Comme pratiquement chaque année depuis que je suis en âge de faire n’importe quoi une fois la nuit tombée, moi et ma sheitanerie on n’hésite jamais longtemps pour aller se salir sur les terres de Francis Le Basser et de Jacky de l’Amour est dans le Pré. A l’époque du lycée, avec mes potes, on y allait pour assister à nos premiers concerts, progresser dans ce n’importe quoi et éventuellement gratter une galoche, maintenant ça fait partie avec Noël des rares moments où à trente ans bien tassés on retourne goûter à la douceur de cette ville qui nous a connu full sébum.
C’est aussi l’occasion de faire un bisou, entre deux hangovers, à des darons toujours inquiets de voir que rien n’a changé depuis le bac si ce n’est notre peau et une capacité de résistance en pleine débandade. On ne va pas se mentir, on ne va pas au festival des 3 Eléphants pour le système son. Depuis son arrivée sur le parking de la salle polyvalente aka la Salle Po’, le festival n’a jamais réussi à atteindre un niveau digne des artistes qui viennent s’y produire. Mais en vrai, on s’en fout.
Ce qu’on aime c’est l’absence de soleil dans des rues piétonnes bordées de remparts et de maison à colombages, c’est (pour ceux qui ont un passé de troubadour en sarouel et Osiris fabriqués au Vietnam) les spectacles d’arts de rue disséminés un peu partout en ville, c’est éclater des pintes au Village en demandant à celui ou celle qu’on ne voit qu’une fois par an au même endroit « Et toi tu fais quoi maintenant ? », aller dans les chiottes publiques de la porte Beucheresse à plusieurs et avoir peur d’y trouver un bout de pain et surtout d’avoir le sentiment que depuis l’arrivée de Perrine Delteil à la programmation, cet event qui a lui aussi largement l’âge d’être un sheitan se recentre sur ce qu’on aime, à savoir le rap et les musiques électroniques (coucou les gens qui aiment bien voir et écouter de vrais instruments) : Etienne de Crécy, Koba LaD, Josman, Caballero & JeanJass, ATOEM, Sebastian, Thylacine, Flavien Berger, Flohio, Oktober Lieber, Les Gérards, Moonshine, ça nous ferait presque oublier que Tryo est venu jouer ici il y a quelques années et ce n’est pas un mal.
C’était pas une bonne idée de prendre un covoit à 14 heures avec une heure de sommeil et un pilon dans les pattes. Je le sais, je l’ai déjà fait mais j’ai toujours eu quelques difficultés à tirer les leçons du passé. Bref ! Comme une envie permanente pendant deux heures de maintenir cette putain de fenêtre ouverte malgré la clim’ et de dire à Pauline, étudiante en langues étrangères à la fac de Nantes, « arrête-toi là bordel, j’vais finir à pied » Autant dire que l’arrivée à Laval est une délivrance. Ce qui n’était pas le cas du set de Flavien Berger sous le Patio. J’étais pourtant à deux doigts de me laisser aller et de me dire que j’étais bien con de n’avoir jamais vraiment creusé le sujet (ce que je vais faire) quand ses interventions souvent gênantes entre les morceaux ont pris le dessus dans ma tête. Dommage, car il peut vraiment être drôle dans l’absurde en interview mais là ce n’est pas passé. Apparemment, il aurait aussi fait un nouveau track en anglais mais comme je ne connais pas sa discographie et que je n’ai pas shazamé, je préfère parler au conditionnel. Ça enchaîne avec Caba et le double J dans l’Arène, bon on connaît, on est pas surpris mais c’est toujours un plaisir d’écouter « Mon Nom » en live, d’en mettre plein plein plein et de les voir faire les zinzins avec un Eskondo au top de sa forme dans son DJ booth taillé dans une demie-voiture de cain-ri.
Sinon, on trouve toujours sur la droite en entrant, le Patio justement, que Bifty et DJ Weedim avaient bien niqué en 2018, en face l’Arène dans la Salle Polyvalente, et sur la gauche le Club, où, l’an passé, Loud avait donné un concert épique sous la pluie après plusieurs heures de retard. 22h45, Flohio débarque sur scène avec des productions sur-vener qui donnent envie de se mettre en Y et d’élever des Pitt’ dans une cave. La Londonienne de 25 ans, ancienne graphiste chez Ninja Tune, lâche clairement le meilleur set de la soirée devant un public qui n’est pas prêt du tout. Les têtes bougent à peine face à celle qui en 2018 est passé chez Colors, a collaboré avec Modeselektor sur Wealth et a envoyé le rugueux « Wild Yout », track tiré de l’EP éponyme sorti en 2018. EP sur lequel on retrouve « Toxic », qui porte bien son nom et qui avec Wayo (featuring Cassive) sorti sur Nowhere Near (2016), son premier EP, m’ont clairement matrixé le crâne. Quarante-cinq minutes d’une rare intensité, durant lesquelles j’ai éclaté mon quota de pilons de la nuit au milieu d’enfants portant des casques anti-bruits et réchauffant la nuque de leurs parents avec leur entre-jambes.
Je me dirige ensuite vers celui qui, après avoir tourné cinq ans avec Beat’sN’Cube, vient présenter son nouveau projet Space Echo, joué pour la première fois à la Philharmonie de Paris en avril dernier, Etienne De Crecy. Une fois de plus ça ne rigole pas niveau scénographie pour celui qui considère le live comme un mode d’expression à part entière plus que comme une simple transcription vivante d’un album. J’ai du mal à comprendre ce qui se passe avec toutes ces formes lumineuses et ces sonorités qui en ont rendu fous plus d’un dans les 90’s. Cette heure et quart de techno froide comme la joue de ma grand-mère me fait presque oublier le lieu dans lequel je me trouve.
Ce vendredi se poursuit avec Les Gérards en DJ set et comme à chaque fois que j’entends « Barbie Girl », je me barre. Du coup, je me fais chier en attendant les Rennais d’ATOEM, qui heureusement clôturent parfaitement ce troisième jour de festival. On est clairement dans une expérience sensorielle. Avec leur musique concrète à base de synthés modulaires, de voix, de sons qui s’étirent jusqu’à l’electro-clash et l’attrait qu’il y a à les regarder s’activer devant mille câbles, on a juste envie que ça dure et d’attendre que le jour vienne surligner nos visages en surplus de bagages.
Le lendemain, en attendant l’interview du collectif Montréalais Moonshine calée à 19 heures (coming soon sur Sourdoreille), je traîne ma hangover entre le Village et l’Esplanade du Château-Neuf. Je croise les potes de l’association Au Fond à Gauche, acteurs des nuits lavalloises depuis moultes années et tenanciers du salvateur bar à eau sur la dite esplanade. On ne sait plus si c’est le soleil ou l’alcool à l’origine de leurs têtes de marins mais je sens qu’on va dépasser la barre des deux grammes (2,2 grammes au stand de prévention pour le vainqueur). Comme chaque année, on retrouve aussi juste à côté du Village, les associations Rock à Sauce et T-Paze (pourvoyeurs de sheitanerie et de soirées techno en Mayenne) à faire n’importe quoi dans leur Freaky Club.
De la taille d’une cabane de jardin, leur mini-club sait comment foutre le bordel et faire patienter ceux qui veulent monter et les autres qui ne sont pas redescendus. Après quelques bières, un moment chill assis dans l’herbe à fumer un spliffton, j’arrive requinqué sur le site. Trop tard pour Maxenss mais pile à l’heure pour Josman sous le Patio. « Sourcils Froncés », « L’Occasion », « J’aime bien », « XS, « V&V », « Un Zder », « Un Thé »… et un « Easy Dew » « pétasse » derrière les machines, le gars vient de plier ce début de soirée. Grosse présence scénique et gros bordel dans le public, pour celui qui est aussi passé chez Colors il y a quelques mois. Josman, au milieu des tracks qui parlent de son quotidien, de weed et d’oseille, c’est aussi le mec qui arrive à trouver entre romantisme et salasserie la posologie parfaite pour parler d’amour.
Et là, je suis en train de me demander ce que j’ai foutu entre la fin de Josman à 22h10 et le début du set de Koba LaD une heure plus tard. J’ai sûrement dû m’éloigner de tout ce qui était pop et rock indé pour aller vérifier si mes potes Lavallois squatteurs du VIP en était au moins sortis une fois pour aller voir un concert. Mauvaise pioche, les mecs n’ont pas bougé leur cul. Je voudrais en profiter pour claquer la bise au flic en civil qui nous a suivi pendant un moment pensant qu’on l’avait pas cramé. Hey Jean-Ninja, on t’a vu avec ton oreillette et tes envies de clés de bras. Toujours est-il que je me retrouve devant le rappeur d’Ivry signé chez Def Jam et que même sans avoir réellement diggué sa discographie, en dehors de « RR 9.1 (feat. Niska) » et « Train de Vie », c’est exactement ce dont j’avais besoin à ce moment là. De la trap, de la moula et beaucoup de Quechua. Comme avec Josman, le public du Patio, dont une partie (sauf celle qui porte des bandanas) pourrait être mes gosses, est en ébullition devant celui qui nous a droppé il y a quelques jours un featuring en direct de la Castellane avec le Marseillais 100 Blaze.
Il est minuit et j’ère entre le set de Thylacine dans l’Arène et celui d’Oktober Lieber sur la scène du Club en attendant que Moonshine vienne réchauffer le spot. Venus pour un DJ set, Pierre Kwenders, Félix Brochier, Boycott, et Uproot Andy ont laminé à coup de coupé-décalé, de bass music et de rap français, le peu de lucidité qu’il me restait. Les Montréalais ont mis au public mayennais ce qui est pour moi le coup de pression de la nuit. Créé par P. Kwenders, Congolais d’origine installé au Canada depuis plusieurs années, le collectif s’inspire clairement de l’esprit de la culture rave dans son fonctionnement (infoline, lieu et line-up tenus secrets jusqu’au dernier moment) et n’est pas sans faire penser à 2 Many DJ’s sur la forme, tant il jongle d’un style musical à l’autre, capable d’enchainer un track de Papa Wemba avec un Réseaux de Niska. Les visuels de June Barry aka Boycott achèvent mes pupilles dilatées et mon cœur en tachycardie.
Le sans-contact plafonné et les poches vides, je vais me coucher sachant très bien qu’une fois de plus ça ne va pas être gagné pour s’endormir.
Crédits photos : Gaëlle Evellin (ATOEM) et Yoan Hautbois (Etienne de Crecy, Josman)
une façon d’écrire très pertinente, mais qui ne manque pas de spontaneité , j’adore; bonne continuation;