Mansfield. TYA, si un rappel est nécessaire, c’est le duo formé par Rebeka Warrior et Carla Pallone. Leur cinquième album, Monument Ordinaire, est sorti en 2021 et donne lieu à une longue tournée qui s’achèvera par un Olympia le 1er Novembre 2022 : une première ! En ce qui nous concerne, direction Le Métronum, salle toulousaine, pour une soirée tout sauf ordinaire.
Le concert est tant attendu qu’il est complet quelques semaines avant la date toulousaine au Métronum. Certaines personnes sont venues d’assez loin pour y assister : Ariège, Lozère et même Montpellier. Ça annonce la couleur ! Un noyau dur est là, mais notre duo semble bien avoir gagné en notoriété depuis quelques années. Sans doute est-ce l’effet des projets parallèles comme Kompromat et d’un univers visuel riche et singulier qui attire les amateurs du genre. Leur musique est aussi devenue nettement plus accrocheuse.
Voici donc le compte rendu du concert, espérant qu’il sera un support de souvenirs pour les uns, une envie d’aller les écouter pour les autres ou une occasion d’agacement parce qu’il « n’a rien compris celui-là ».
Le concert commence pour la traditionnelle première partie : sur scène la jeune et prometteuse Suzanne Belaubre qui, bien qu’intimidée et un peu inhibée de jouer devant ses « idoles », propose un set très « chanson contemporaine un peu urbaine » (désolé…) par lequel elle a su capter et rendre une partie du public attentif.
Puis vient un long changement de plateau, conséquence d’une scénographie ambitieuse signée Jean – Maxence Chagnon (qui travaille aussi avec Vitalic). Tout est prêt, tout est en ordre : on est serrés, collés les uns aux autres. Après les évènements que nous avons collectivement traversés et depuis que les concerts peinent à attirer 60 personnes, je peux dire combien ça fait du bien d’être agglutinés les uns contre les autres. Et d’avoir chaud.
Mansfield. TYA entre en scène sans tambours ni trompettes, dans une salle pleine à craquer, impatiente et bouillonnante. Le concert débute en douceur par le très beau La nuit tombe – choix surprenant, car ce morceau est le dernier de l’album Corpo inferno – puis vient Le parfum des vautours. « Le soleil se couche je ne me couche pas », « la nuit tombe je ne tombe pas », « l’aube se lève, je ne me lève pas »//« Ma beauté ma chérie/ Comme le temps est loin/ Où tu étais ici/ Qu’il s’enfuit le parfum/Que je croyais sentir toujours » « Quand tu es partie j’étais en plein déclin. » Le thème est posé : la mort, le deuil, la souffrance.
Le thème étant posé, il ne faut pas se laisser abattre en entendant « les mouchoirs nous les jetons en pleurant derrière nous. » Puis l’ambiance prend une tournure plus électro catchy avec Ni morte ni connue suivi de la chanson d’amour Bleu Lagon, moment de l’une des premières adresses au public « On va faire la fête à en crever ! »
Message reçu : les corps s’échauffent ! C’est à ce moment-là que les premiers soutiens-gorge ont commencé à voler en direction de la scène : « on s’arrêtera à huit » plaisantera plus tard Rebeka Warrior.
Mansfield. TYA est réellement attentif au public, et lorsqu’il est déchaîné ce n’est pas facile : « arrêtez de me faire rire, je n’arrive pas à me concentrer » lance Rebeka Warrior aux filles du premier rang qui, à moitié dévêtues, la chauffent explicitement.
Et s’il y a dans l’attitude de la chanteuse une forme de distance, c’est sans doute bien plus à mettre sur le compte d’une pudeur, d’une retenue (qui pourrait surprendre ceux qui ont vu Sexy Sushi en concert) que d’une froide distance professionnelle du type « je fais le job ».
Aussi, ne l’oublions pas, les chansons du nouvel album sont traversées par l’expérience du deuil, chacune d’elle est une stèle dans ce Monument Ordinaire. Ordinaire, car l’expérience de la mort l’est, mais aussi douloureuse. Supposons donc que leur donner vie par la scène transforme le concert en cérémonie émouvante et cathartique.
On note d’ailleurs, au fil du set, une évolution dans l’attitude de Rebeka Warrior. Ses rares et brèves interventions, bien souvent prononcées d’une voix basse presque enfantine, deviennent plus fréquentes dans la deuxième moitié du concert, comme ce touchant « c’est ma préférée » murmuré à la fin de Soir après soir ou encore la surprenante inversion des rôles avec « on se demandait si on allait avoir droit à un autre morceau » prononcé au moment du retour sur scène du premier rappel.
Après Bleu Lagon, les chansons de Corpo Inferno et Monument Ordinaire s’alternent : Gilbert, L’acque Fresca, Auf Wiedersehen, BB, puis Tempête, sans doute le climax du concert avec son long final au thérémine joué par Carla Pallone. Cette séquence survoltée se poursuit avec Les Filles Mortes — mais sans François des Béru — et son imparable refrain à deux voix. Petite accalmie avec A Forest, reprise de The Cure, puis Soir après Soir. On retrouve nos esprits avec La montagne magique. On approche de la fin.
Tout le concert s’est articulé autour d’un équilibre entre morceaux électro/new-wave et chansons plus douces, intimistes parfois – peut-être pas assez nombreuses pour un fan du minimalisme plus organique de la première heure.
À quelques nuances près (longueur, etc.) les chansons restent globalement assez proches du son produit sur les disques, mais sont puissamment incarnées et mises en scène dans une scénographie dont la fonction rituelle semble limpide.
En effet, toute cérémonie a besoin d’un lieu : la scénographie prend ici cette fonction. Monument, mais ordinaire, à la fois haut, majestueux, clos et fragile le décor en tissu prend l’allure d’une cathédrale, d’un temple ou d’un théâtre ; qu’importe. Et l’évolution du comportement de Rebeka Warrior va de pair avec une évolution de la lumière. Au début tout est aplat de couleurs, saturations de bleus, de rouges : la lumière emplit l’espace. Puis elle devient plus rythmée et enfin plus dépouillée au moment des rappels, quelques éclairages de salles aussi : tout cela afin de pouvoir échanger, de voir et de profiter de son public : sorte de clôture d’une cérémonie par laquelle on va mieux, un peu… C’est fort, très fort ! Et ce d’autant plus qu’on peut très bien ne pas le voir et que cela n’enlève rien au côté festif et dansant du concert.
Je pose ici l’hypothèse que cette scénographie, tout comme l’attitude sur scène et son évolution, revêtent une dimension de rituel : de date en date, le faire le refaire, encore et encore, sorte de purgation païenne et festive. Mieux : de purgation par la fête ; c’est plus qu’un spectacle. Et le public est bien là : « on aime quand vous criez entre les morceaux ». Tout cela fonctionne bien : le public est embarqué et danse lorsque cela s’y prête et écoute attentivement lorsque le morceau nous y invite. Très peu passent à côté.
Mais le deuxième rappel par le public insatiable est bruyant ! Et « la berceuse » Petite Italie a besoin de silence : « calmez-vous les enfants ! ». En effet le silence est nécessaire, car le rite touche à sa fin : la vie et la joie pointent, chantées à deux voix : « Ne vois-tu pas le soleil tendre ses rayons d’or vers notre abri ? //N’entends – tu pas le vent répandre ses caresses et ses mélodies ? //Ne sens-tu pas ce parfum d’ambre//d’immortelles et de petite Italie ? ».
Un moment très beau a vu le public si enthousiaste et présent qu’en plein morceau Rebeka Warrior en a perdu son texte, son chant et que sa complice Carla Pallone a continué, seule, à chanter. Le rite est fini et « dans notre corps comme un tambour résonnent le sang et la vie », « il est si doux d’être au présent (..) », « au loin les souvenirs. »
Le concert se termine après une heure dix, durée raisonnable sans être vraiment long non plus. Personne ne semble vraiment décidé à quitter la salle ni les lieux. Tout le monde semble joyeux, tout le monde parle avec tout le monde : il y a une ferveur palpable dans l’air, et c’est beau.
Les souvenirs de ce concert, eux, nous ne voulons pas les envoyer au loin.
*Compte rendu de concert réalisé avec les retours et l’œil de Fabien Dupouy.
#modepanique
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