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Fishbach, prophète des ténèbres

A deux jours de la Pleine Lune du mois de mars, petite démonstration de lycanthropie au Point Ephémère avec Fishbach, louve solitaire du label Entreprise : un live sans accroc, intimiste et puissant, soit une nouvelle occasion pour nous de lui témoigner notre amour.

On ramène inlassablement Fishbach à un Niagara obscur, premier degré, et sa voix à celle de la folie et des prodiges de Catherine Ringer, splendide résurrection de la synthwave des eighties qu’elle est. Dans le paysage musical français, c’est de loin l’artiste qui s’est le mieux appropriée ces inspirations, comme un instinct esthétique naturel qui ne force pas l’invocation. Ajoutons une atmosphère froide et surréaliste à la Tim Burton, on commence à caresser doucement la subtilité et la maitrise des quatre titres obsédants de son premier EP sorti en novembre dernier.

Sur scène, il faut plutôt piocher et déterrer les muses du côté de la peinture, l’expressionnisme allemand et viennois : ça se passe d’abord dans le regard noir surligné de froncements de sourcil, mâchoire serrée et corps en perpétuelle torsion. Ce qu’on appelle incarner ses chansons. C’est brut et nerveux comme du Egon Schiele maggle.

Avec un pantalon cigarette classieux année 50 et un petit cuir, le look rock convient à merveille aux névroses faciales lorsqu’elle ouvre avec l’incantatoire « Tu Vas Vibrer » : prophétie qui opère immédiatement dans un Point Ephémère plein et enfumé. Les rares lumières jaunes donnent des allures de fantôme à la jeune femme en faisant ressortir les aspérités du squelette sur le visage.

« Dans le noir, je te dis salut » lâche-t-elle dans un souffle, l’œil hagard, qui perce sa cible une fois celle-ci trouvée au hasard dans la foule.

Seule au micro sur « Béton Mouillé » et « Le Château » qui suivent, ses danses qui accompagnent ses prouesses vocales se calment un peu avec sa Telecaster en bandoulière qui attise le « Feu ». Fishbach strie alors des accords lugubres, avec ce soupçon d’acier glacial et rythmé qui rappelle plus Jamie Hince que The XX. « Ma Voie Lactée », « On Me Dit Tu » ou « A Ta Merci » sont autant de titres qui nous envoutent dans le même esprit surréaliste et authentique de son EP, avec des textes qui jouent avec la couleur des mots, impressionnistes de paysages d’automne.

Fishbach – Béton mouillé

Lorsque vient dans le public une dédicace à Charleville-Mézières, sa ville natale, elle préfère le chauvinisme de la tombe : « A tous ceux de Charleville-Mézières ouais, et à tous les autres. Tous la même rengaine de toute façon : on va tous mourir ». Pince sans rire et charme fatal, probablement hérité de son passé punk avec Most Agadn’t.

Avec un nouveau morceau intitulé « Mille Ans », son timbre rauque flirte avec des envolées vertigineuses jusqu’à l’adieu au dernier refrain déchirant de « Mortel », par dessus les pistes de boîtes à rythmes percutantes et des synthés angoissants.

Avec la reprise entêtante « Petit Monstre », « Night Bird » du titre original et très cinématographique de Bernard Lavilliers, un rappel en appelle un autre comme une reprise peut en cacher une autre avec « La Babouche » de Salim Halali.

Après un set de douze perles noires, elle se retire.

Comme tout le plaisir a été pour nous et qu’il serait trop facile de conclure sur un « jamais rien vu d’aussi mortel », on se permet une citation de Rimbaud, autre résident de Charleville-Mézières, qui quelques 143 ans en arrière résumait déjà parfaitement la pop sombre de Fishbach : « La violence du venin tord mes membres, me rend difforme, me terrasse (…) Puis-je décrire la vision, l’air de l’enfer ne soufre pas les hymnes ! C’était des millions de créatures charmantes, un suave concert spirituel, la force et la paix, les nobles ambitions, que sais-je ? » (« Une Nuit de l’Enfer », Une Saison en Enfer, Arthur Rimbaud, 1873).

Photo crédit : Joséphine De Rohan-Chabot
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