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Vous conseiller le bouquin de La Rumeur serait un euphémisme

Avec « Il y a toujours un lendemain » sorti aux Éditions de l’Observatoire, Hamé et Ekoué grossissent et enrichissent un peu plus encore l’oeuvre de La Rumeur. Un portrait passionné qui entre en collision avec la société française, et ce depuis vingt ans. Notre soutien est total.

Il y a toujours un lendemain est né d’une rencontre avec François Forestier. Bluffé par le talent d’Hamé et Ekoué, il aurait suggéré aux MC de La Rumeur d’écrire cet ouvrage autobiographique. Le journaliste du Nouvel Obs a sans doute reconnu chez eux l’art de planter le décor et de filmer à hauteur d’hommes dans Les Derniers Parisiens, véritable peinture de mœurs, d’un Pigalle populaire qui s’ébranle mais s’accroche. Une fresque ayant le souffle du travail de David Simon (Treme, The Corner, The Wire), cernant l’âme d’un territoire sans distribuer des rôles de bons et méchants, et qui peint des vérités plus complexes, quand des individus sont impactés de plein fouet par les bouleversements économiques, gentrification, muséification et flambée des prix de l’immobilier à la clé.

On vous remet notre interview du duo à cette occasion.

Passer à l’écrit, sous le format papier, était dans les tuyaux des nombreux projets à venir de La Rumeur, cette rencontre aurait pourtant accéléré les choses. Une belle opportunité pour tous ceux qui par méconnaissance, comme François Forestier (« La Rumeur, un groupe de rap dont je n’avais jamais entendu parler. Je hais le rap »), ne se sont pas penchés sur les morceaux de bravoure du groupe. À plus forte raison, que ces deux-là ne sont pas adeptes des « numéros de charme » pour se vendre au plus offrant.

Pour ceux qui les écoutent et les suivent depuis le départ, ce bouquin peut se voir comme une version extended de l’oeuvre, avec les bonus du péplum de La Rumeur, et des trajectoires d’Hamé et d’Ekoué. Au fil des pages, les contours du groupe se précisent, les rappeurs se livrent sur le ton de la confidence et dévoilent tout un pan de leurs vies. De leur jeunesse en passant par leurs histoires familiales, leurs rencontres avec le rap, leurs influences littéraires et cinématographiques. Pour finir par l’événement qui aurait pu leur faire boire la tasse : les fameuses huit années de procédure judicaire et l’acharnement de la machine d’État suite à un billet d’humeur écrit par Hamé dans un fanzine dans lequel trois passages dénonçaient les brutalités policières. Ces derniers, selon Sarkozy à l’époque Ministre de l’Intérieur, diffamaient la police.

La Rumeur – Il y a toujours un lendemain

Il y a toujours un lendemain permet d’aller au-delà de l’étiquette apposée banlieusards, de Français issus de l’immigration, (voire de « non-souchiens » pour les appellations incontrôlées les plus barbares) car les deux artistes utilisent une grille de lecture en prise avec la réalité. Ils parlent de leur destin et de celui de leur entourage, sans passer par le prisme du miroir aux alouettes d’une France black-blanc-beur pour rassurer la « ménagère de moins de 50 ans », ni par la recherche du sensationnel des mecs de cité, « wesh wesh yo yo » produits de la banlieue et correspondants aux clichés des pires téléfilms diffusés sur nos chères chaînes télé : « le noir paresseux, le gitan voleur, l’algérien fourbe, le gars de cité délinquant, non. Derrière la façade il y a des hommes. Avec une histoire. Avec un bagage. Avec des émotions ».

Ekoué Labitey est originaire du Togo, « un petit Etat niché entre le Burkina, le Bénin, le Ghana. Un réservoir, pour les négriers. Une mine pour les colons », il a la gouaille des titis parisiens, hâbleurs et provocateurs, quand Mohamed « Hamé » Bourokba est introspectif et intransigeant, aux racines algériennes et à l’accent méridional, héritage de sa jeunesse passée à Perpignan. Ensemble, ils nous livrent deux regards croisés, deux imaginaires, qui se complètent et se confondent aussi naturellement que lorsqu’ils se mettent à rapper. Ekoué et Hamé prennent la plume à tour de rôle et interrogent la société française dans ce qu’elle a de plus trouble : son passé colonial, la Françafrique, ses clivages, la situation des quartiers populaires, les bavures policières, l’immigration et son consensus mou, pour « réhabiliter la figure du père », humilié et réduit à raser les murs.

la rumeur livre

Les lecteurs trouveront également la force du bouquin dans une mise en lumière des morceaux du groupe puisque, à chaque chapitre, est associé un couplet de ses titres phares, trait d’union à disposition des lecteurs qui n’auraient pas eu l’occasion de les découvrir. La plume des rappeurs est précise, aiguë, sensible et sans concession. Provocatrice et digne de Michel Audiard chez Ekoué, sensible, poétique et acerbe chez Hamé. Pour n’en citer qu’un, « Blessé dans mon ego » classique parmi les classiques, peut se lire également comme la colonne vertébrale de La Rumeur. Les chapitres s’égrènent, les mots sont nostalgiques quand ils parlent de leurs faits d’armes à Pigalle dans le Paris underground qui bouillonnait et d’où allait émerger le rap français.

La Rumeur – Blessé dans mon ego

Quand les MC parlent de rap, c’est avec passion et fierté : « Dans notre vie d’ados, on est en train de périr d’ennui, comme des rats morts. Et voici qu’arrivent des bombes atomiques comme public Enemy, LL Cool J, Ice Cube… », mais aussi quand il s’agit de leurs acolytes dans ce « sport de combat », Philippe alias Le Bavar (son couplet dans « Qui ça étonne encore ? » est éminemment remarquable), et les deux beatmakers Soul G et Kool M, apportant l’atmosphère et l’habillage musical – jazz et soul à l’époque, et plus électronique dans les derniers albums. Les mots sont emplis d’amertume et de lucidité quand ils évoquent les politiques de tous bords qui servent leurs « bouillies pour chat aux bonnes vieilles fêtes foraines républicaines ». Et les convictions jaillissent quand Ekoué parle des Damnés de la Terre de Frantz Fanon : « Une arme sur ma table de nuit », de Main basse sur l’Afrique de Jean Ziegler, et quand tous deux dénoncent les bavures policières.

Les deux MCs se sont donné les moyens de leurs ambitions : Hamé a suivi des cours à la prestigieuse Tisch School of the Arts, de l’Université de New York, une formation qui a « solidifié son envie de cinoche », quand Ekoué s’est formé à Sciences Po Paris pour « voir le système de l’intérieur » et « s’emparer des codes de l’élite ». A l’heure du mainstream et du prêt à penser, La Rumeur continue de creuser son sillon ; un autre film et un 5ème album sont en préparation. Comme un avertissement, Ekoué avait annoncé la couleur dans le projet Nord Sud Est Ouest volume 2, en 2009, sur le titre : « Il reste des sous à prendre ».

Ekoué – Il reste des sous à prendre

« C’est ça la Rumeur, t’inquiète, C’est plus qu’un groupe, c’est un projet d’vie
On en reparlera dans dix ans, t’as vu
On a toujours tout monté tout seuls
On s’est jamais corrompus, jamais pervertis
On a toujours avancé avec nos couilles
Heureusement qu’ça paye
Mais t’inquiète c’est que l’début
Ils entendront parler d’nous
Dans des sphères qu’ils peuvent même pas encore imaginer
Eh ouais mec, on n’a pas fait tout ça pour rien
Écoute-moi bien, on n’a pas fait tout ça pour rien
Ha ha ha! »

Plus d’infos sur le site des Éditions de l’Observatoire.

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