A sa sortie en janvier 2019, I Have To Feed Larry’s Hawk de Tim PresleyTim Presley était (déjà) présenté comme le « disque de l’année » par Rolling Stone. Près d’un an plus tard, tout le monde semble avoir un peu oublié cet album beau et bizarre, magique et indéfinissable. Il traîne au fond du carton déjà poussiéreux de l’année 2019 avec quelques pages, noircies pendant une entrevue à la Route du Rock. Voilà ce qu’elles racontent.
Au moment de cette interview en août 2019, Tim Presley revient de loin : il vient de mettre un terme à une longue addiction aux opioïdes. « J’ai dû réapprendre à marcher », explique-t-il. A faire de la musique, aussi. Son dernier album (I Have To Feed Larry’s Hawk, sorti en janvier), qui s’inspire de cette expérience, ne ressemble à aucun de ses travaux antérieurs.
Il est le denier manifeste d’un artiste en mutation perpétuelle, qui n’a cessé de se réinventer au cours d’une carrière déjà longue de vingt ans : du punk hardcore des débuts au psychédélisme lo-fi de White Fence (l’alias sous lequel il a enregistré une dizaine de disques depuis 2010 dont deux en collaboration avec Ty Segall), en passant par les expérimentations de The Wink, le seul album qu’il ait fait paraître sous son propre nom, en 2016, ou de DRINKS, le duo qu’il forme avec la Galloise Cate Le Bon.
Une œuvre multiforme imprégnée d’élégance et de riffs acérés, maladroitement grattés sur une Jaguar — toujours la même — portée très haut. Presque sur la poitrine et juste au-dessous de cette gueule de Droopy sans âge surmontée d’une frange légère. Comme un hommage à la culture mod et aux années 60 de ses (nombreuses) idoles : Ray Davis, David Bowie, Arthur Lee ou Phil May.
Tim Presley est comme The Fall, le groupe de Mark E Smith, qu’il a rejoint au milieu des années 2000 : il est toujours différent, il est toujours le même.
INTERVIEW
« Larry’s Hawk » est un album de Tim Presley’s White Fence, tu n’as pas su te décider ?
Tim Presley : C’est parti d’une blague. Le dernier disque que j’ai fait était un album de Tim Presley (The Wink). Et j’avais l’impression que cet album, Larry’s Hawk, ne sonnait pas de la même façon. Le truc, c’est qu’il ne ressemble pas non plus à un album de White Fence. C’est une sorte de mix des deux. Donc nous y voilà : « Tim Presley’s White Fence » !
Musicalement, ça fait sens. Certaines chansons pourraient figurer sur un album de White Fence et d’autres sur un disque de Tim Presley. Mais, dans un sens, c’est un peu étrange parce que c’est probablement ton album le plus personnel…
TP : Complètement.
J’ai entendu dire que tu ne voulais pas enregistrer sous ton propre nom et que c’était Cate Le Bon qui t’avais poussé à le faire.
TP : Oui, elle pensait que c’était une bonne idée. J’étais timide, je n’osais pas. Elle m’a donné la confiance suffisante pour le faire.
Tu as enregistré cet album alors que tu luttais contre ton addiction à la drogue. Est-ce que tu considères la musique comme une sorte de remède ?
TP : Non, pas vraiment. Ce qui m’a sauvé, c’est la peinture. J’ai arrêté les opioïdes en 2015. J’avais peur de ne plus être capable d’écrire de la musique. Vraiment peur. Je suis devenu un peu déprimé. J’étais fragile et vulnérable… Et je me suis mis à peindre. Tous les jours, toute la journée. Ça a été ma thérapie. Ça m’a aidé à me remettre à la musique, progressivement. Les collaborations que j’ai faites à ce moment là, avec Cate et avec Ty (Segall), m’ont donné confiance pour refaire un album par moi-même, en solo.
Tu dessinais quoi ?
TP : Tout et n’importe quoi, c’était totalement libre. C’est ça, la beauté de l’art, pour moi : je ne prévois rien, je n’ai pas de plan. Je prends un pinceau, de l’encre, et je peins tout ce qui me passe par la tête. Comme dans une sorte de rêve conscient. La musique, c’est un peu différent : quand tu écris une chanson, tu est obligé de réfléchir aux accords que tu vas utiliser. Là j’avais besoin de cette simplicité, de cette liberté, pour être créatif à nouveau. Parce que, comme je te le disais, j’avais très peur de ne plus en être capable quand j’ai arrêté de prendre ce type drogue.
Il y a quand même quelque chose de très spontané dans ta musique. D’ailleurs, sur The Wink, tu as une chanson qui s’appelle « Kerouac ». Il bossait un peu comme ça aussi…
TP : Tu veux dire qu’il se soûlait ? (rires)
Oui ! Mais il était aussi spontané, il écrivait ce qui lui passait par la tête. C’est une influence pour toi ?
TP : Pas forcément au sens littéraire. Mais oui, on peut dire ça.
Tu parlais de la peinture. Tu as peins beaucoup des pochettes de tes albums, mais justement celle-là n’est pas une peinture. Elle représente quoi exactement ?
TP : Ah, le clip art ? Je voulais quelque chose de très simple. A l’image de l’album. Ce que tu vois sur la pochette, c’est un R et un X. Aux Etats-Unis tu vois ça sur toutes les pharmacies. C’est un symbole.
Tu étais dans la campagne anglaise quand tu as commencé à travailler sur cet album. Avant ça, tu avais composé un disque de DRINKS dans le sud de la France avec Cate. Est-ce que ces lieux t’ont influencé d’une manière ou d’une autre ?
TP : Dans le sud de la France, on était dans une belle maison en pierre avec Cate. Une sorte de château militaire. Il n’y avait pas la wifi, pas de télé. Rien d’autre que la nature. Et je trouve que cette atmosphère se ressent sur l’album. La campagne anglaise dégage aussi quelque chose de très serein, de très beau. Elle m’a fait penser aux Kinks.
Beaucoup de gens ont d’ailleurs fait le rapprochement avec « Village Green »…
TP : C’est drôle, parce que quand j’étais au piano, je regardais par la fenêtre et je me demandais si Ray Davies voyait la même chose que moi quand il a fait « Village Green ». C’est très spécial, ce ne sont pas des paysages que tu vois aux Etats-Unis.
Pour cet album, je crois que tu as aussi été influencé par un rêve que tu as fait. Un rêve avec Johnny Thunders. Tu peux me raconter ça ?
TP : Quand j’étais jeune, j’étais obsédé par Johnny Thunders. Vraiment obsédé. Je suis passé à autre chose depuis mais, avec ce rêve, je suis retombé amoureux de lui et des New York Dolls. Il me disait de faire cet album simplement, parce que c’est ce qu’il aurait fait. C’est un peu bizarre de dire ça mais, dans un sens, c’est lui qui a produit cet album.
Tu as d’ailleurs commencé par jouer dans des groupes punk à la fin des années 1990. C’est de là que vient ton côté DIY ?
TP : Oui. C’est très fort le punk. Quand tu es adolescent, ça devient une sorte d’ADN dont tu ne peux plus te défaire. J’en ai gardé quelque chose, même si je n’en joue plus aujourd’hui. J’ai arrêté parce que j’en ai eu marre. Au bout d’un moment, je me suis rendu compte des limites du punk. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, c’est une musique pleine de règles qui n’offre pas beaucoup de liberté.
J’ai entendu dire que tu te faisais appeler Timmy Stardust à l’époque. C’est vrai ?
TP : Oui. C’était une blague, un surnom à la con. Comme Johnny Rotten, Sid Vicious etc. J’étais super fan de David Bowie à l’époque et le chanteur du groupe dans lequel je jouais a commencé à m’appeler comme ça. C’est resté ensuite. Il faudrait que je pense à le ressortir…
Tout ça pour dire que tu as fait beaucoup de choses dans ta carrière : du punk, donc, mais aussi du rock psychédélique, du garage et des choses plus expérimentales. Tu n’as jamais eu peur de perdre tes fans ?
TP : Pas vraiment. J’ai lu beaucoup de critiques négatives à propos des albums de DRINKS ou de The Wink, mais, parmi mes amis, beaucoup m’ont dit qu’ils avaient aimé. Certains m’ont même dit que c’étaient leurs albums préférés.
Tu ne penses jamais à la façon dont pourraient être reçus tes disques ?
TP : Non, jamais. Ce n’est pas comme si je bossais dans un grand label et que je devais sortir des singles régulièrement pour satisfaire mes fans. J’ai cette liberté de faire ce qui me plaît, au moment où j’en ai envie. C’est une chance.
Mais il t’arrive quand même de lire les critiques…
TP : Oui, je les lis mais sans vraiment en tenir compte. Certaines me font rire. Les mecs ne savent pas de quoi ils parlent. Ils ne tiennent pas compte du contexte de création, de tout ce qu’il y a derrière. Quelques-unes sont intéressantes, cela dit. Pitchfork, c’est pas mal. J’aime bien Laura Snapes du Guardian, aussi. J’ai trouvé que sa critique d’Hippo Lite était très juste.
C’est en lisant ces gens que tu découvres de nouvelles choses à écouter ?
TP : Non, pas vraiment. Je n’écoute pas tellement de trucs nouveaux, en fait. C’est un peu cliché de dire ça mais ces derniers temps j’ai beaucoup écouté le groupe Love par exemple. Encore… Sinon j’écoute la musique de mes amis.
Le dernier album de Cate était vraiment excellent, d’ailleurs.
TP : Oui, vraiment. Ça me fait drôle de l’écouter parce que j’étais présent pendant la majeure partie de sa conception. Pendant que j’étais au piano, à écrire mon album, elle composait sur sa guitare.
Vous avez la même façon de travailler tous les deux ?
TP : Pas vraiment, non. On a des points communs mais aussi pas mal de différences. Pour moi, Cate est une vraie génie. Tout lui vient naturellement, elle travaille beaucoup par accidents.
Toi aussi, non ? Pour moi, c’est même l’une des caractéristiques de ta musique. De ton jeu de guitare, en particulier. Il est très imparfait (dans le bon sens du terme)…
TP : Je ne suis pas un virtuose. Je n’ai pas la prétention d’être un connard de guitar hero, et je ne cherche pas à l’être. J’essaie juste de faire sonner ma guitare correctement.
Tu t’es mis au piano pour ton dernier album…
TP : Oui, parfois tu peux te sentir limité avec une guitare. Quand tu joues du piano, tu peux voir plus grand. La note la plus simple peut sembler énorme. Mais, je ne sais pas encore très bien en jouer, je découvre.
Une question un peu foireuse pour finir : tu citais Love tout à l’heure et, de manière générale, ta musique est très inspirée des années 1960 et 1970. Beaucoup des gens qui la faisaient sont morts comme Mark E. Smith ou Roky Erickson récemment. Quelle peut-être la signification de continuer à jouer cette musique malgré tout ?
TP : Hum… Premièrement, ces gens étaient vieux. Et je ne pense pas qu’ils aient vraiment pris soin d’eux. C’est intéressant parce qu’à l’époque les groupes de rock avaient beaucoup plus de succès, ils se sont habitués à un certain mode de vie, un peu malsain, qui a disparu aujourd’hui. Il n’y a plus d’argent dans le rock, le charme s’est envolé. C’est une époque révolue, enfin… C’était quoi la question déjà ?
Photo en une © Lily Creightmore (Drag City)
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