Retour sur la pas-gagnée-d’avance édition 2020 du Festival Mofo (pas à Mains d’Oeuvres) ses cris, ses rires et ses expérimentations, de Balladur à Apollo Noir en passant par Karel, Lyra Valenza et Dr(drone). Hihi.
Il y a des nouvelles qui donnent du baume au cœur, en ce début de décennie. La réouverture du lieu culturel Mains d’Oeuvres à Saint-Ouen en fait partie. Hasard du calendrier, l’édition 2020 du Festival Mofo (historiquement tenue dans ses locaux), s’est déroulée une semaine seulement après la victoire par KO au tribunal, dans différents lieux de Saint-Ouen et du nord-est parisien. De quoi profiter en direct des rires à gorge déployée d’un public qui s’est activement battu pour que l’un des temples des musiques actuelles en France ne se retrouve pas transformé en chair à saucisse immobilière du Grand Paris. Vous pouvez retrouver ce double entretien avec Juliette Bompoint, directrice de Mains d’Oeuvres, et Anaïs Garcia, programmatrice du Mofo, quelques jours avant le festival.
Parce que c’est bien ce qui frappe le regard du badaud qui a pu traîner ses guêtres les 23, 24 et 25 janvier au Mofo : trois jours d’expériences musicales, de la guitare au kick, face à une foule de sourires et de retrouvailles. Si ça n’était pas le grand soir, force est de constater que les soirées étaient foutrement puissantes en émotion.
Déambule ton jeudi
Le festival a d’abord pris ses quartiers le jeudi 23 janvier dans les bars et restaus de la rue des Rosiers, celle qui relie la Porte de Clignancourt au centre ville de Saint-Ouen, via son mondialement couru Marché aux Puces. C’est aussi et surtout celle qui croise la rue Charles Garnier, où Mains d’Oeuvres a son quartier général – et où Sourdoreille a vécu pendant six douces années. Rester proche de la maison, sans pouvoir (encore) l’atteindre donc. On y trouve des artistes en résidence dans les différents spots du coin, à Bonne Aventure, au Week-End, au Coq d’Or, à l’Amarrage, au Mdôme, au Marche Ô Crêpes, à la Brasserie Biron, ou encore à la Pizzeria Aux Sports. Parmi eux, se sont déplacés Kouyate-Neerman, duo composé du balafoniste malien Lansiné Kouyaté et du vibraphoniste jazzeux David Neermana, Arnaud Rebotini qui a donné un dj set, Pasteur Charles, le boss du Turc Mécanique qui s’est démené derrière les platines, et le selector de nos playlists Afrique Électronique, Praktika, qui a sorti ses plus belles galettes. La formule déambulation dans les bars est unanimement saluée par les personnes que je croise… le vendredi, n’ayant pas pu donner de ma sueur ce jeudi.
Le vendredi 24 janvier en revanche, personne, y compris moi, n’a exactement donné sa part aux chiens. Forcément, avec un public de hyènes, vous me direz. Cette soirée dédiée aux aventures soniques, au rock progressif et à la pop chtarbée a autant révélé que confirmé l’émergence de groupes fantastiques. Parce que oui, le Mofo, c’est avant tout ce festival dont vous ne connaissez que quatre noms avant d’y taper du pied. Et qui vous fait repartir à tous les coups avec une discothèque mentale bien fournie.
Improvise ton vendredi
Suite à la fermeture du Picolo, l’équipe organisatrice décale son temps fort au Sultan, gigantesque restaurant turque « au décor de pampilles et velours digne de Soliman Le Magnifique », dixit la comm. Armé pour passer une soirée où il fait très chaud à l’intérieur et très froid à l’extérieur, et n’ayant évidemment aucun vêtement technique, je passe le sas d’entrée du Mofo avec quelques a priori pas forcément glorieux sur le lieu dans lesquels se marcher dessus est érigé en base de survie. Blindé, le Sultan l’était, au moins de 23h à 2h. Il a fallu être stratégique. Se placer au bar cinq minutes avant la fin d’un concert est une technique, aller fumer au milieu d’un show en est une autre (ne pas fumer en est une bien meilleure, évidemment) et ne jamais oublier qu’il y a toujours de la place au devant de la scène, dans un périmètre invisible à 10 mètres. Et d’hostilité il n’en fut jamais vraiment question, la décontraction générale étant une règle ce soir-là respectée par l’accueil, les barmaids et la sécu.
Parlons peu, parlons musique. Il est curieux de voir que le Mofo n’a pas vraiment respecté les normes en terme de déroulé de la soirée. Si on met de côté Humbros et son ambient instrumental loupé de peu lui aussi (décidément), la soirée a évolué du plus bourrin au plus trippé. C’est avec Ellah a. Thaun et sa compositrice et parolière Nathanaëlle Hauguel que je plonge dans la soirée la tête la première, avec un rock garage à la lourdeur insoupçonnée. C’est ensuite à hauteur d’homme que Karel, véritable ovni diy de la synth pop, scande slogans et textes en néerlandais, avec une énergie du nawak complètement communicative. Le punk n’est pas mort, il ne joue juste pas la même musique. L’événement se poursuit avec Balladur, l’une des petites têtes d’affiche du week-end, dont l’album La Vallée Étroite sorti en 2019 est un bijou d’allégresse (qui s’est même hissé sur la plus haute marche du podium des meilleurs albums de l’année chez nos confrères de Goûte Mes Disques). S’il est difficile sur le moment de voir le live, une tranchée creusée plus tard dans la foule ivre nous permet de nous placer tout devant et ainsi profiter de pièces pop expé délicieuses que le duo fait durer, durer, durer, au plus profond de la boucle. Nos derniers émois se font enfin sur les délires de Dr(drone) qui nous ramène directement à un psychédélisme le plus brut, qui ne déplairaint pas aux minimalistes américains et aux krautrockeurs allemands. Alors certes, il y a ce moment où l’on comprend que les deux premières minutes des morceaux ne sont pas des temps pendant lesquels les musiciens s’accordent mais bien des véritables débuts d’expérience, mais bon, ça manquait probablement de sirop dans le rhum. A la fin du concert, rideau.
Noie ton samedi
Un rideau baissé pour trouver l’énergie nécessaire de danser encore une nuit dans le temple du mal, à La Station – Gare des Mines, à la Porte d’Aubervilliers de Paris 18ème, juste au dessus du périph. La simple évocation du lieu ramène à de longs traquenards et l’impossibilité d’y sortir autrement qu’en se déplaçant en crabe. Et ça n’a pas loupé. Débarqué à 23h ce samedi 25 janvier pour éviter les queues monstrueuses déjà vécues l’année passée (et où certains avaient finalement abandonné de se tenir debout dans le froid pendant 2h), je revis la soirée comme la remontée d’un long sentier de rando la fête. D’avance désolé aux artistes ayant joué dans la salle du bas, mon corps happé par la mainstage n’a pas cru bon de changer ses habitudes, malgré la prog de haute voltige avec Tropical Horses, Tarek X, Fiesta En El Vacio, Plore et Bono – pas le vrai.
C’est d’abord Cesar Palace qui rappelle à l’ordre nos jambes engourdies. Le batteur d’Electric Electric (et par extension l’un des membres de La Colonie de Vacances) lance furies percussives sur embardées rythmiques à la vitesse de l’éclair, et à la maîtrise du chat retombant toujours sur ses coussinets. Ceci dit, on n’est pas allé vérifier l’état de ses poignets à la fin du show. J’enchaîne avec un duo ultra-pointu, doublement jouissif nommé Lyra Valenza dont le nom à consonance italienne n’a rien à voir avec leur lieu d’origine, le Danemark. Si vous croyez que ce jeune duo sort de nulle part, vous vous méprenez. En réalité, si le Mofo a pu faire venir le groupe plein d’avenir, c’est qu’il est soutenu par SHAPE, la plateforme européenne active dans la musique innovante et les arts audiovisuels. Uk techno, musique cosmique, rebondissante, gros level. A suivre. Le live d’Apollo Noir qui suit dégomme tout ce qu’il nous reste de mesure. Alors qu’on pouvait s’attendre à la représentation de son album sorti il y a quelques mois, Chaos ID, on se délecte d’une fournée d’inédits et d’une solide version dancefloor de son – n’ayons pas peur de le dire – petit tube kitsch, « Twist of Men ».
Dire que ma troupe et moi étions concentrés sur le closing de Sacrifice Seul serait mentir, pourtant le souvenir de cette soirée devrait rester pendant un bon moment. Par amour du bruit, du rire et et de la danse, l’équipe du Mofo, entourée de la bienveillance de Mains d’Oeuvres, des bars et restaus de Saint-Ouen et de la Station a réussi une belle fête dans des conditions de production carrément hardcore. La meute de hyènes a avancé comme elle sait le faire, groupée, forte et fière. Puis elle a fini par éclater de rire. Haha.
Crédits photo en une : Nina Milles
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