque chose d’imprévisible d’un point de vue de sa construction. Elle ne suit pas vraiment le schéma “classique” du morceau avec montées, breaks etc. Pensez-vous que cela soit dû à votre background de musicien “classique”, à vos années au CNSM ?
F.R : Non, là, on est dans une musique progressive. Elle est tout le temps en évolution, il n’y a presque jamais de ruptures abruptes. C’est le matériau musical qui appelle ça. Ça pourrait être différent dans notre prochain disque, plus techno, carré, puisqu’on est aussi attiré vers ça.
On imagine que c’est un challenge de faire sonner vos instruments comme des machines. Quelles sont les principales contraintes techniques ? Comment préparez-vous vos instruments ?
S.D : C’est l’ensemble de notre travail. On cherche beaucoup.
F.R : C’est comme quelqu’un qui vient d’acheter un synthétiseur, ou un modulaire, et qui essaie tout sans savoir ce que ça va faire. Nous c’est le même concept avec des objets de la vie. On prend quelque chose, on le met sur les cordes, on voit ce que ça donne. Ça fait longtemps qu’on le fait, donc on commence à connaître certains sons. D’habitude ce sont des choses assez simple, qu’on peut acheter au BHV.
S.D : Oui, le BHV, c’est notre luthier de référence.
F.R : La difficulté technique, c’est surtout le rythme, le tempo. Là, on a des choses à apprendre des machines. Il faut être solide mais en même temps imparfaits.
S.D : C’est là où est le challenge. Trouver un son, c’est aussi intégrer un nouveau geste avec une rigueur technique qui n’est parfois pas évidente. On se retrouve à inverser des rapports de pression. Les sensations sont différentes. Et il faut intégrer ça dans le groove avec l’exigence technique et musicale qu’on a.
« Quand tu dis à un programmateur de festival électro que tu vas venir jouer avec une batterie, deux contrebasses, un piano et une guitare, il te regarde avec de drôles d’yeux. »
Vous composez beaucoup ensemble ?
S.D : Chacun cherche des sons dans son coin, mais il y a toujours une phase où on se retrouve à jouer longuement. Comme une jam session : on teste tous les sons et on voit comment ça s’arrange. On est en général d’accord sur ce qui marche bien.
F.R : Si ça ne marche pas, on se le dit. On peut aussi faire des compositions chez soi, à l’ordinateur ou sur une boîte à rythme. C’est intéressant d’arriver avec et d’essayer de les refaire ensemble avec nos instruments.
Vous prenez un virage un peu plus techno, vous souhaitiez qu’on identifie plus Cabaret Contemporain comme un groupe qui s’écoute en club, dansant ?
S.D : Oui ! Ce truc de danse, on l’a toujours eu. En même temps sur nos autres projets, on s’intéresse à des gens qui n’ont rien à voir avec la danse, le club, etc. C’est quelque chose qu’on a toujours fait sans mettre de projecteur dessus.
F.R : On a un peu subi le fait de n’être associé qu’à nos hommages, des choses “jazz”, alors que notre direction artistique a toujours été techno.
S.D : Nous on est prêts, on sait que ça marche. Après, quand tu dis à un programmateur de festival électro qui est habitué à faire des sets ou des lives avec des synthés que tu vas venir jouer avec une batterie, deux contrebasses, un piano et une guitare, il te regarde avec de drôles d’yeux. Il y a quelque chose à mettre en place. Mais nos envies sont d’aller vers ces milieux-là, où il y a un rapport au public qui nous attire.
Arnaud Rebotini a remixé le titre ”Une des deux”. C’est la première fois qu’un producteur techno remixe l’un de vos morceaux. Comment s’est passée cette collaboration ? Que pensez-vous du résultat ?
S.D : La rencontre avec Arnaud a été assez simple. On a tourné ensemble pendant la saison qui vient de se finir. On connaissait tous sa musique. Il est venu nous voir et a bien aimé la nôtre. On s’est bien entendu avec lui et inversement donc comme on cherchait à faire un remix, on a pensé à lui. Tout est tombé en même temps.
F.R : Ça reste notre musique, mais avec sa patte techno efficace.
Crédit photo de une : Sylvain Gripoix
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