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Yard Act, présence cynique

Samedi 20 novembre 2021, l’espace étriqué du disquaire Supersonic Records avale le public tel un ogre boulimique. La salle est déjà pleine à craquer, pourtant le flot de curieux ne semble pas s’arrêter. Le groupe programmé ce soir-là au Pitchfork Music Paris Festival provoque une effervescence folle. Et pour cause, ce n’est que le deuxième concert en France d’un groupe ayant explosé durant le premier confinement : Yard Act.

La musique du groupe, décrite par son leader James Smith comme un « rock minimaliste venant du cœur » a en effet su conquérir les oreilles d’internet. Il faut dire que le style post-punk couplé à l’absurde poésie des textes en spoken-word a son charme. La musique de Yard Act résonne comme un exorcisme de la société britannique. Aucun sujet n’est épargné, du racisme ordinaire à la lutte des classes, le groupe semble vouloir provoquer tout le monde tel l’ivrogne qui cherche la bagarre en faisant l’intéressant.

Ce qui est certain c’est qu’ils attendaient ce moment depuis longtemps. L’euphorie de la performance irradie littéralement les spectateurs. Quelques semaines plus tard, on retrouve un James Smith à peine remis de ses émotions pour lui poser quelques questions.

Yard Act 2 credit Phoebe Fox LD

Yard Act © Phoebe Fox

Le succès de Yard Act sur Bandcamp durant le tout premier confinement était assez fou, peux-tu m’expliquer pourquoi l’achat de plusieurs copies des vinyles a été interdit ?

James Smith : C’était principalement pour soutenir les disquaires indépendants. Comme on faisait plusieurs éditions de nos vinyles, des personnes opportunistes commençaient à revendre des copies sur internet à des prix exorbitants. Du coup on a bloqué l’achat de plusieurs vinyles à la fois. Tant que les gens achètent leurs disques de manière raisonnable ou dans des boutiques indépendantes, ça me va.

Tu t’attendais à un tel succès ?

JS : Pas du tout. On a pas du tout anticipés ce que ça allait devenir. Même si cela fait un an et demi que notre musique marche bien, on prend toujours du recul. Évidemment avec le succès nos attentes sont de plus en plus grandes. On a d’abord vendu 500 copies assez rapidement donc naturellement on a voulu en faire 1000. A ce moment-là on pensait “Si on ne vend pas toutes ces copies on ne pourra pas se relever”. Et puis on les a vendues et on a voulu en faire 2000 etc… Avec l’album qui sort bientôt on pense dépasser ces chiffres car c’est notre trajectoire jusqu’à présent. Mais c’est super important de se rappeler que ce n’est pas pour ça qu’on fait de la musique. Quand t’as du succès c’est plus dur de réfléchir sur ce sujet. On essaie juste d’en profiter un maximum.

Tes paroles sont remplies de personnages à la fois drôles et réalistes. Par exemple Graham, cet habitant de classe moyenne un peu raciste dans “Fixer Upper”. Comment t’appropries-tu ces personnages ?

JS : Déjà il faut les connaître. Graham est un habitant du quartier dans lequel j’ai grandi. Il ne s’appelait pas Graham mais Phil. Comme ça ne rimait pas assez bien j’ai juste changé le nom. J’essaie d’absorber le maximum de choses de ce qui m’entoure, d’observer les gens et de construire mes personnages autour de leurs excentricités. Je crée de petites histoires autour des gens pour les rendre intéressants. Néanmoins je garde une part de vérité dans mes histoires. Avec Ryan (Needham co-créateur de Yard Act), on passe beaucoup de temps à faire des imitations des gens que l’on croise. Il a travaillé à Nando (chaîne de Fast Food) pendant des années et il me faisait des imitations de clients. Les gens dans la rue sont vraiment marrants quand on les observe.

Tu n’as pas peur que certains se reconnaissent dans tes textes ?

JS : S’ils se reconnaissent, c’est qu’ils sont plus conscients d’eux-mêmes que je ne le pensais. Ma mère m’a envoyé un message quand elle a entendu “Fixer Upper” : « Parles-tu de ton grand-père dans la chanson ?” et j’ai répondu : “Non !” Peut-être qu’il y a un peu de mon grand-père dans la chanson mais c’est inconscient. Graham, c’est juste un prolétaire un peu old school.

Vous venez de Leeds, le foot doit avoir une grande place dans vos vies. Comment as-tu réagi à la présence de votre chanson “The Overload » dans la playlist officielle de Fifa 22 ?

JS : C’est juste énorme. J’ai grandi en jouant à Fifa et j’ai toujours été influencé par la soundtrack des jeux. Elles ont cette capacité de mettre pleins de groupes de différents pays sous le feu des projecteurs car c’est une franchise mondialement connue. C’est marrant car jusqu’à récemment, j’étais prof de musique. Je n’ai dit à aucun de mes élèves que je faisais partie d’un groupe, je voulais le garder pour moi. Quand j’ai quitté ce job je leur ai dit le nom de mon groupe, quand certains d’entre eux ont compris qu’ils avaient déjà entendu ma musique dans Fifa, ils ont pété un câble.

Certains disent que la soundtrack est meilleure que le jeu lui-même…

JS : Je suis assez d’accord, il y a tellement de superbes chansons dans les soundtracks. Cette année il y a Slowthai et Little Simz par exemple. C’est juste de la bonne musique. “Song 2” de Blur était dans Fifa aussi et maintenant c’est un hymne du football. Je ne sais pas si “The Overload” aura le même destin.

Tu parles de Little Simz et de Slowthai, tu t’inspires de leur manière d’écrire, non ?

JS : Ouais complètement, je les écoute beaucoup. Ils brisent les frontières entre les genres. L’album de Little Simz doit être l’un de mes favoris de 2021. C’est si singulier. Pareil avec Slowthai, la manière qu’il a de sauter du punk au rap, de se réinventer, sa vision. Même si on vient de milieu très différents on essaye de répliquer cela, cette manière de s’affranchir des codes. On fait du post-punk mais avec des influences venant de genres différents.

Dans la scène rock britannique, il y a pas mal de débats sur l’appropriation de la classe populaire. On se souvient du gros clash entre Idles, Fat White Family et Sleaford Mods en 2019. Où est-ce que tu te situes sur ce sujet ?

JS : En tant que groupe, il faut toujours faire attention à l’image qu’on renvoie, et le sujet des classes sociales n’est pas à prendre à la légère. Particulièrement au Royaume-Unis. Depuis Thatcher, les frontières entre les classes sont très floues, il y a des zones d’ombre, des entre-deux. Il ne faut pas tout simplifier. Il y a aussi un certain fétichisme des milieux sociaux, on s’intéresse aux origines des gens. La classe moyenne, en particulier, a un véritable fétichisme vis-à-vis de la classe ouvrière – qui est une vision simplifiée de la réalité. J’ai l’impression que tous ces débats nous éloignent du vrai problème, l’élite qui nous gouverne, les 1% les plus riches. En comparaison, nos débats paraissent désuets.

Maintenant que vous avez signé dans un label (ZEN F.C.), réussissez vous à garder votre côté do it yourself ?

JS : Tant qu’on crée la musique que l’on a envie de faire, ça ne change pas grand chose. Ça fait tellement longtemps qu’on fait partie de la scène D.I.Y, on a tous été dans des groupes avant, pendant 10 ans on a joué un peu partout sur Leeds. Au bout d’un moment, tu connais très bien les limites de ce style de vie. Être dans un label nous à libérés, on a l’impression d’avoir le contrôle de notre musique, on n’est pas obligés d’enchaîner les petits boulots qui nous éloignent de la création. On a de la chance d’avoir un label qui n’intervient pas du tout sur notre musique. Ce qui à changé c’est qu’on a plus de gens qui nous supportent au quotidien et plus d’argent pour le projet. Grâce à ça on atteint de nouveaux auditeurs, ça nous a permis d’être sur Fifa par exemple. Ça ne serait jamais arrivé si on était restés underground. Le tout c’est de jouer le jeu tout en restant rationnel. Il faut accepter de coopérer avec les gens et apprendre à négocier avec soi-même. Bien sûr tout cela a un prix, c’est un marché. Mais on fait souvent le point avec les membres du groupe pour s’assurer que l’on garde le même objectif de création. On ne fera jamais quelque chose contraire à nos envies.

La chanson “100% Endurance” clôt l’album sur une note plus mélancolique, est-ce la nouvelle direction du groupe ?

JS : C’est une chanson mélancolique mais paradoxalement c’est la moins cynique de tout l’album. Dans mes textes et sur scène, j’utilise beaucoup le sarcasme comme moyen d’auto-défense. Là j’arrive à te parler comme je le fais normalement mais dès que je suis en concert je suis une autre personne. Pour moi c’était important de révéler qu’on n’était plus seulement un groupe sarcastique. Au-delà des blagues et de nos points de vue sur la société, on a quelque chose d’humain. Ça ouvre des portes sur la suite. On veut être plus qu’un groupe de post-punk et dépasser cette esthétique qui nous colle à la peau.

Le pari est tenu dans ce premier album qui sonne déjà comme un disque culte. Les influences post-punk sont là mais elles se confondent dans un rythme moins agressif et dans des mélodies toujours plus entêtantes. La bande de James est promise à de grandes choses, c’est un fait.

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