Une comédie musicale avec Damon Albarn aux commandes : sur le papier, il était difficile de résister à la tentation de découvrir cette énième adaptation de l’œuvre « Alice au pays des Merveilles » de Lewis Carroll, actuellement au Théâtre du Châtelet. Une pièce qui continue en version numérique via les réseaux sociaux et les jeux en ligne de façon très créative.
On s’attendait, et on espérait, découvrir une comédie musicale aux codes musicaux complètement bousculés. Finalement, Wonder.land étonnera dans la mise en scène, les textes (parfois franchement vulgaires), son insolence et les thèmes abordés, bien éloignés des codes du music-hall de Broadway. Mais s’il y a bien un aspect sur lequel cette œuvre respecte les règles de la comédie musicale, c’est bien la musique.
Il faut dire que lors de la première représentation, lors du Manchester International Festival (co-producteur avec le théâtre du Châtelet) il y a quelques mois, la pièce avait fait polémique, notamment sur la partie musicale. L’ensemble de l’équipe créative (Damon Albarn pour la musique, Moira Buffini pour les textes et Rufus Norris pour la mise en scène) a alors revu sa copie pour les représentations parisiennes.
Damon Albarn reconnaît que « la musique a complètement changé par rapport à ce qu’elle était à Manchester. Je me passionne pour le music-hall et ce projet me permettait d’associer les deux. Mais comme il y a aussi Internet et les jeux, j’ai eu envie d’ajouter un aspect électronique. J’ai donc essayé de fusionner tout cela. C’est une belle idée, et conceptuellement, on pourrait sans doute arriver à la faire fonctionner sur disque, mais pour le théâtre ça fait trop, ça ne fonctionne pas, le spectateur s’y perd et ne peut plus apprécier la musique. Après Manchester, il a donc fallu que je me remette à ma planche à dessin, en quelque sorte, et que j’écrive une musique dans laquelle je me retrouve. »
« Enfant, je trouvais Alice au pays des merveilles très sombre. » Damon Albarn
Si la création musicale parisienne se révèle finalement assez sage, notre plaisir transgressif trouve son compte dans le reste de la création. Wonder.land part d’un postulat assez facile mais pourtant fort efficace : à notre époque, l’autre monde, celui de l’échappatoire, se trouve du côté du numérique et des réseaux. Et ce, de façon encore plus évidente pour la plus jeune génération, née dans l’ère connectée. Heureusement, la pièce ne tombe pas dans le piège du « c’était mieux avant » et laisse entrevoir des bienfaits à ces pratiques virtuelles.
Cette Alice 2.0 entre donc dans le terrier du lapin via son smartphone : elle navigue constamment entre les deux mondes. Quand sa mère ou sa prof lui parlent et tentent de lui faire affronter les réalités, elle se réfugie dans son écran et plonge dans une sorte de jeu en ligne où elle s’est créée un avatar à l’opposé de son apparence réelle. Dans ce monde virtuel, la quasi-totalité des personnages de Lewis Carroll est remaniée à la sauce « culture web », à l’image de la souris devenue un lapin crétin assoiffé de sexe.
La réussite de cette pièce tient également à sa mise en scène originale et assez étourdissante. Par des jeux de projections, de multi-écrans et de lumières, notre œil et notre cerveau se perdent dans un univers visuel où il devient de plus en plus difficile de distinguer la réalité du virtuel.
Ce Wonder.land se révèle assez jouissif et innovant et réussit à plonger la comédie musicale dans un univers jusqu’ici jamais traité, à notre connaissance du moins. A croire que dans le music-hall, tout peut être bousculé, sauf la musique.
Fuck. Faudrait chopper un exemplaire de la représentation originale pour avoir une idée de la pièce à son début.