Quel est le point commun entre une pastèque, un vélo électrique et Saint-Jean-de-Luz ? Aucun ! Par contre, j’en ai trouvé un entre mai 68, la cornemuse, la drum’n’bass et l’anthropologie. Sans blague. Je t’explique.
Je ne sais pas pour toi, mais on a eu un peu chaud au Festival Les Suds à Arles. Malgré tout, on était nombreux·ses le samedi place Voltaire pour danser sur les rythmes régionaux revisités par Le Mange Bal.
Le duo formé par Théodore Lefeuvre (machines, accordéon) et Nils Kassap (clarinette) organisait un petit bal folk dans le centre de l’ancienne colonie romaine. L’occasion de clore l’atelier de danses traditionnelles qu’ils dispensaient toute la semaine à une quinzaine de festivaliers·ères bouillant·e·s et courageux·ses. Succès plein. L’espace semblait bien exigu pour accueillir « cercles circassiens » et « pas de bourrée » conviviaux et multigénérationnels. Une recette simple et savoureuse dont seul·e·s nos ainés·es en avaient le secret.
Attention, pour les deux musiciens, mélanger sonorités électroniques et airs traditionnels populaires s’inscrit dans une démarche qui dépasse de loin le phénomène de mode paresseux. Je vous vois venir avec vos préjugés. Pas de panique, il est possible de moderniser des airs d’antan sans servir l’imposture de Polo ni de Pan ou raviver les douloureux rap celtique ou électro-swing qu’on a oublié aussi vite qu’on avait usé leur CD.
Mais du coup Théodore, Le Mange Bal c’est du Néo-Trad, du Freecordéon, du Clariteuf ?
Théodore : Haha, ça fait 5 ans que je cherche un terme pour bien définir ce qu’on fait. Moi j’appelle ça de l’electro-trad. C’est du bal folk modernisé. On a récemment joué à un évènement intitulé le Teknibal. Je crois que c’est Matthieu de Turfu qui a trouvé ça. Je suis assez jaloux du mot. Chez nous, il y a la puissance de la musique moderne avec des influences drum’n’bass, hip-hop, dub et le côté festival de l’accordéon et de la clarinette. Ce qu’il faut retenir c’est que toutes ces musiques sont calibrées sur des danses traditionnelles.
Il y a eu une première vague un peu hippie dans les années 70 autour de ce mouvement. Des gens ont voulu sauver les cultures traditionnelles et ont entrepris des collectages pour rejouer ces morceaux dans les bals. Nous, on fait partie d’une seconde vague plus moderne. Certains groupes de cette scène sont attachés à une région en particulier comme Beat Bouet Trio de Bretagne ou Superparquet d’Auvergne. Nous, on joue des musiques qui viennent de partout. Des bals folks il y en a aussi en Italie, en Belgique en Espagne et nous on cherche à faire un « pot-pourri » de toutes ces danses trad’. L’élément fondateur c’est que c’est de la musique à danser. On s’efface dernière nos instruments.
Malgré ça, petit à petit, j’ai dû m’improviser maître de cérémonie car échanger avec la foule fait partie du spectacle. Christian Pacher du groupe Ciac Boum fait beaucoup ça. Il décrit la chorégraphie en même temps que la danse comme une rengaine. Moi j’annonce surtout le type de danse : « bourrée 2 temps », « Scottish » et j’essaye de mettre un peu l’ambiance, mais ça vient par la force des choses.
Quand j’entends un groupe avec des cornemuses, j’entends le concert qu’on vient de faire. C’est la même énergie dans ma tête. Au lycée je faisais beaucoup de hip-hop. J’utilisais des machines, des samplers et c’est ma manière personnelle de retranscrire le bal folk. Mon père en faisait et j’ai mélangé sa musique avec mes influences d’ado. Ça a donné Le Mange Bal. J’aime amener les gens à notre musique à travers ce qu’ils connaissent déjà et créer du lien. Ça peut être l’accordéon pour les anciens ou les kicks techno chez les plus jeunes. Ma mère est conseillère conjugale, c’est sûrement pas un hasard si j’aime tant faire se rencontrer différents univers.
Entre nous, les bals populaires étaient surtout les seules occasions pour des générations de jeunes gens de s’encanailler avec le sexe opposé. Le Tinder du bourg, entre autres. On n’y cherchait pas tant la performance musicale qu’une expérience sociale. Ce rôle qu’avait le bal de moment fort de la vie politique locale n’échappe pas au Mange Bal ?
Théodore : On est juste à la scène comme on est dans la vie. Pour être dans l’esprit bal, il ne faut pas trop picoler sinon tu danses comme un naze. Il faut pouvoir poser tes affaires pour être libre de tes mouvements et ça implique une confiance générale. Il y a dans ces publics de bals beaucoup de gens qui sont assez timides ou parfois un peu exclu·e·s de la société pour telle ou telle raison. C’était pas les cool kids du collège et donc c’est important et naturel de créer une bulle bienveillante ou l’on prend soin les un·e·s des autres. Le consentement aussi est capital parce qu’on travaille avec les corps, parfois en binôme et il faut que chacun soit à l’aise. Pour moi, toutes ces valeurs ne sont pas arrivées dans le bal à mesure que la société a évolué, j’ai envie de croire que ça a toujours été comme ça.
Abolir les notions de féminin/masculin au profit de « la personne qui mène » et « celle qui suit » nous fait prendre conscience d’à quel point les danses sont genrées et de l’intérêt qu’il y a à effacer ces normes cloisonnées dans lesquelles tout le monde ne se reconnaît pas. Avec ma compagne, en animant le stage de bal folk toute cette semaine au festival, on a appris à nos élèves les bases de plusieurs danses. On a opté pour une formation dégenrée pour apprendre les deux rôles aux binômes. Même si les choses évoluent, il est vraiment temps de réapprendre à mieux se comporter avec l’autre sur un dancefloor.
Mais effectivement les bals folks permettent de s’apaiser et de se rencontrer. J’ai joué l’autre jour à Notre-Dame des Landes. À l’époque, de grosses tensions avaient brouillé certains habitants depuis des mois. Après mon concert, l’un d’eux m’a dit que ce bal leur avait offert un renouveau de joie et de partage. C’est universel, comme avec les contes ou les religions. Quand tu te dépouilles de tous les détails superficiels, dans le fond, les racines sont nobles et communes. Se toucher, se voir, rire, sans prétention, comme avec la danse de l’ours, c’est l’essence des bals. Personnellement je n’ai jamais rien trouvé de mieux pour ça.
Le groupe vient de sortir un premier LP disponible ici :
Allez les voir au Bal Électrique au Point fort d’Aubervilliers le 12 novembre en partenariat avec Villes des musiques du monde.
Photo en une : Le Mange Bal © Stéphane Barbier
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