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Who Are You Lutra Lutra ??, un retour en suspension

Pour leur quatrième album, Who Are You Lutra Lutra ?? signent six chansons pour vingt minutes d’une indicible profondeur et minutie, intitulées Remember the Lines, qui viennent clore près de trois ans de travail, de choix, de renoncements, et surtout d’inspirations.

Who Are You Lutra Lutra composent comme d’autres écrivent. Chaque virgule, chaque espace, chaque retour à la ligne, tout compte. Et s’il faut jeter un chapitre entier car il n’épouse plus le cadre, ainsi soit-il. Le plus déchirant reste alors le point final. Ce même point final aussitôt transformé en points de suspension. Car ensuite, c’est à nous, auditeurs, de nous emparer de ce qui ressemble fort à une offrande, à nous d’accepter la balade, à petits pas plutôt qu’à grandes enjambées. Puisque les Lutra Lutra ont pris tout leur temps, à notre tour de le prendre également. Non pas pour croquer à pleines dents chacune de leurs six chansons, mais plutôt les envelopper pour leur donner la chance qu’elles vivent peu à peu en nous, qu’elles nous fassent vibrer, dans l’intimité et le recueil qu’elles exigent.

Nous avons tous des chansons des autres qui sont un peu devenues les nôtres, une parcelle de notre propre histoire accolée à une bande son qui offre son réconfort bienvenu et pousse à partager, à s’ouvrir pour parler enfin. Si Remember the Lines ne devait n’être qu’une seule parole qui se libère, elle aurait la pudeur et la délicatesse du murmure, de la confidence susurrée à l’oreille de l’ami de toujours ou de l’inconnu de passage, à qui on laisserait entrevoir un bout de son âme, avec la retenue qui s’impose.

Devant ces mélodies, on repense à nos erreurs, et même à nos fautes, aux petites joies patiemment disséminées çà et là et qui construisent des vies plus heureuses. Quand on était mômes et qu’on croyait s’abîmer les genoux avant de nous apercevoir plus tard qu’au moins cette douleur-là était de celles qui disparaissaient. Quand on inquiétait nos parents avant que l’épreuve du temps n’inverse aujourd’hui les rôles. Quand le courage manquait pour saisir toutes les chances offertes. Quand on était à la hauteur pour saisir ou tendre la main, malgré les espoirs douchés. Tout cela pêle-mêle, car la mémoire, douce puis brutale, est la plus grande des traîtresses. Elle nous apprend que dissiper les brouillards d’une vie n’est que vaine tentative, voire pure vanité, et que ‘vivre avec’ reste encore la plus noble des réponses. Il nous faut des chansons pour nous armer de ce courage-là. Elles ont ici les apparences de la douceur et de la fragilité, cachent comme elles peuvent leur jeu avant de révéler leur véritable nature et jouer le rôle qu’on attendait d’elles : c’est bien leur force et leur puissance qui nous aident. Formidable paradoxe.

Ainsi, on écoute Remember The Lines comme on tente de rejouer certaines scènes de nos vies, celles qui ont jadis créé les fêlures et desquelles percent plus tard les puits de lumière qui nous font nous sentir vivants. Parait qu’on écoute d’abord de la musique pour ressentir pareilles émotions.

En creux, ces six chansons nous rappellent que derrière chaque hiver se cache un printemps.

Photo en une : © Pieter Morlion

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