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General Elektriks : « L’indépendance artistique passe par l’indépendance financière »

Incapable de se fixer sur un genre musical, General Elektriks est poursuivi par ce dilemme depuis l’enfance. Le petit Hervé nous confie qu’étant écolier, il adorait autant « La Danse des Canards », les derniers Michael Jackson et Stevie Wonder qui passaient à la radio… que le coffret de vinyles de boogie offert par ses parents. Intrinsèquement, ce centriste de la musique allait fourrer son nez dans plusieurs instruments, même si le clavier prédomine dans son projet. Son concert au Trianon le 31 mars affichant déjà complet, une rencontre fin janvier avant la sortie de son 4e album a permis d’en savoir plus sur cet ancien membre d’un groupe de chanson française. Vous n’êtes pas au bout de vos surprises, le vagabond bohème aime parler et s’épanouit uniquement sur courant alternatif.

Le prends-tu mal lorsqu’un critique ou un proche t’annonce que tes albums se ressemblent ?

Non, je prends ça bien. On ne me le dit pas que ça se ressemble, on me dit que j’ai un son, ce qui est différent… Ceci dit, j’espère que ça se renouvelle un minimum, c’est à toi de me le dire. Ce son ne m’est pas venu du jour au lendemain. Mes albums sont toujours conçus de la même manière : j’essaie des expérimentations. Je fais beaucoup de pistes dans un même morceau, j’en jette et je reviens dessus. Soit je garde, soit j’approfondis. C’est à force de faire ce genre de choses d’album en album que ce son s’est dégagé. Assez rapidement, ce mélange de funk, jazz, pop, électro, hip-hop était présent dès le premier disque. Cet album est né à cheval entre la France et San Francisco, où j’ai déménagé en 1999, et il est sorti en 2003. Je ne me suis pas demandé qui allait l’écouter, je l’ai vu comme un défouloir. Ma famille d’accueil dans la région de San Francisco a été le collectif Quannum Projects, monté par Blackalicious, DJ Shadow, etc. C’est de là que vient l’influence hip-hop, le son s’est ensuite épuré. Pour moi, la musique est un espace de liberté. Je ne voulais que ce disque arrive avec une étiquette claire, qu’une major puisse mettre une étiquette pop, rock, hip-hop, etc. Prendre toute la musique que j’aime en la faisant passer par mon filtre et que ce soit digeste. Mon précédent album avait un son plus organique, plus calme, par exemple.

Le second déménagement, tu l’as effectué il y a 3 ans de San Francisco à Berlin. Est-ce une opportunité de vie ou une volonté de mouvement pour changer ton approche musicale ?

Clairement une opportunité de vie. C’était déjà le cas quand j’ai quitté Paris pour San Francisco. Avec ma femme et notre fille – qui venait de naître – on avait adoré la Californie en vacances, on a donc décidé d’y rester. Enfin, on est revenu 3 mois à Paris avant de s’installer (clin d’oeil). Effectivement, quand t’es artiste, où que tu ailles et quoi que tu fasses, tout ce qui t’entoure finit par t’influencer. Une ville nouvelle t’ouvre forcément les sens sur ton projet musical. Ça s’est vérifié de nouveau à Berlin. Pour te répondre, on voulait revenir en Europe et on a retrouvé à Berlin bizarrement un côté californien. L’espace, la verdure et l’aspect décontracté de cette ville nous ont plu. Les gens ne te jugent pas, tu fais ce que tu veux.

L’hiver doit tout de même te changer de la côte ouest ?

Il n’y a pas que des similarités entre Berlin et San Francisco. Quand t’as passé douze ans d’hiver avec la luminosité de la côte ouest, ce changement a quelque chose de très marquant, voire un peu choquant. Mais c’est comme tout, tu t’y fais.

Ce climat continental semble jouer sur les trois derniers titres de To Be Stranger, qui dégagent une certaine noirceur. On dirait que la fête se finit de façon ténébreuse après 8 premiers titres pêchus.

Un courant plus sombre se révèle sur la fin. Je dirai qu’il est général ce sentiment de noirceur. Il y a aussi un peu de nostalgie.

Tu finis même par ce qui s’apparente à un slow ?

Il y a de cela dans « Waltz #2 ». C’est une valse, une vraie chanson d’amour.

General Elektriks – Whisper to Me


Le jugement est probablement galvaudé par le fan de Phoenix, mais as-tu conscience de chanter plus bas sur « It’s What You Took », comme Thomas Mars sur l’album Alphabetical. On trouve aussi une inspiration à la Air.

Je l’ai pas fait dans ce sens mais il y a peut-être de ça. Si tu l’as senti, tant mieux. Pour moi, il n’y a pas de bonne ou mauvaise analyse d’un morceau. Il y a autant d’analyses possibles que de chansons. Par contre, ce qui est vrai, j’ai cherché à me pousser dans mes retranchements vocalement. J’ai pris plus de risques, notamment sur « You Really Let Me Down ». Mais une fois de plus, je l’ai fait par empirisme ce disque. Je dois avoir 25 morceaux et je n’en garde que certains sur la ligne d’arrivée. Il y a aussi des expériences qui ne marchent pas. Ça dépend aussi de ce qu’il se passe dans ta vie.

Justement, si je te dis que « You Really Let Me Down » dégage une ambiance d’un couple réglant ses comptes dans le hall d’un hôtel chic. L’homme boit un whisky dans un fauteuil club.

C’est pas ça que j’avais en tête, mais je l’ai écrit pour que ça soit écoutable comme une histoire de couple. C’est par rapport à Burning House, le duo que j’ai fait avec Chief Xcel de Blackalicious. J’ai été peiné que les gens du label fassent aussi peu d’efforts pour sa sortie en France. On a eu la sensation qu’ils nous laissent tomber, d’où ce morceau. Un disque, c’est comme un bébé, tu travailles dessus très longtemps. T’attends une vraie relation de confiance avec les gens avec qui tu travailles. C’était blessant. Si j’avais été très clair là-dessus, ça aurait emmerdé tout le monde. J’ai donc ouvert l’écriture de la chanson pour qu’on puisse y voir une relation interpersonnelle, et par là potentiellement amoureuse (sourire). Dans tout ce qui est art, l’œuvre est terminée quand elle est appréciée par l’autre personne.

Grosse surprise que d’apprendre ta présence dans Vercoquin, quintet qui a sorti un album bien barré en 1997 entre rock et chanson française, difficilement identifiable. Quand on voit l’univers des autres membres, notamment Seb Martel ou Thierry, n’étais-tu pas un peu le cheveu sur la soupe de ce groupe ? Tu sembles à mille lieues de cet univers dans la peau de General Elektriks.

Ah, c’est marrant que tu connaisses Vercoquin. En même temps, quand tu regardes le projet, la démarche n’est pas si éloignée puisqu’il y avait un côté funk, un côté rock, un côté pop… C’est donc assez similaire à ce que je fais aujourd’hui. Forcément, vu que je le fais seul, c’est une version très condensée de mon parfum. Quand t’es dans un groupe, c’est le mélange.

Après cet album qui a été un échec commercial, avais-tu justement une sorte de ras-le-bol du compromis imposé intrinsèquement par le fait d’évoluer dans un groupe ?

(silence) Pour moi, Vercoquin était un grand groupe de live, dont la formation définitive a tourné de 1992 à 1997. L’apogée du groupe a été en 1995-1996 à Paris, et le disque est sorti en 1997. A ce moment, on était tous un peu ailleurs dans notre tête. On a voulu faire plaisir à la major, une grosse d’ailleurs [Island chez Universal / ndlr], on leur a peut être trop fait plaisir. Même si c’était notre disque, attention ! En fait, c’était une erreur de mettre Vercoquin en major car le projet était bizarre. Ils ont essayé, ont réalisé que ça ne marchait pas trop et sont passés à autre chose. Le genre d’horreur que t’entends en major, où les mecs placent leur budget selon comment le public réagit. A l’époque, il y avait moins de labels indépendants, puis pour nous c’était le graal d’être signé en major. Comme tu le vois, ça me tenait à cœur (rires).

Je suis sorti un peu aigre de cette expérience. J’ai voulu faire un projet « un peu tout seul dans son coin », pas d’un point de vue créatif mais plus sans demander d’argent à quelqu’un. Cela induisait forcément que je passe par la musique assistée par ordinateur, ce que je ne connaissais pas du tout à l’époque. J’avais lu un interview des Dust Brothers, des producteurs majeurs fin 80’s, début 90’s. Ils disaient avoir produit dans leur appartement Odelay de Beck – qui était un album fondamental pour moi à l’époque – avec un ordi et un micro pourri, un SM57. Le lendemain, j’achetais un ordi et un MS57. Je voyais l’indépendance artistique dans ces achats puisque c’était pour moi l’indépendance financière. Ça a donné naissance à General Elektriks. Je ne savais pas que j’aillais chanter et tout faire. A vrai dire, au début, je faisais des démos au chant mais je pensais que quelqu’un allait mettre sa voix dessus. En prenant sur moi et à force d’écouter les proches, tout le monde me disait d’aller jusqu’au bout pour rester dans la cohérence du projet. Ce qui a été assez douloureux car j’étais pas à l’aise dans cette position. Par la force des choses et l’envie, j’ai réussi cette volonté d’indépendance artistique.

General Elektriks – Angle Boogie

Dans la bio qui accompagne la sortie promo, tu dis « faire exactement ce dont on a envie, sans jamais pratiquer le compromis, commercial ou marketing ». Sincèrement, tu bluffes pas un peu là ? Il y a forcément un minimum de compromis à faire avec Wagram ou un autre interlocuteur. Quel est ton point de rupture et celui que tu concèdes facilement ?

Si si, vraiment ! Il n’y a aucun compromis puisque je suis également producteur. Je paie l’enregistrement du disque et je le donne en licence à Wagram. A partir du moment où je leur présente le disque et qu’ils sont d’accord, on sort le disque tel qu’il est. Ceci dit, ce serait un mensonge si je disais que je pense absolument pas à ce que ça marche un minimum, si ce titre peut passer sur telle ou telle radio… T’es forcé de te poser ce genre de questions, mais j’essaie de chasser ces pensées quand je suis en train de construire le disque. Quand quelque chose est « radio-isable », j’y prête forcément plus d’attention en mettant mon chapeau de réalisateur pour que ça parle aux gens. Mais je te promets ne mettre jamais assis au piano en me disant qu’il fallait que je fasse un tube et que ça marche.

As-tu encore des contacts avec Thierry Stremler (ancien de Vercoquin) car les news se font rares sur sa musique depuis 2011 ? Il a viré exclusivement parolier ou comédien ?

Bien sûr, on est amis. Il continue la musique et travaille sur un nouveau truc. A cet instant précis (le 26 janvier), il est pour deux mois au Brésil. On s’est vu pas mal récemment car il a passé un peu de temps à Berlin ces deux dernières années. C’était super de se retrouver. Depuis mon retour en Europe, c’est plus facile pour voir les proches. Je suis plus souvent à Paris aussi.

Nommer ton album « To Be a Stanger », c’est un choix perso vis-à-vis de tes déménagements ou faut-il y voir une allusion à l’actualité ?

L’actualité m’a rattrapé. J’ai quitté Paris, ma ville natale, en 1999 et ne suis jamais rentré. Mon rapport au fait de partir à l’étranger n’a rien à voir avec ces gens obligés de partir face à la cruauté, qui ne voulaient pas partir d’ailleurs, et qui n’ont plus rien. Moi, c’était une exode bourgeoise que j’ai voulu, par goût aussi. Le résultat des courses, c’est que tu perds un peu tes racines et tu ne te sens pas chez toi là-bas mais que tu te sens aussi un peu chez toi partout. Pour un artiste, c’est pas mal je pense. En tout cas pour moi, j’aime cette sensation de constants petits électrochocs où tu ne vis pas sur tes lauriers, dans ton confort. C’est quoi la question déjà, pour ne pas trop m’éloigner ? Ah oui, je prends du recul sur ma position d’artiste. On ne peut pas se comparer à ce qu’il se passe dans l’actu. C’est vraiment personnel. Il y a quelque chose de gratifiant à composer tout seul dans ta cave avec tes doutes et voir que ça parle à pas de monde un peu partout.

Être seul n’incite pas à la procrastination ? On imagine la logique unitaire d’un groupe, le lieu de rendez-vous pour une répétition, l’effet mobilisateur… Alors qu’en solo, rester au lit un peu plus longtemps et reporter au lendemain semble davantage tentant ?

Je pense que ça peut être le cas chez certaines personnes qui pensent qu’un morceau peut toujours évoluer, qu’il n’est jamais fini… Je ne sais pas exactement pourquoi mais j’ai une petite cloche dans la tête qui me dit que le morceau est fini, qu’il faut le lâcher. Puis, j’ai aussi une éthique de travail. Comment dire ? Je suis juste un musicien, un passionné qui veut simplement faire de la musique tous les jours. Aller tous les jours au studio n’est pas un problème, au contraire. Je ne connais donc pas la procrastination. Par contre, il y a des moments où tu dois prendre un break car tu en as trop dans les oreilles et la tête. Je me souviens d’un morceau du premier album. Juste avant de partir en vacances l’été, j’avais l’impression qu’il n’avait pas d’identité, je m’arrachais les cheveux dessus. Je l’ai réécouté en rentrant de vacances et n’y ai pas touché, il était fini et je ne me rendais plus compte. Il faut faire des breaks, travailler sur autre chose afin de prendre du recul sur tes compositions.

La première écoute est réservée à ta femme ?

Ma femme et mes enfants sont mon premier feedback… Quand j’estime que je suis prêt. J’ai un petit réseau à qui je demande. Ils sont très peu car il faut qu’ils me connaissent très bien pour savoir quoi écouter dans ce qu’ils me disent. Il faut connaître leur goût, savoir les écouter, savoir ne pas les écouter aussi. Je n’aime pas l’idée de vivre en autarcie musicale. Comme je suis solitaire dans l’élaboration, il faut savoir écouter les autres.

Crédit photo : Tim Deussen
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