Quand on écoute un artiste plusieurs fois par intérêt, c’est une découverte. Quand on l’écoute par pulsions et envies répétitives, cela devient une obsession. Le phénomène est classique. Il devient cependant plus troublant quand, à la base, on n’aime pas spécialement le kitsh de la chanson française des années 80 et qu’on devient accroc à Fishbach. Force est de reconnaître alors une chose qui a pris, ces derniers mois, la forme de l’évidence : ce bout de femme a un talent hors-norme. A l’aube d’un premier album intitulé A ta merci, il était peut-être temps de rencontrer cette Ardennaise qui assume tout et ne craint rien, et dont le potentiel est déjà comparé aux plus grandes.
Les deux premières phrases que j’ai écrites sur toi étaient : « Peu importe la carrière qu’elle fera, cette femme est foutue. Elle sera toujours comparée à Catherine Ringer. » En fait, j’avais tort. Peut-être que t’es quand même foutue, mais pas à cause d’elle, en tout cas.
C’est ce que tu pensais ? Que je m’en étais inspiré ?
Oui, que tu avais grandi avec elle et qu’on échappe jamais ensuite à ses matrices. Comme d’autres ont été biberonnés à Noir Désir, par exemple.
Je n’ai aucun biberon, moi. J’ai commencé à composer avant qu’on ne me compare à Catherine Ringer. Une fois, avec mon ancien groupe Most Agadn’t, je chante à fond, je sors de scène et une personne du public me dit : « Ah, vous avez beaucoup écouté Catherine Ringer » Je lui ai répondu : « Mais c’est qui ?« Alors j’ai écouté et j’ai pris une balle. Mais j’ai découvert super tard. Trop tard en fait, car je chantais déjà comme ça. Je n’allais de toute façon pas faire machine arrière. Mais chanter de cette manière, c’est comme un sport, quel plaisir ! Comme les gens qui adorent courir et qui font un bon 100 mètres. Ce n’est pas un petit footing. C’est court mais super intense.
A l’écoute du disque, une influence insoupçonnée émerge tout de même : Daniel Balavoine. Plus particulièrement sur le tire de clôture qui donne son nom à l’album : « A ta merci ».
Je ne sais pas pourquoi je ne le cite jamais. Cela fait un moment que je l’écoute. Quand j’étais plus jeune, le chanteur me choquait un peu, avec des phrases comme « ils diront que j’suis pédé », etc. Oui, c’était un petit choc. Après, je me suis intéressée à toutes ses chansons, dont certaines sont sombres et étonnantes. Sa carrière est bizarre, avec un début mitigé où il a cherché sa voix. Par ces mélodies, ses personnages, c’est vraiment un homme qui me fascine. C’est mon petit chouchou. Au niveau mélodies, je ne sais pas s’il existe quelque chose de mieux que « Tous les cris les SOS« . Je suis un peu dégoûtée depuis que Zaz l’a reprise, d’ailleurs. Dur.
Je comprends ceux qui cherchent une oeuvre complète, avec un fil rouge. Il n’est pas exclu que je procède ainsi un jour, car j’aime aussi ces disques-là. Mais je suis plus complexe que ça dans ma musique, dans ma personnalité.
Ta musique est clivante. On te trouve soit fascinante, soit insupportable. En as-tu conscience?
Oui, je comprends. Même quand j’étais gamine, c’était le cas. Par ma personnalité, par ce que je suis. Même moi, je n’aime pas tout ce que j’ai fait, mais ça ne laisse pas insensible. La musique, ça sert à ça. Je te parlais à l’instant de Zaz, qui est très énervante pour beaucoup de gens. Elle a réussi quand même. Moi, je peux comprendre car je chante fort, j’en fais des caisses. Il y a de des gens qui n’aiment tout simplement pas ça, à qui ça fait peur voire que ça dégoûte. C’est une question de vibrations. Comme ces odeurs qu’on aime ou pas chez des gens. Les voix, c’est comme les parfums. Parfois, tu as envie de suivre quelqu’un tellement il sent bon. Parfois, même si ça sent bon, même si c’est un parfum, tu n’y peux rien mais ça te dégoûte. Pourtant, la personne est sympa et te parle très bien. Tu ne décides pas mais tu peux évoluer : par exemple, au début, je n’aimais pas Mylène Farmer, et même Gainsbourg. Je ne connaissais que Gainsbarre. Il y a donc ceux qui ne m’aimaient pas et qui se sont mis à m’aimer, et il y a ceux qui ne m’aimeront jamais et tant mieux.
Tu inspires ce sentiment ambivalent d’attraction/répulsion.
Je suis contente de ça. Si ma musique ne faisait rien à personne… Je préfère ceux qui m’expliquent pourquoi ils n’aiment pas ma musique. Parfois, ils ont une explication. Parfois, cela ne parle tout simplement pas à leur cœur. Ils n’ont pas peur de me le dire, c’est cool. Même si moi, je n’ai rien demandé à personne. Par contre, je préfère qu’on me le dise de vive voix plutôt que sur internet. Sur le web, les gens se permettent de donner un avis sur tout. Je ne comprends pas cette époque.
Cela dit, ton objectif, après tout, n’est pas de rassembler.
Non. Mais Brel disait qu’on est des aspirines, en faisant du bien le temps d’une chanson ou d’un concert. Bah voilà, certains sont sensibles au Doliprane, d’autres préfèrent les Efferalgan.
Tu assumes ton disque comme protéiforme. C’est peu commun. Et la sacro-sainte cohérence vantée par tant d’autres, alors ? Tu n’as pas eu peur de la dispersion ?
Non, au contraire. Je comprends ceux qui cherchent une oeuvre complète, avec un fil rouge. Il n’est pas exclu que je procède ainsi un jour, car j’aime aussi ces disques-là. Mais je suis plus complexe que ça dans ma musique, dans ma personnalité. J’avais commencé ce processus pour l’EP, je continue avec l’album. Je m’ennuie très vite et je suis plein de choses à la fois, avec plein d’influences comme beaucoup de gens de ma génération. En ce moment par exemple, je traverse une période glam rock. Alors je vais faire des morceaux glam rock parce que j’en ai envie. Cet album retrace trois ans d’écriture. Il y a eu des moments new-wave 80’s, d’autres plus pop. Ce sont différents moments de ma vie que j’assume complètement. Quand je suis arrivée en studio, les maquettes étaient déjà faites avec ce truc seventies. On a même appuyé le propos et les différents styles.
C’est peut-être aussi lié au fait que ça soit ton premier disque, qui regarde dans le rétro sur trois ans. Tu es encore une artiste en construction, en mutation. Le deuxième sera peut-être plus homogène car écrit plus rapidement.
Certainement, mais j’aimerais continuer ainsi, en écrivant au fur et a mesure. Là, par exemple, j’ai déjà de quoi enregistrer un deuxième album. (Elle marque une pause). Tiens, prend le deuxième album de MGMT. Je le trouve fabuleux, à la fois déconstruit et cohérent. C’est un exemple d’album à suivre, selon moi.
Je l’ai trouvé prétentieux.
Il était ambitieux, je sais qu’il a divisé. A titre perso, je l’ai trouvé superbe.
« J’utilise le mot comme instrument. Ce qui m’intéresse, c’est sa musicalité. Je n’articule pas très bien, je viens du Nord, ma mère parle super vite et je mâche mes mots. »
Il y a un morceau de l’EP qui tu as choisi de garder, c’est « Mortel ». Pourquoi celui-là, en particulier ?
Parce qu’il est super important pour moi. Même si c’est devenu mon morceau le plus connu, ça me saoule pas du tout. Je prends un énorme plaisir à le chanter. Il y a des gens qui vont me découvrir avec l’album. Ceux qui me connaissent déjà préféreront la version précédente. C’est normal, on préfère toujours la première version. Je n’aime pas la deuxième version de « La Planche » sur l’album de La Femme. C’est comme ça, on s’habitue trop vite. Sur « Mortel », j’ai refait une voix et le mix a changé.
C’est une chanson parue à un moment spécial de l’Histoire de France et de ma vie, le 6 novembre 2015, quelques jours avant les attentats. Cela a résonné chez les gens. Pas en moi, bien sûr car je ne l’avais pas écrit pour ça. Beaucoup m’ont écrit pour me parler de ce refrain. Cela m’a touché et je ne l’interprète plus de la même manière. Quand je le chante, je vois le public le chanter avec moi, il y a une sorte de liesse triste. J’ai vu des gens se prendre dans les bras et chanter ensemble. Je voyais que ça leur faisait du bien. Mais d’un autre côté, je sentais bien que ce n’était pas la joie. C’était fort. Maintenant, ce morceau compte.
Puisqu’on parle de textes, ils sont assez abstraits. Sur l’EP, je ne distinguais pas tout, même au sens strictement littéral. J’ai décidé de ne pas aller voir les paroles.
Ah, ça me fait plaisir. Je préfère.
Mais c’est étonnant pour un chant français. Tout le monde te comprend, mais en fait, au fond, personne ne te comprend. Comme tu ne chantes pas en anglais, c’est la couverture que tu as trouvé ?
J’utilise le mot comme instrument. Ce qui m’intéresse, c’est sa musicalité. Je n’articule pas très bien, je viens du Nord, ma mère parle super vite et je mâche mes mots, je bafouille. J’aime bien chanter en français avec une influence anglo-saxonne. Après tout, je n’écoute la musique française que depuis cinq ans. Quand j’écoute Christophe et que je le comprend pas, ça ne me dérange pas. Ou quand j’écoute Moodoïd et que je ne pige pas un traître mot de ce qu’il dit, je m’en fous. Le mot est une excuse. Evidemment, si le fond appuie l’émotion, c’est fabuleux. Plus ça va, plus j’accorde d’importance à l’intelligibilité du mot. Mais c’est bien de garder le petit doute pour que les gens viennent te dire : « Mais tu dis quoi, exactement. Ces ‘tirs au hasard’ ou ‘séduire au hasard’ ? » Tu peux choisir ce que tu entends et ça me plaît. Parfois, c’est juste une erreur d’articulation. Parfois, c’est presque intentionnel pour laisser une libre interprétation.
Je garderai ce petit coté punk, notamment dans le processus autonome. Je veux apprendre à tout faire moi-même.
C’est déjà mieux sur le disque que sur l’EP.
Tu sais pourquoi ? Sur l’EP, j’ai fait les voix toute seule, dans ma chambre, c’est dégueulasse. Avec beaucoup de reverb car j’adore ça. Sur le disque, c’est plus distinct. J’ai fait beaucoup plus d’efforts, dans une cabine d’enregistrement. Je n’étais plus dans mon pieu.
Il reste quoi justement de cette époque Most Agadn’t, que tu qualifies de punk ?
Je dis ça pour la romance. Notre musique n’était pas punk, mais l’intention, oui. Et la manière dont ça s’est construit et dont on se gérait, oui. Baptiste [l’autre membre du duo, ndlr] m’a tout appris, c’est lui qui m’a donné confiance, transmis des valeurs. Mais quand j’y repense, Baptiste était un punk, dans l’appréhension de la scène, dans le processus de travail. Je garderai ce petit côté, notamment dans le processus autonome. Je veux apprendre à tout faire moi-même.
En couverture des Inrocks, encensée par Télérama, etc, etc. Ton statut change à une vitesse folle, comment vis-tu ça ?
Je n’ai pas encore eu le temps d’y penser. Après la création des Trans Musicales, j’ai été malade et j’ai pas eu le temps de beaucoup me reposer. Mais je sens bien que mon agenda se remplit. C’est hallucinant, après toute cette période de travail en solitaire.
C’est parfois violent ?
C’est d’abord gentil, car on s’intéresse à ma musique. Tellement de musiciens composent sans qu’on ne s’intéresse à eux. Même s’il y a des gens anti-succès, à partir du moment où tu fais des disques et de la scène, ce n’est pas pour le garder pour toi. Parfois seulement, je me dis que je ferais mieux de composer dans mon studio plutôt que parler de mon truc, mais sinon c’est tout. Parce que j’aime écrire tout le temps, c’est ce que j’ai toujours aimé. Je ne veux pas changer ça. Je ne peux pas faire autrement, de toute façon. Les gens le verraient. Et puis je n’ai pas de filtre, je ne vais pas me faire passer pour une fille que je ne suis pas.
Crédits photos : Yann Morisson
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