En 5 ans, les ventes de vinyles ont quintuplé, selon le syndicat national de l’édition phonographique. Mais entre la multiplication des microlabels, les rééditions à la chaîne de classiques par les majors et la crise sanitaire, la chaîne de production et de vente ne suit pas toujours… Résultat, le monde de la musique indépendante, qui a toujours soutenu le vinyle, se fait doubler par ceux qui l’avaient détruit.
On le sait, le vinyle, c’est tendance. En teuf ou dans le salon, les 33 tours sont partout. Pour preuve, le taux d’équipement en platine est en hausse constante ces dernières années (+20 % entre 2018 et 2019). Et même si le streaming est toujours largement en tête, le regain pour la musique matérialisée est bien présent : le vinyle se stabilise et représente 20 % du chiffre d’affaire des ventes physiques. En bonus, ce n’est plus un truc de boomer : 42 % des acheteurs d’albums vinyle ont moins de 30 ans (source : SNEP).
Mais le nouvel Âge d’or du vinyle n’est pas si idyllique qu’il n’y paraît. Contrairement à son petit frère le CD, il est beaucoup plus compliqué à produire.
Une fabrication laborieuse
En réalité, comment fabrique-t-on ces précieuses galettes noires ? Première étape, la gravure. La musique, préalablement masterisée, est fixée sur une laque, un disque, un “acétate”, à l’aide d’un stylet chauffant qui va y inscrire des microsillons. Vient ensuite l’étape de la galvanoplastie au cours de laquelle la laque est recouverte d’argent et de nickel, puis soumise à un courant à basse tension. On a enfin notre moule ! Il manque plus qu’à presser les vinyles sur un support PVC, en gros du plastique, à l’aide de la matrice que l’on a créée.
Malgré le nouvel engouement pour les LP et autres 45 tours, leur production reste chasse gardée. Il existe seulement deux usines au monde produisant les laques nécessaires à la réalisation de masters. Problème : l’une d’elles a brûlé au début de l’année. C’est la Apollo Masters Corporation, en Californie, États-Unis. La deuxième, MDC, basée au Japon, a donc dû mettre les bouchées doubles pour fournir le reste de la planète, tout ça en pleine pandémie.
Heureusement, la plupart des acteurs européens se fournissaient déjà chez MDC avant le drame. L’impact sur la production française a donc été moindre pour les presseurs et labels français. Antoine Bastien, cofondateur de Vinyl Records Makers, une structure de pressage artisanale en a directement ressenti les effets : « Tout le marché américain s’est retrouvé d’un coup sans matériau, donc il y a eu une période de flottement entre mars/mai, maintenant tout est revenu à peu près à la normale niveau délais. Mais depuis début septembre on constate que la qualité de la laque est en baisse, ce qui affecte directement le son du vinyle final. »
Il faut plus de 6 mois pour fabriquer une laque : les disques d’aluminium sont recouverts de nitrocellulose, un polymère hautement explosif, avant de subir un long processus de séchage puis de vérification méticuleuse. Une technique traditionnelle qui n’a pas beaucoup changé depuis le début des 33 tours, et un défi pour l’entreprise japonaise restante, qui s’est retrouvée à faire face à une demande exceptionnelle. Il existe toutefois une deuxième méthode, le DMM (Direct Metal Mastering), non pas sur laque, mais sur cuivre. Elle est plus rapide et économique mais beaucoup moins qualitative, elle fait perdre le côté “chaud” du vinyle, et reste moins utilisée.
Mais c’est au niveau de l’étape du pressage que le marché mondial du vinyle s’est déséquilibré.
Peu de presseurs
Car si Antoine Bastien a décidé de fonder Vinyl Records Makers, en fonctionnement depuis 2018, c’est en partie pour répondre à la demande grandissante et remédier aux délais de plus en plus longs. Si quelques petites entreprises comme la sienne ont vu le jour ces dernières années, en Europe seulement quelques gros acteurs se partagent le gâteau : les Allemands d’Optimal Media, les Tchèques de GZ Media, certaines usines en Angleterre et aux Pays-Bas et enfin le Français MPO, qui presse des vinyles en Mayenne depuis 1957. « C’est l’usine historique, explique le presseur de Châtellerault, avant c’était le seul intervenant français, et ils ont un savoir qui se compte en décennies, donc c’est très qualitatif. » Antoine Bastien chez Vinyl Record Makers y met tout de même un bémol : « Le problème, c’est qu’ils favorisent avant tout les majors, et les labels indépendants deviennent les victimes du succès du vinyle. »
« Les labels indépendants sont les laissés-pour-compte du système », Franck Descollonges
Un constat que partage Franck Descollonges, créateur du label Heavenly Sweetness Label, spécialisée en jazz et musique afro. « Cela fait trois, quatre ans que le marché est saturé par les majors. Quand ils sortent des rééditions des Doors ou de Bowie à des centaines de milliers de disques, ça bloque forcément les petits labels. Les capacités de production ne sont pas extensibles », se désole-t-il. Une situation aggravée par la crise sanitaire. « Avec le Covid, beaucoup d’usines ont fermé ou ont tourné au ralenti, mais la demande elle n’a pas stoppé voire a augmenté », souligne Franck Descollonges. Les délais de pressage sont ainsi passés de 6 à 15 semaines, et les prix se sont envolés. Un constat rageant pour le patron du label : « On a envie de soutenir les usines françaises, et ça marchait bien avant. MPO était content d’avoir les indépendants pour faire tourner ses machines et finalement on est les laissés-pour-compte du système. »
Du côté de Bordeaux, Sean Bouchard, du label pop-folk Talitres, se sent également floué : « Je ne suis pas certain qu’on ait la considération qu’on mérite, alors qu’on est client depuis 15 ans. » Pour lui, c’est évident : « Ils n’ont pas grand-chose à faire de nous, ils n’ont pas vraiment besoin de nous. Quand ça va bien, c’est parfait, mais dès que ça va mal, ils mettent leur priorité sur les majors et leurs commandes de 100 000 disques. » Au manque de reconnaissance s’ajoute un historique de bavures. « On a eu des soucis récents sur la qualité des vinyles, des annonces d’envois d’usines erronés, de mauvais test pressing et surtout ils ne reconnaissent pas leurs erreurs », signale Sean Bouchard. Cet allongement des délais est le problème de trop. Pour couronner le tout, personne n’a été prévenu en amont. « Les délais ont été rallongés de 6 semaines en cours de fabrication : résultat, les labels indépendants qui attendaient leurs disques pour le 5 octobre les attendent toujours. »
Embouteillages et passe-droits
Céline Lepage, déléguée générale de la Fédération Nationale des Labels Indépendants (FELIN) en est directement témoin. La période qui précède les fêtes de fin d’année est habituellement un moment clé du secteur du disque (40 % des ventes physiques annuelles), les demandes sont généralement plus fortes, mais en cette fin 2020, la situation a pris des proportions énormes. « On se retrouve avec des délais de fabrication qu’on n’a jamais eus, c’est un vrai embouteillage, remarque Céline Lepage. Les majors achètent à l’avance les créneaux dans les calendriers de production. Ils bloquent tout, résultat : il n’y a plus de place pour les indés. »
Avec la majorité des usines de pressage américaines encore fermées à cause du Covid-19, les grosses majors comptent sur l’Europe pour réussir à fournir tout le monde à temps pour Noël. Et avec des productions à 30 ou 40 000 pressages, les labels indépendants se retrouvent coincés. « On doit attendre, décaler les sorties, sortir en premier les albums en CD ou en numérique, mettre les vinyles en précommande » déplore Céline Lepage. Une chose est sûre : pas de nouveaux disques indés sous le sapin cette année. Le géant français MPO, n’a malheureusement pas répondu à nos sollicitations.
« Le paradoxe, c’est que le retour du vinyle ne profite pas beaucoup à ceux qui lui sont toujours restés fidèles », Bertrand Burgalat
Du côté du syndicat national de l’édition phonographique (SNEP), Bertrand Burgalat confirme les difficultés du secteur. « Le paradoxe, c’est que le retour du vinyle ne profite pas beaucoup à ceux qui lui sont toujours restés fidèles, observe le président du SNEP qui est également musicien et patron du label Tricatel. Je ne blâme personne, les boîtes comme MPO ont eu le mérite de continuer à produire tout le temps, mais le vinyle est victime de son succès, même s’il est relatif : on a beaucoup moins de volume que pendant l’âge d’or des 33 tours, mais aussi beaucoup moins d’usines. » Le pressage, dont les techniques sont en vigueur depuis des dizaines d’années, nécessite un matériel particulier, qui fait défaut. Bertrand Burgalat le constate : « C’est avant tout une industrie métallurgique, et le problème est qu’on a du mal à refabriquer des presses et à équiper de nouvelles usines en machines. »
Soutenir les indépendants
Pour clôturer la belle année 2020 le monde du disque vinyle subit un nouveau revers : aux soucis de productions et à la fin des concerts s’ajoute la fermeture de tous les points de vente physiques, avec un deuxième confinement. La SNEP estime qu’en « un mois de reconfinement on va perdre ce qu’on a perdu en deux mois du premier confinement. » Une catastrophe pour ce secteur déjà affaibli, et « délaissé ».
Ne reste plus que le click-and-collect et les commandes sur Internet. Mais contrairement à l’industrie du livre, qui a obtenu des frais d’envois symboliques de 0,01€ pour les livres de librairies indépendantes, la galaxie des LP est la grande oubliée.
Et évidemment, cela touche en premier lieu les indépendants. Céline Lepage de la FELIN, veut alerter le public : « C’est important que tous les amateurs de musique se mobilisent. Si on arrive à aller acheter son panier bio pour soutenir un producteur local, il faut avoir le réflexe de faire pareil pour les labels et disquaires indépendants. » Pour répondre à la crise, la fédération des indépendants a sélectionné 39 albums, que l’on peut retrouver dans les points de vente sous le label Indies First, afin d’attirer l’attention des acheteurs. En parallèle, ils ont aussi publié une ressource précieuse : une carte interactive, pour retrouver tous les disquaires faisant du click-and-collect en France. Grâce à toutes ces opérations, Céline Lepage espère inciter à supporter les labels en crise : « il faut continuer de commander des disques ! »
Photo en une © Vinyl Factory Manufacturing
Bonjour, article intéressant, merci.
Une chose quand même, ce qu’il manque à cette industrie à mon sens, c’est une complète transparence sur ce que l’on achète, en particulier des précisions sur le mastering : achète t’on un produit 100% analogique comme jusque dans les années 1980 achète t’on une bande son numérique (copie de CD) gravé sur un support analogique ? Impossible à savoir, rien sur les pochettes … (AAA, DAA) – Du coup, mieux vaut acheter un disque de 50ans d’age pour être sur du produit !
Je pense que la plupart des disques qui sortent à l’heure actuelle ont une source digitale. Ceux qui continuent à faire du « full analogique » (depuis la prise de son jusqu’au produit final) le mentionent sur la pochette car c’est un argument de vente….
Personnellement j’achète principalement mes LP d’occasion auprès des petits vendeurs (boutiques et bourses), vinyles qui ont une bien meilleure qualité sonore (si ils sont en bon état bien sûr) que les pressages actuels en général. Pas la peine de mettre du 180 grammes si le son est pourri, on veut connaître la source du pressage ! Salutations musicales !
bravo longue vie à nos artistes longue vie à nos labels
Bonjour, ce résumé est très intéressant merci.