Le 15 décembre dernier, nous étions au Carré Belle Feuille, à Boulogne-Billancourt, pour le concert d’Ala.Ni. Un concert suffisamment puissant pour qu’on en fasse le récit romancé, comme une fiction parallèle s’étant déroulée dans notre cerveau au même moment.
Dans la salle, sur la scène, un tabouret de bar, un micro. Les lumières s’éteignent. Les mains s’entrechoquent de plus en plus fort. Elle arrive, tout de noir vêtu, accompagnée de deux musiciens. Un violoncelle, une guitare et sa voix. Trois ronds de lumière dans le noir. Les premières notes. Et soudain…
Des enfants jouent au ballon, dans une petite ville du sud des États-Unis. Le soleil tape sur le bitume. Un peu plus loin coule une petite rivière. L’eau est fraîche et slalome entre les rochers polis. Une libellule remonte le courant à pleine vitesse. Elle passe entre les brins d’herbes jaunis par un été trop chaud. Arrivée au bord de la route, une décapotable manque de la percuter.
La Cadillac s’enfonce dans la ville. Sur son passage, les vitrines des magasins s’éteignent. Les businessmen croisent les premiers fêtards. Il fait encore chaud lorsque la nuit tombe.
Années 40, un cabaret enfumé. Sur la petite scène, assise sur un piano, le micro aux lèvres, la chanteuse a envoûté les tables du premier rang. Dans une lumière tamisée et chaleureuse, les doigts du pianiste dansent sur les touches. Quelques danseurs se sont motivés dans un coin. Les robes flottent sous la baguette des meneurs. Des militaires en uniforme s’esclaffent au bar.
Dans la rue, sous une pluie battante, une femme marche seule. Les cheveux trempés, elle s’arrête sous un réverbère et tente d’allumer une cigarette. A la flamme du briquet, son maquillage révèle les larmes d’un amour brisé. Sa main tremblante finit par jeter la cigarette mouillée. Elle reprend sa route. Une voiture passe et l’éclabousse. Elle ne réagit pas.
Au loin, les néons d’un cinéma. A l’affiche, une romance. L’acteur est beau, l’actrice élégante. Sur l’écran, ils sont en gros plan, leurs lèvres se frôlent. Il lui dit qu’il ne peut pas. Elle lui répond : « Tais-toi et embrasse moi. » La salle retient son souffle. Les jeunes hommes passent le bras autour des épaules de leur petite amie. Le temps se fige sur cette scène de baiser hollywoodien. Certaines s’imaginent à la place d’elle, les autres se prennent pour lui. Chacun ressort, le sourire au lèvres, l’un contre l’autre, la tête pleine de rêves.
La nuit est calme et belle. Dans le ciel une étoile file, une brise fraîche caresse les visages d’un couple assis sur un banc. Face à eux, la ville, pleine de lumière. Autour d’eux, le silence que viennent perturber de rares gazouillis nocturnes. L’oiseau se perche sur une branche au dessus des amoureux. Il donne à la scène sa musique. Un nuage passe devant la lune. Une clameur se rapproche. Le jour se lève.
La salle est debout, applaudit le voyage dont elle revient à peine.
Les artistes saluent, les musiciens se retirent. Ala.Ni descend les quelques marches de la scène et traverse le public. Sur son chemin elle attrape des mains et lance à qui veut son sourire.
La soirée fut belle.
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