C’est souvent une seule et même réflexion qui hante les esprits de ceux qui vieillissent : jusqu’à quel âge peut-on aller en festival ? Comment s’adapter au temps qui passe, sans tomber dans le jeunisme ni devenir un vieux con ? C’est quelques unes des questions que l’on s’est posées, tout au long d’un week-end intense aux Vieilles Charrues. Voici quelques confidences entre deux amis en guise de débrief, autour d’une conversation (presque) imaginaire.
Alors mon grand, ce festival ?
Écoute, je suis un peu rincé. Mais heureux. Encore un week-end hors du temps, pour vider son cerveau. C’est si précieux. Tu sais, tu me demandais la semaine dernière si, un jour, je pourrais en avoir marre d’aller à Carhaix. Mais en fait, non.
Mais t’es pas trop vieux pour ces conneries ?
C’est un peu comme les sportifs comme toi : il ne faut pas faire l’année de trop. Tiens regarde, je n’avais même pas passé la fouille du camping qu’un gars, bourré certes, me traitait de papy et me proposait une canne. Plus loin, un autre type, plus âge que moi, me signalait au passage que j’avais ramassé un coup de vieux. Sans compter les trois comparaisons avec Jérémy Toulalan pendant le week-end.
Donc voilà, ça y est, t’es trop vieux.
Bah non. Je serai trop vieux quand je râlerai sur les jeunes qui me bousculent pour se placer sur Flume (très bon d’ailleurs, tu connais ?). Je serai trop vieux quand j’arrêterai de me marrer aux blagues potaches et scato de mes voisins. Je serai trop vieux quand je refuserai un free hug. J’en suis pas encore là.
Sinon, cette édition, alors ? Y’avait du monde ?
Un carton. La troisième plus grosse affluence de leur histoire. Au total, on était 250.000. Dans le fin fond du Finistère, tu te rends compte ? C’est insensé. Il manquait plus que toi, espèce de feignasse.
Oh ça va. Tu seras où pendant j’irai au Festival du Bout du Monde, toi ?
Un point pour toi.
Et ça a marché parce que la prog était meilleure que d’habitude ?
Pas forcément. Tu sais, ici, c’est comme Noël en famille. C’est un rendez-vous. Les gens se l’offrent en cadeau d’anniversaire. Ou à Noël justement. Même s’il y avait de grands noms, comme toujours. Sinon, t’es mort.
Oui, je les connais, les grands noms. Par contre, je suis un peu largué sur le reste de la prog. J’ai loupé quoi, en découverte ?
Feu! Chatterton en ouverture de la journée du vendredi, par exemple. Ces mecs ont une classe folle. Dans leur jeu, dans leur textes, dans leur adresse au public, également. « Bonjour, nous sommes Feu! Chatterton, cadavre exquis à votre service.« . Je pense que ça t’aurait plu. Tu sens une vraie ambition littéraire, ça rappelle quelques beaux ainés du rock français, si tu vois de qui je veux parler.
Oui, c’est bon, je vois, vu que tu m’en parles tous les trois jours. Mais fais gaffe quand même, faire référence aux anciens groupes, c’est pas ça qui va te rajeunir…
Je m’en fous. Et d’ailleurs, les textes de Feu! Chatterton me donnent plutôt raison. Un bout de leurs textes m’a marqué : « Il n’y a pas d’âge pour avoir de vieux démons« . Dimanche, Dominique A m’a même rappelé que j’étais « immortel« .
D’autres concerts t’ont marqué ?
The Do, l’un des points culminants du week-end. Tu vas encore me dire que c’est parce que je suis un peu amoureux d’Olivia, sa chanteuse. Mais leurs compositions et la manière qu’ils ont de leur donner vie sur scène portent la marque des grands groupes. J’ai également adoré SBKRT, Isaac Delusion et Puts Marie (photo) toujours aussi étonnant de fantaisie et de belle nonchalence. Mais bon les Charrues, c’est aussi et surtout un sacré brassage. Tu passes du coq à l’âne.
L’âne, c’est Calogero ?
Arrête, ce fut l’un des cartons du festival, espèce de snob. Alors d’accord, j’ai passé la moitié du concert à me moquer de lui et l’autre moitié à m’ennuyer. Mais le gars met une telle sincérité dans ce qu’il fait. C’est à la fois toute la bizarrerie et la beauté de ce festival. Dis toi qu’en 2 heures, on a enchainé « En apesanteur » de Calogero, « Midnight sun » de Isaac Delusion et « Smack my bitch up » de Prodigy. Le lendemain, 65.000 personnes entonnaient « We are the world » avec Lionel Richie et une chorale de gamins bretons, dont certains pleuraient d’émotion. Et tu as même Joan Baez qui a eu l’élégance de reprendre des titres engagés en français (Brassens, Boris Vian), et carrément en breton avec « Tri Martolod » de notre bon vieux Alan Stivell. 74 piges et Woodstock dans les pattes, la Joan Baez. Encore une preuve que la vieillesse n’est pas toujours un naufrage, tu vois.
Ok, et sur ta lancée, tu vas aussi me dire que le concert de David Guetta était un grand moment de communion.
Euh.. Non.
Bah alors, tu viens de me dire que les Charrues, c’était la diversité, de la musique pour tous les goûts, bla bla bla.
Oui, c’est toute la complexité du truc. Faut-il mettre une limite ? A quel moment on tombe dans l’entertainment ? Peut-on imaginer, par exemple, tourner un jour les serviettes avec Patrick Sébastien comme animateur de service ? Tu imagines la scène, un peu ? Tu sais que j’aime bien aller parfois en boite de nuit danser sur tout et n’importe quoi. J’adore aussi les medleys. Est-ce que pour autant, j’ai envie de voir ce festival devenir cette même boite de nuit, mais à ciel ouvert avec un mec aussi imbuvable pour servir les plats ? Bah non, j’ai pas envie. Mais quand tu regardais la densité et l’énergie de la foule, le pari est réussi et les esprits rageux comme moi sont largement minoritaires. La question s’était également posée avec les humoristes. Gad Elmaleh et Jamel ont cartonné ici. Si Florence Floresti venait, elle ferait un triomphe. Peut-être que les Charrues, à l’avenir, franchiront d’autres barrières, je sais pas. Mais alors le Guetta, pour moi, c’est non.
C’est parce que tu deviens un peu réac avec l’âge. C’est pas grave, tu sais...
Oh arrête avec ça. Sur ce, je vais te laisser. J’ai une lessive à faire et mes pompes qui prennent encore l’eau à enlever. La bise, mon pote.
La bise. Repose-toi bien.
Crédit photo : Denoual Coatlaven
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