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Tim Dup fait son nid

Se méfier des apparences est rarement un mauvais conseil. Tim Dup a une voix juvénile et un visage qui l’est tout autant, mais il n’a de leçon de maturité à recevoir de personne. Quand poésie et electro-pop fricotent, ça donne « Qu’en restera-t-il ? », son deuxième album sorti le 10 janvier dernier. Entre spectre de fin du monde et fantasme de liberté, il déborde d’un désespoir jamais dénué d’amour, et raconte un monde bien sombre mais où des échappées, forcément magnifiques, sont toujours possibles. « Qu’en restera-t-il ? », une question qui s’est ajoutée à toutes les autres qu’on avait envie de lui poser.

On se rencontre un 7 janvier. Triste anniversaire, mais aussi symbole d’une France debout, unie, combative. Sur les trottoirs qui nous mènent à Tim Dup, on pense à Charb, Cabu et les autres, et aussi à « Place Espoir », l’un des titres phare de l’album où la Place de la République est soudain chair et sang. La colère, la déception et l’inquiétude sont omniprésentes dans ce disque, qui trouve une partie de son inspiration dans une actualité pour le moins anxiogène. Mais sans militantisme, sans posture.

Car au départ, Tim Dup se définit plutôt comme un mec normal, avec des envies qui ne le sont pas moins. Des envies pas très matérielles, des rêves de voyage, d’espace, de temps, de respect. Faire des chansons, être amoureux, voir du pays et même le monde. « J’aime bien l’idée de simplicité, je vois pas ça du tout comme un défaut, je pense que ce monde manque de simplicité. » Mais comme tous les garçons et les filles de son âge, il n’a pas vraiment eu le choix. « Aujourd’hui on ne peut pas ignorer que des violences sont faites aux femmes, que la planète brûle, donc forcément t’es moins dans l’insouciance, parce que c’est le bordel. »

Plutôt fataliste face à un système qu’il lui semble très difficile de combattre, il veut pourtant garder la foi et voit en la jeune génération la force vive qui pourrait bien sauver in extremis tout le barnum. « La jeunesse est souvent plus concernée que les générations passées. Quand tu vois ceux qui nous gouvernent, complètement déconnectés des réalités… Moi j’ai assez confiance en la jeunesse, parce qu’elle s’absout de beaucoup de carcans, de façons de penser. C’est toujours critiqué, on te rattache toujours à ton âge. Mais il y a cette phrase dans Le Cid de Corneille qui est chouette : « Aux âmes bien nées la valeur n’attend pas le nombre des années ». Beaucoup de gens critiquent Greta Thunberg, parce qu’elle cristallise un courage, une force d’esprit soit-disant incompatibles avec le fait d’être jeune. La jeunesse fait peur aux gens qui ont des privilèges, des conforts, et qui voient en elle une juste rébellion qui pourrait les faire sortir de ces privilèges. Elle est puissante, dangereuse, belle, pleine de fougue. Donc prenez garde ! »

Tim Dup, lui, n’est déconnecté de rien. Il met les deux pieds dans le plat et les deux mains dans le cambouis. Au gré de notre conversation, on laisse volontiers de côté le canevas qu’on avait préparé pour cette interview et on évoque simplement avec lui les sujets qui nous tiennent à cœur. Un instant, on parle progrès, ce progrès à tout prix, celui qui n’a souvent de progrès que le nom. Il avoue s’en méfier. « Ça m’effraie un peu, l’envie d’aller chercher toujours plus loin. Statistiquement, il est assez évident qu’il y a de la vie ailleurs dans l’Univers, et pourtant, est-ce que j’ai envie de la trouver ? Non. Je trouve ça poétique et beau de se dire qu’il y en a. Peut-être qu’à un moment le monde va se rendre compte qu’on peut pas continuer tout le temps à aller au-delà de ce pourquoi on est faits, si tant est qu’on soit faits pour quelque chose. Si la planète brûle, c’est notamment parce qu’il y a du progrès économique, cette notion cristallise des violences, des inégalités. Autant se battre pour le vivant, pour des libertés supplémentaires. »

L’instant suivant, il partage avec nous son indignation face à l’injuste rémunération des artistes par les plateformes de streaming. Rappel des faits : les cotisations des utilisateurs, au hasard, de Spotify, sont additionnées et réparties entre les artistes au pro-rata des écoutes totales. En gros, même si c’est Renan Luce qui tourne en boucle chez vous, a priori vous enrichissez plutôt Ed Sheeran et Ariana Grande. Pas normal ? Non, en effet. Tim Dup, directement concerné par ce système, tant en tant qu’artiste qu’auditeur, a récemment essayé d’attirer l’attention sur une autre clé de répartition possible, le système User Centric, grâce auquel l’argent que vous investissez dans votre abonnement rémunère directement les artistes que VOUS écoutez. « C’est juste du bon sens. Mais on est dans un monde qui manque beaucoup de bon sens, et c’est flippant. Pour des compagnies comme Spotify, Apple, c’est à Monsieur Bruno Lemaire d’aller négocier ça à Bruxelles, autant dire que c’est loin d’être gagné. Il faut informer les gens, qu’ils en soient conscients. Il en va aussi de la diversité musicale. Quand tu fais du rock, comment tu vis ? quand tu fais du reggae ? ça doit être tellement difficile… Il faut pas être snob, par contre t’as un juste équilibre entre trouver de la pluralité dans la musique et faire vivre une industrie. Souvent, les artistes les plus populaires sont bien contents d’avoir écouté des artistes qui ne l’étaient pas et qui les ont inspirés. C’est une espèce de reconnaissance à l’art. L’art s’est construit entre quelque chose qui a déjà existé et quelque chose de novateur. »

On voit Tim partager régulièrement sur les réseaux sociaux ses photos et récits de voyages, des petits textes, ses lectures. Le titre de la chanson « Après eux » lui a d’ailleurs été inspiré par celui du livre de Nicolas Mathieu, prix Goncourt 2018, Leurs enfants après eux. Pour le livret de l’album, il a écrit quelques courtes histoires. Il nous dit ses envies de roman, de réalisation, et globalement, sa grande curiosité. Tout l’inspire, le nourrit, et il en sort… ce qu’il en sort. Pour cet album, il a laissé ses influences comme ses sujets venir à lui, et pas l’inverse. « Musicalement, tout me plaît. Sur le premier album, c’était un peu le danger, je me disais ‘il va falloir que je réunisse tout ça’. Sur le deuxième, je me suis dit ‘assimile-les, ces influences, les mets pas par envie ou par posture‘. Alors qu’il y a peut-être davantage d’electro et de hip hop, on le sent moins, parce qu’il est plus digéré. Avant de faire ce disque, j’ai beaucoup écouté Bon Iver, Kanye West, Childish Gambino, de la chanson classique, de la musique classique, les Daft Punk…. »

A l’arrivée, le disque parle de transmission, d’amour, de destinations, d’environnement, de combat, de ras-le-bol et d’espérance. En dépassant l’actu pour en faire à la fois de l’intime et de l’universel, bien loin des chiffres, des rapports et des commissions d’enquête, Tim Dup humanise, incarne, touche et questionne. Il accomplit sa mission de conteur avec bienveillance, sans forcer, parce qu’il est comme ça. Il nous met par terre, mais en douceur, nous frappe mais avec tendresse.  Ci-joint un coup de poing. Gros bisous.

« J’ai cherché une forme de délicatesse. Il y a cette idée évidemment de contraster, quand t’es dans un propos un peu vindicatif ou que tu racontes des choses un peu grises, le faire avec tendresse, parfois le message passe mieux. Le sourire te permet de faire que les chansons sont teintées d’espoir, un peu lumineuses et pas que lugubres. » Un ou deux accès de colère perforent l’album, malgré tout. Dans « Songes », dans « Rhum Coca ». Parce que parfois, faut que ça sorte. Parce que merde, quoi. Parce qu’on y est jusqu’au cou.

Cette schizophrénie entre l’angoisse quotidienne et un indispensable lâcher-prise parcourt tout l’album et le conclut, en apothéose, dans « Vendredi soir » , très bel instantané de notre besoin d’évasion, d’oubli, de fuite. On y entend un peu Fauve, un peu Eddy de Pretto, un peu Gael Faye (qui rejoint d’ailleurs Tim sur le titre « Porte du Soleil », sorte de jumelle estivale de « Vers les ourses polaires », présente sur son premier album). Voilà finalement un disque sans concept particulier, sans réel thème récurrent, sans vraiment de fil rouge, mais empli de sens et d’harmonie.

Qu’en restera-t-il ? De nous, de cette planète, de notre passage, de notre Histoire et de nos histoires, qu’en restera-t-il ? En posant la question, Tim Dup, déjà, laisse une trace. Il restera au moins ça. Des chansons, des personnes qui les chantent, des personnes qui les écoutent, qui s’en inspirent et s’y retrouvent, s’y réchauffent, en redemandent.

Un jour il ne restera peut-être plus rien ni personne, mais juste avant il y aura eu ça.

Photo en une : Tim Dup, par Hugo Pillard

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