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Un petit bout du monde dont on rêve

Est-ce une hérésie ou une évidence de proposer un festival fortement axé sur les musiques des différents continents lorsqu’on est situé dans l’un des endroits les plus reculés de France ? Nous parlons ici de la sublime presqu’île de Crozon. Le bout du Finistère, lui même bout du pays. Le bout du bout. Pour certains, Le bout du monde.

L’endroit, quasi-insulaire, ne devrait-il pas être, par essence, un chaudron culturel où seule la culture locale se propage ?

Après trois jours passés sur place, la question semble désormais totalement caduque. Au Bout du Monde, l’identité se conjugue au pluriel et dans toutes les langues parlées et chantées. Au bout du compte, il faut se rendre à l’extrême ouest de la France pour se rassurer sur un horizon lumineux et solidaire.

Après deux années d’absence-Covid, le festival du Bout du Monde était donc de retour à Crozon pour trois jours de célébrations de toutes les musiques. A rebours de la tendance 2022, le festival n’a pas cherché à faire différemment des éditions précédentes : même nombre de jours (3), même nombre de scènes (3) et surtout même jauge maximale : 20 000 par jour, sur un site qui pourrait, potentiellement, en accueillir quatre fois plus. Le tout avec une politique tarifaire toujours aussi attractive : 78 euros les trois jours. Le prix d’une journée dans certains mastodontes européens.

Résultat : le festival affichait complet, comme c’est le cas chaque année, sans exception, depuis 2005. Car au-delà de la belle affiche (pour un tarif ultra-compétitif) et de l’emplacement de rêve du festival, ce qui  fait revenir le public au BDM, c’est l’esprit Boudu. L’amour de la fête, de la musique, de la légèreté mais aussi l’amour des autres. Au Bout du Monde, on a tantôt l’impression de voir une énorme fête de village où tout le monde se connaît, et tantôt un festival où le public vient s’ouvrir à d’autres cultures et cherche à rencontrer de nouvelles personnes. Et c’est bien ça l’esprit Boudu : à la fois ces deux phénomènes, d’ultra-proximité et d’identité locale et d’énorme ouverture sur les autres.

Avec cette volonté de ne pas grossir en jauge, le Bout du Monde apparaît comme un petit festival parmi les gros. Ou un gros parmi les petits. Il fait ainsi partie de ces festivals où aucun autre groupe ne joue quand un artiste se produit sur la grande scène, où il n’y a pas d’écran. Petite subtilité à Crozon : lorsque la grande scène ne joue pas, le public a le choix entre deux autres « petites » scènes, qui jouent en simultané. Avec la particularité que ces groupes jouent pour la plupart deux fois dans la journée. Si cela doit être assez étrange pour les artistes, cela présente l’avantage de pouvoir organiser sa journée et de pouvoir potentiellement découvrir tous les artistes de la programmation.

Car si cette édition 2022 nous a permis d’apprécier des artistes qui occupaient déjà nos cœurs et nos oreilles (Thiéfaine, Lavilliers, Gaël Faye, Rodrigo & Gabriela, Thylacine…), c’est surtout sur les deux « petites » scènes que nos souvenirs restent les plus forts. Le BDM nous a ainsi permis de découvrir la superbe Liraz Charhi. Née en Israël, la chanteuse et comédienne renoue avec ses origines iraniennes et crée un univers musical très moderne avec des sonorités traditionnelles.

Autre découverte, du côté de l’Italie, avec Le Canzoniere Grecanico Salentino, véritable institution dans la musique traditionnelle de la région des Pouilles. Véritable hymne à la danse et à la fête, les Italiens ont retourné le chapiteau du Bout du Monde, avec des moments musicaux qui pouvaient presque faire penser à de la musique celte,  contribuant, s’il en était besoin, à la folie du public.

Dans cet esprit d’une communion entre le public et des artistes pourtant peu connus et aux univers musicaux très lointains, l’apogée de cette édition 2022 fut sans aucun doute le deuxième concert du Finlandais Antti Paalanen. Si son premier concert de l’après-midi avait déjà retourné le public présent, celui à 1h du matin fut un véritable chaudron de danse/slam/cris. La joie et la folie. Antti a beau venir de milliers de kilomètres au nord de Crozon, tout le monde avait l’impression qu’il jouait chez lui, avec son public. Car, l’espace d’une heure, ce public a bien fait corps (et sueur) avec lui.

Ils venaient de Finlande, d’Israël ou d’Italie, et ils ont tous semblé être comme chez eux dans ce Bout du Monde, à l’image des gamines de Star Feminine Band, qui ont eu le privilège de jouer sur la grande scène, devant près de 15 000 personnes, toujours aussi enthousiastes. Car ce public, majoritairement breton (voire finistérien), prouve que la défense de son identité locale est totalement compatible avec l’ouverture vers les autres cultures. C’est même en s’ouvrant aux autres qu’on défend le mieux son identité. Et celles des autres. L’esprit Boudu l’a bien compris, depuis de longues années. Et c’est sûrement bien plus important qu’une course au gigantisme et aux énormes têtes d’affiche.

Photo en une © Nicolas Le Gruiec

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