Début des années 2000. Dans un ancien magasin squatté de Courbevoie (92), deux potes commencent à faire de la musique. D’un côté Manu Le Malin, de l’autre Torgull, son discret compagnon aux longs cheveux roux. Souvent qualifié d’homme de l’ombre, Torgull est surtout un producteur hardcore aussi talentueux que brutal. Ami de toujours de Manu Le Malin, personnage central du projet de documentaire que nous portons depuis plusieurs semaines, il revient aujourd’hui sur son parcours. Bonne nouvelle : il a poussé Manu à reprendre bientôt le chemin des studios.
Tu te souviens de ta rencontre avec Manu ?
Je ne me rappelle pas exactement de la première fois où on s’est rencontrés. Mais je sais qu’on s’est vite apprivoisés. On avait chacun nos potes puisque moi je venais de Caen presque tous les week-ends avec des amis et lui avait aussi son petit groupe. Au fur et à mesure des rencontres, il y a eu un feeling entre nous qui a fait qu’on s’est plus fréquentés…
Que faisais-tu à l’époque ?
Je bossais à Radio France en tant que technicien son, je faisais des CDD dans les radio locales et je suivais aussi une formation d’ingé-son dans un studio à Malakoff, en cours du soir.
Tu connaissais Manu depuis longtemps ?
Il a commencé à jouer quand j’ai commencé à aller vraiment régulièrement en teufs. J’ai déménagé sur Paris donc on se voyait dans les afters et toutes les teufs où il ne jouait ou pas.
Comment se sont passées vos premières collaborations artistiques ?
D’abord on a beaucoup mixé car on se faisait nos propres afters privés, et comme il avait un peu plus de bouteille que moi, il me montrait un peu la technique. Après quand on a habité ensemble, je lui ai montré comment se servir des logiciels et du matériel de MAO. Au début je faisais le technicien pour lui en quelque sorte, il cherchait les sons et je mettais les choses en place. Je mixais les morceaux et très vite il est devenu autonome. Là, on a vraiment collaboré et confronté nos idées.
Torgull & Manu Le Malin
Festival Are You Core – Avril 2015
Tu peux me parler un peu de l’époque Bloc 46 : la découverte du lieu, le label qui se monte…
Tout à débuté à Courbevoie au 46 rue de Belfort, quand j’ai habité dans un ancien magasin à côté de l’hôtel du père de Manu, où lui vivait. Ce lieu était suffisamment grand pour qu’on y vive tous (Manu, sa copine et notre bande d’amis). Manu vivait dans 10m² avec sa copine et on mangeait tous dans mon squat. On a consacré une pièce au studio, on a plus ou moins insonorisé pour ne pas être entendu de la rue et on a commencé à vraiment bosser. Après les premières sorties sur Industrial Strength, on s’est dit qu’on pourrait sortir nous-mêmes nos morceaux en plus de ceux sortis avec Lenny Dee. L’idée était de gérer nous-mêmes le timing des sorties. Puis on a rencontré Aphasia et tripé sur sa musique, du coup on s’est dit qu’on pourrait le produire et on s’est lancés.
Arrivent les premières compos à quatre mains : en quoi Torgull et Manu Le Malin sont complémentaires derrière les machines ?
Je pense que c’est toujours intéressant de bosser à deux car quand on bloque sur quelque chose, l’autre peut prendre le relais. Avec Manu, j’avais le côté plus technique de par ma formation et lui un côté plus créatif, plus instinctif. Il faisait des branchements parfois hasardeux mais qui du coup faisaient des sons de dingues. Chacun donnait des idées, on les testait, on s’embrouillait des fois car on n’était pas d’accord sur un son ou un break. C’est comme ça qu’on arrive à des bons morceaux je pense…
Lenny Dee, Manu Le Malin & Torgull
Human Animal A2
Il dit que tu es « l’homme de l’ombre » sans qui il n’aurait pas fait grand chose. C’est un statut qui te plaît ?
Plus ou moins, au niveau composition ça me va de l’avoir encouragé et aidé au début. Au niveau du mix on m’a souvent catalogué parce que je bossais avec Manu et qu’on est amis. Mais nos styles sont très différents. Manu était plus connu, plus conciliant que moi sur certaines choses donc ça m’a aidé aussi, j’ai joué dans pleins de soirées grâce à lui car il aimait bien qu’on parte en groupe, il poussait les organisateurs à me faire jouer. Être l’homme de l’ombre c’était pratique : j’avais moins à gérer les bookings, Manu faisait ça bien mieux que moi ! J’ai toujours eu du mal à me « vendre ».
Te souviens tu de tes premiers pas à Keriolet ?
Pas précisément mais je me rappelle de l’ambiance, du côté mystique de ce lieu, un côté Gotham City. C’est un lieu magique, qui correspond à une époque formidable, en plein délire musical dans cette enceinte gothique.
On me parle aussi d’afters démoniaques jusqu’au lundi…
C’était un peu notre spécialité : toujours les derniers partis ! On aimait entraîner les gens pour trouver un spot et faire l’after et l’after d’after… On ne voulait jamais que ça s’arrête. On est aussi à l’origine du mix & boules car le dimanche matin on adorait jouer à la pétanque en picolant du Ricard.
On dit que c’est un château taillé pour les raves, tu partages ce point de vue ?
Tous les châteaux ont ce côté mystique qui convient aux raves et celui-là particulièrement. Mais la chance qu’on a c’est que le proprio nous accueille avec plaisir, c’est top !
Torgull – The Race
Manu dit ceci : « Quand Torgull dégoupille, je suis un enfant de choeur à côté ». A ce point là ?
Vis-à-vis de la musique je suis plus tranchant, si j’aime pas je dis que c’est de la merde et je ne veux pas parler à ceux qui font cette merde. Je suis râleur et entier dans mes jugements, mes potes m’appellent « Cro mag » car parfois je réagis comme un homme de Cromagnon, je grogne et j’aurais bien emplâtré certaines personnes fut un temps…
Arrive l’expérience Palindrome. Qu’en retiens tu ?
Un réel plaisir de jouer en groupe, la tournée de ouf , la chance de jouer à Dour ou à Bourges ! L’enregistrement au studio Ferber sur une Neve, le top !
Palindrome – Faceless
Dans quel état d’esprit en es-tu sorti ?
Un peu déçu de ne pas avoir continué mais c’était une période délicate pour Manu et pas facile de le pousser à écrire, j’en suis bien incapable donc je comprends.
Tu t’es un peu retiré du circuit hardcore ensuite, c’était nécessaire ? C’était pour mieux y revenir ?
J’en avais marre d’essayer de ne vivre que de la musique, ça te bloque et j’en avais marre des teufs, du public. J’avais envie de faire autre chose mais tout en continuant la musique évidemment. Je suis plus motivé par la création en fait et le live, c’est sûrement à cause de l’expérience Palindrome.
Après 20 ans passés aux côtés de Manu, comment le décrirais-tu aujourd’hui, en quelques lignes ?
C’est un fou furieux de la musique, il n’y a que ça qui le motive même s’il a eu des périodes de doutes. Il a juste besoin que je revienne lui mettre des coups de pieds au cul pour se remettre à composer. Mais ce projet de documentaire va nous pousser à ça… 46 is back ! C’est aussi un grand sentimental malgré son air dur et en tout cas quelqu’un de très attachant. C’est mon pote quoi !
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