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A Strange Wedding : « Ralentir le tempo change notre façon de danser »

Entre trance lente, musique industrielle et matériau sonore diggé dans les bas-fonds du dark web, A Strange Wedding aka Adrien Van de Velde dévoile un deuxième disque puissant, cosmique et envoûtant. Black Magic Rituals, sorti sur le label Worst Records, propulse définitivement le jeune producteur stéphanois de 26 ans dans le haut du panier des artistes électroniques et émergents à suivre.

Paris, Station Gare des Mines, un soir d’août 2019, 2h12. Alors que notre équipe s’offre un moment de répit au temple de l’underground parisien, un sombre inconnu s’empare d’un dancefloor branché sur le 220V. En quelques minutes, le sorcier A Strange Wedding court-circuite le club à grands coups de basses lancinantes et de nappes grasses et psychédéliques le tout sur un tempo avoisinant les 90 BPM (cadence de marche d’un éléphant au réveil, pour les non-technophiles). Le public, pourtant averti, ne sait plus sur quel pied danser, nous non plus. Ah oui, mais s’il joue si lentement juste pour son intro, c’est ça ? Pas du tout. Le live, hypnotique et percussif, durera plus d’une heure à cette vitesse de croisière relativement déstabilisante dans un paysage techno qui renoue actuellement avec ses origines galopantes des 90’s. A Strange Wedding bouscule les us et coutumes de la culture club et questionne les danseurs que nous sommes sur notre capacité à nous réinventer en plein peak time d’une soirée en discothèque.

Après une adolescence toulousaine sans réel éveil musical au sein d’une scène techno qui était à l’époque un peu trop aseptisée à son goût, Adrien pose ses valises à Saint-Etienne, et là, c’est la claque. Ou plutôt, c’est la rencontre. Il commence à fréquenter Charles et Antoine, les deux fondateurs des soirées Positive Education qui deviendront une référence en matière de festival techno avant-gardiste. S’inspirant des maestros italiens du genre comme Donato Dozzi, de l’EBM percussif de Front 242 ou de la bonne vieille trance psyché, A Strange Wedding explose les limites des musiques électroniques et décloisonne le genre. Toujours en perpétuelle expérimentation technique et artistique, le producteur s’offre avec ce second opus une place de choix dans la foisonnante scène française. Entre un partiel en distanciel et une séance de production dans son bed studio, Adrien a trouvé le temps de papoter avec nous.

Trois ans après ton premier EP, Meta Romance, tu viens de sortir un nouveau disque six titres intitulé Black Magic Rituals, toujours sur Worst Records. Dans quel état d’esprit as-tu composé ce LP, quelle direction artistique souhaitais-tu aborder ?

A Strange Wedding : Sur Meta Romance, je me suis davantage concentré sur l’aspect physique de ma musique, comment ce que je produis se danse et comment cela se ressent corporellement. Et puis j’ai progressé sur le sound design, ce qui m’a poussé à m’intéresser aux effets sensoriels et psychiques de la musique, en essayant de créer des paysages sonores toujours plus sophistiqués. Ce disque reflète ce changement dans ma démarche artistique où progressivement on passe de choses plus physiques à d’autres plus psychédéliques et introspectives. Mais il y avait aussi cette fascination pour des choses sombres, spirituelles et un peu épiques.

Ta musique se situe au carrefour de beaucoup d’influences et se range difficilement dans des cases, toujours sur un tempo qui prend le contre-pied de la scène contemporaine. Te positionnes-tu en réaction à un courant musical techno qui peinerait à se réinventer ?

A Strange Wedding : Il y a eu un moment où je ne me retrouvais plus dans la musique que je connaissais et que j’entendais en club, j’étais un peu perdu et j’avais envie d’essayer autre chose. Dans le fait de ralentir le tempo, il y a plein de possibilités intéressantes. Que ce soit au niveau de la façon de danser, ça amène d’autres rythmes donc d’autres gestes, c’est une nouvelle sensation en club. Et même au sein de la production musicale, il y a plus d’espace entre deux kicks donc ça permet de faire ressortir des atmosphères qui sont plus épaisses, plus enveloppantes. Assez rapidement l’enjeu n’était plus d’être en opposition par rapport à la techno plus classique mais bien d’être dans une démarche de recherche et d’exploration sur ce que pouvait m’apporter le downtempo.

C’est quoi ta madeleine de Proust, la révélation qui t’a mis le pied a l’étrier en tant qu’artiste ?

A Strange Wedding : Je crois que, en tant qu’ A Strange Wedding, ma madeleine de Proust est Katzele, le boss du label Malka Tuti. J’ai découvert ses DJ sets en diggant sur internet, ça m’a tellement ouvert l’esprit sur ce que je commençais à explorer, à savoir la musique électronique lente avec l’idée de mélanger de la trance, de la musique industrielle et des éléments sonores pris à droite à gauche dans diverses cultures. J’expérimentais ça sans trop savoir ce que j’allais en faire et cet artiste m’a montré qu’il y avait vraiment matière à creuser cette voie, c’était une étape importante dans mon projet artistique.

Comment l’artiste que tu es vit-il cette période d’isolement et de black out festif et culturel ?

A Strange Wedding : Aujourd’hui, je dirais que c’est le yo-yo constant. Un jour j’ai envie de transpirer sur un dancefloor, le lendemain j’ai pas envie d’entendre parler de musiques électroniques mais plutôt de commencer un live ambient. Donc en tant qu’artiste, qui plus est émergent, je pense que le plus dur c’est pas vraiment l’absence de club, mais la perte totale de repères. On se doit d’être à l’écoute des retours de notre entourage et des équipes qui travaillent avec nous, qui nous trouvent des dates, mais comme on ne joue pas en ce moment, l’accompagnement est plus difficile, on nage dans l’inconnu. C’est pourquoi je n’attends pas qu’il y ait un top départ pour reprendre le travail. Je me prépare à ce que la semaine prochaine on annonce la réouverture. Je prépare mon nouveau live ainsi que plusieurs collaborations, dont un avec Christian Coiffure, un autre avec une artiste que j’ai rencontré au dernier Positive Education, qui s’appelle Jan Loup. Pendant huit ou neuf ans j’ai produit de la musique dans ma chambre mais là, le fait de sortir de ma zone de confort, de rencontrer d’autres artistes, ça me nourrit énormément, surtout en cette période difficile.

Tes disques sortent sur le label stéphanois Worst Records co-géré par le duo Les Fils de Jacob, qui organisent également l’excellent festival Positive Education. Tu peux nous parler de votre rencontre et de l’influence qu’ils ont pu avoir sur ton parcours ?

A Strange Wedding : Charles et Antoine font vraiment partie de mes meilleurs amis aujourd’hui. A Toulouse la scène techno était relativement uniformisée, même sur la façon de faire la fête. Et d’un coup quand je suis arrivé à Saint-Etienne et que j’ai commencé à fréquenter ces gars, j’ai eu l’impression qu’ils faisaient n’importe quoi. Ils mélangeaient plein de genres musicaux ensemble, c’était incroyable. Ça a complètement transformé ma manière de faire la fête et, par conséquent, de produire de la musique. L’idée c’était pas juste de créer un track, c’était aussi de penser à l’atmosphère que je voulais créer sur un dancefloor, comment on danse ensemble, comment on transpire ensemble. Avec Positive Education, j’ai pu aussi fidéliser avec beaucoup de gens qui m’ont permis de faire évoluer mon esthétique musicale. Cette rencontre est une influence majeure dans mon parcours.

Tu viens également de sortir un nouvel EP avec Antoine des Fils de Jacob sur un projet intitulé ULV (Ultra Low Velocity) sorti sur le label Krakzh du Rennais Théo Muller. Est-ce que la dynamique que vous avez insufflé à Saint-Etienne ne serait pas en train d’influencer d’autres artistes et collectifs en France ? Tu sens qu’un nouveau courant est en train de voir le jour ?

A Strange Wedding : Je ne pense pas qu’on ait inventé quoi que ce soit, mais on a cristallisé quelque chose, il y a une vibe commune aujourd’hui ainsi qu’un public attentif. Quand j’ai sorti Meta Romance et que j’ai commencé à jouer en live à 90 BPM en club, je me disais que ça allait être chaud, mais petit à petit le public s’adapte et est réceptif. Il y a plein d’autres artistes qui jouent donwtempo, depuis assez longtemps. Il existe par exemple une scène importante à Düsseldorf notamment avec le club Le Salon des Amateurs. Peut-être qu’il y a eu une convergence qui a donné plus de visibilité à cette musique en France.

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