Certaines choses sont admises en société. Pour le reste, les festivals, les clubs et d’autres événements œuvrent pour vous faire décrocher de votre vie, modifier vos repères pour les concentrer autour de votre divertissement. La bière, la musique et le rire sont de très bons outils pour débrancher le système mental qui vous tient en éveil toute l’année. Certains font ça très bien, regardez à Dour par exemple : ils ont le public de plus souriant d’Europe, invitent d’ex-superstars du rap, te font manger des frites que tu le veuilles ou non, ont changé un cri en marque et ramènent le public des Charrues avec la programmation du Pitchfork.
Des stars d’hier
On ne va pas dire que la Last Arena, aka la plus grosse scène de Dour, soit notre attraction favorite du festival. C’est même plutôt l’inverse. Contrairement aux Vieilles Charrues ou à Rock en Seine où les organisateurs auraient bien du mal à remplir ses chapiteaux sans ses têtes d’affiche, à Dour, c’est le travail de précision qui prime. Les huit scènes qui entourent la main stage sont bien souvent plus prisées que leur grande tante en open air.
Niveau headliners, Dour mise sur les anciens. D’une parce qu’il n’a aucune chance de truster Kendrick Lamar ou Pharell face aux Ardentes – qui se déroule le week-end d’avant à Liège – et plus largement qu’il ne fait pas le poids face aux mastodontes européens au bras plus long et au portefeuille plus épais. A la place, Dour a déjà programmé à la louche Nas, Jurassic 5, IAM, Cypress Hill, Snoop Dogg ou encore Mobb Deep (photo) cette année. Connaissant son public sur le bout des ongles, l’équipe sait qu’au moins deux générations de jeunes seront ravis de ces choix. Quitte à proposer des concerts très plats, le public venant quasiment à chaque fois « juste pour voir ».
Des chapelles lointaines, des chapiteaux rapprochés
Les toits des chapiteaux sont pointus à Dour. Comme les goûts de ses festivaliers : on ne trompe pas un mélomane à Dour. Même si beaucoup de festivaliers viennent pour l’ambiance générale, les effets d’une affiche mal ajustée et attendue se feraient ressentir rapidement en terme de fréquentation. Les deux programmateurs Alex Stevens et Mathieu Fonsny savent qu’un an de retard sur la scène dub, métal ou techno serait éliminatoire. Louper l’arrivée d’une nouvelle scène world et le grime leur auraient fait perdre une bonne partie de leur street cred car ce n’est pas de goudron mais bien de street cred que le monde est fait. Qu’on se le dise.
Tout ça pour dire qu’à Dour, on a beau être une belle bande de païens, on n’en oublie pas de faire un travail de chapelles (ou de « niches » en analogie canine) : musiques extrêmes, émergentes, sound systems dub, rave en open air, noise, post-punk, idm, thug rap, beatmaking, etc, à chaque tente sa couleur et son atmosphère.
DOUREUUUH! : cri de ralliement magique et énervant
Vous l’avez forcément entendu ce cri. Il vient d’un type à la voix cassée et au tein rougeot, il sue et traîne un sourire niais. Le bienheureux. Il porte des lunettes de soleil aux montures bleues en plastique et son bob à fleur est vissé sur sa tête ovale. Il parle français, anglais, flamand, hollandais, allemand. Et surtout : il n’est pas seul. Sa plus proche alliée, c’est la nana qui est sur les épaules de toute personne se trouvant à moins d’un mètre d’elle. En haut de maillot de bain, short, tongs et chapeau de paille, elle crie très fort, même à 16h, quand tout le monde comate sur la Plaine de la Machine à Feu, summum terrestre de concentration de poussière à cette période de l’année (cf : Sahara, régions désertique et volcanique, Pompéi, attaques de lézards, insectes pouvant vivre sur Mars).
Eux, ce sont les inventeurs du cri de guerre « Doureuuuh! » et désormais une marque qui fera dire à tout festivalier en dépucelage de Dour : « mais ce festival est énormissime ! Quel public ! Quelle ferveur ! » et à un paquet d’habitués de Dour : « ils vont vraiment faire ce cri toutes les 20 secondes et me pourrir tous les concerts de folk, de pop psychée et d’électro progressive ? » Suite, donc, de la cohabitation du jeune fougueux qui profite et de l’aigri qui a roulé sa bosse, le temps d’un week-end.
Encore des frites, sérieux ?
Il n’y a pas à dire, Dour est en avance sur son temps dans le secteur musical. Que ce soit sur un travail de communication rôdé à l’extrême, de réseaux sociaux avant-gardistes, de sa grande variété de médias partenaires, de sa façon à lui d’être sexy, roots, populaire, radical. Que ce soit dans sa façon de surprendre via son ambition artistique et de divertissement. Que ce soit dans l’imaginaire qu’il a créé.
Dour a compris beaucoup de choses, mais pas tout, en témoigne le gros retard pris sur une question essentielle : la bouffe. La nourriture est globalement dégueue à tendance pas top à Dour, chose plutôt toute conne parce que, comme le souligne son co-programmateur Mathieu Fonsny : « on est à une époque où tout le monde veut être Top Chef et nous on garde une tradition de frites. Et les Belges en ont marre des frites. » Au moment où les festivals européens vivent à Foodtruck Land pour des tarifs similaires, Dour devrait s’en inspirer et respecter un peu plus l’estomac de ses publics. A bon entendeur.
Un public de grand-e-s n’importe qui
Des Flamands au bronzage ketchup-mayo qui nous insultent en souriant, des déguisements, des ventriglisseuses, de la nudité, des accessoires sans cesse renouvelés, des ramasseurs de kilos de plastique dont le combat écologique tient avant tout d’une récompense en bières, des poupées gonflables demandées par centaines par le groupe Odezenne à des fans fidèles, des papys solitaires aux mille bracelets des éditions passées, des gens de partout à la culture fêtarde commune, des beugleurs et des beugleuses, des comateux, des dreadeux qui dansent en touchant leur visage avec leurs genoux, des fans de Hamza, Seth Gueko et Vald, d’autres de J.C.Satàn, Flavien Berger et Fat White Family.
Il suffit de se balader entre les scènes pour se marrer. Il suffit d’observer Dour pour s’en délecter. Mais pourquoi juste l’apercevoir quand on peut le vivre pleinement, le visage dans la boue ?
Sourdoreille sera partenaire vidéo à Dour pour la quatrième fois consécutive, vous pouvez retrouver notre cinquantaine de vidéos tournée ici-bas : Nas, Wu-Tang, Jurassic 5, Devendra Banhart, CocoRosie, Mogwai, Amenra, Joey Bada$$, Carl Craig, The Underachievers, Bonobo, Suuns, etc.
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