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Tiger Tigre, le fauve en liberté

Rencontre au débotté à Perpignan avec Vincent Taeger, ancien batteur des Poni Hoax, qui avec la sortie de son premier album « Grrr ? » s’offre un projet solo sous le pseudo de Tiger Tigre. Venu s’offrir une virée en terres catalanes et annoncé sur la toile à grand renfort de vidéos dont il a le secret, le tigre est bien là, rutilant et le poil lustré, même s’il avoue que de voyager en train, synthés sur le dos, n’est pas de tout repos.

Pour accueillir Tiger Tigre comme il se doit, quoi de mieux que le cadre du Pyrénéon, petite bulle conviviale et végétale, autoproclamée comme on sait le faire en Roussillon « terrasse la plus cool du monde ». C’est Dj Chatoune et sa comparse Marilou qui remplissent de nouveau cet espace pluri-artistique, d’amour et de bonnes vibrations, comme ils savent le faire lors de chaque édition de leur soirée « C’est l’amour … ». Cette année, nous aurons droit à l’amour debout, ce qui n’est pas s’en déplaire à Vincent et à ses musiciens du Jazz Kamasutra. À savoir ses acolytes de toujours, Arnaud Roulin au clavier et Ludovic Bruni à la basse.

Pour ambiancer la soirée, on retrouve la moitié du duo parisien I was there, et pour finir en beauté Dombrance et sa techno minimaliste mais néanmoins efficace. Reste au public de suivre le rythme, lui, qui semble bien avoir perdu ses marques, désœuvré durant trop longtemps par les concerts assis et autre live streaming. Vincent Taeger, lui, a bien conservé son esprit vif et nous répond sans filtre et toujours avec humour. Finalement, la vie en vrai a du bon !

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Tiger Tigre © Ben Pi

L’interview

D’où vous est venue l’envie de passer au premier plan ? Avec cet album, vous ne pouvez plus être simplement le batteur de talent qui participe aux albums des autres. D’une certaine manière, vous choisissez de vous exposer.

Toujours cette image du batteur planqué derrière les autres musiciens ! En fait, tout dépend des batteurs. Pour ma part, le point de départ était le désir de faire ma musique et comme la batterie est l’instrument que je maîtrise le mieux… En fait, tous les musiciens aspirent à sortir leur propre album. Mon délire, c’est surtout de créer ma propre musique. D’ailleurs, c’est de créer tout court car je fourmille de projets. L’occasion s’est présentée de sortir de sa maison et d’aller dans notre studio partagé à Pantin. Comme les autres musiciens étaient partis en tournée, j’ai profité du lieu même si l’album en lui-même m’a pris pas mal de temps. En fait, j’ai des idées mais pour les développer, les mener à terme ça peut prendre des mois. Parfois, j’ai des idées plus claires avec des accords mais le plus souvent je me laisse aller sans savoir vraiment où ça mène. Le problème d’aujourd’hui, c’est qu’on n’a plus de temps. Disons que la conception de l’album Grrr ? aura bien pris deux ans.

Pour définir votre style, certains sont partis dans l’idée de « heavy listenning » , qu’en pensez-vous ?

La référence au « easy listenning » s’explique par le côté instrumental de ma musique. Dans cet album, les morceaux passent dans plusieurs ambiances. Disons que le terme « heavy » correspond davantage a quelque chose de plus sale, de moins ensoleillé que le simple « easy listenning ». En tout cas, le terme n’est pas à prendre au pied de la lettre.

L’album donne l’impression d’accéder à l’arrière-boutique et de découvrir des morceaux qui semblent se monter à mesure qu’on les écoute ? Une sorte de « work in progress » …

Merci du compliment, c’est un beau compliment pour moi, qui me rend malade avec ça. Rechercher à travers la musique le côté spontané. Garder la fraîcheur, l’excentricité. Comme je n’ai pas de texte ni de chanteur, il fallait un autre subterfuge pour garder l’attention, pour conserver le côté nouveau, un peu vierge, jamais entendu.

Votre blaze ainsi que tout le visuel qui accompagne vos compos, donne un peu le vertige : ce Tiger Tigre n’emprunte-t-il pas une ligne de crête qui peut facilement sombrer dans le mauvais goût ? Est-ce un risque ?

Tout est une question de dosage. La frontière entre le bon et le mauvais goût, c’est à chacun de la définir. En tout cas, l’idée reste de s’amuser, de sortir de la maîtrise voire de la réflexion. Le recours au moche ou au ringard est un aspect voulu. De toute manière, cette volonté d’être tendance, n’est ni plus ni moins que du jeunisme. Et ça me repousse. De toute façon au bout de trois ans, tu n’es plus vraiment au goût du jour quand ta musique sort. J’aime provoquer, amuser, déranger mais sans être grossier ou vulgaire. Je laisse ce soin-là à M. Bigard, lui, il ne bouscule pas les conventions. Moi, j’ai cette volonté de ne pas être consensuel. En fait, je ne suis vraiment pas premier degré. Je suis beaucoup trop franchouillard pour ça. Il m’est arrivé d’accompagner des chanteurs qui le sont. Chez les enfants, je trouve ça touchant, chez les adultes j’avoue avoir plus de mal.

Vos morceaux, un peu comme avec Poni Hoax, ont tendance à la déconstruction notamment des styles musicaux des années 80 ? Est-ce qu’en les jouant en live, vous avez comme volonté d’aller vers quelque chose d’épuré ou au contraire d’ajouter des éléments : instruments, images ou performance un peu arty ?

Comme la musique est assez chargée sur l’album, jouer aussi fort en live, ça peut être fatigant. Donc sans chercher le côté épuré, on essaie de développer les morceaux autrement. Par exemple, pour le morceau « Qui a tué le Dr Traoré » sur l’album il y a un passage disco assez furtif. Sur scène, on peut le développer davantage. Je viens du jazz donc l’impro est naturelle. En plus, j’ai des supers musiciens qui peuvent suivre. Il y a quand même un facteur magique sur scène. On ne sait pas toujours à quoi s’attendre, comme avec les Stones : un jour ils sont géniaux, le lendemain ils seront à chier. Nous, on a la chance de faire beaucoup de clubs et des petites dates, les enjeux sont moindres que dans les grands festivals. Reste que le public est vraiment gentil, il vient en concert l’esprit préparé. C’est comme avec les comiques, le public est d’avance prêt à rigoler. Mon public est constitué surtout de jeunes avec beaucoup de nanas. D’ailleurs, en tournée, je préfère jouer avec des groupes de nanas. Comme les peintres qui s’entourent de femmes… Ça doit être l’attrait pour le beau. Disons qu’on fait une musique élitiste qui intéresse surtout les intellos et les filles inscrites en Lettres Modernes à la Sorbonne. Il y a assez peu de médecins, ils préfèrent les trucs de beaufs ! C’est une sorte de purge, c’est normal. Moi, quand je passais mon temps à jouer du contemporain et du classique, pour me laver, j’écoutais du Johnny. A contrario, quand je bossais sur de la musique hip hop, il me fallait du classique en rentrant à la maison.

Vous avez dit que l’époque actuelle était davantage encline aux producteurs qu’aux compositeurs. Vous qui possédez la double casquette, qu’est-ce que ces deux expériences apportent à un musicien ?

À l’époque des Beatles, le producteur était juste là pour transmettre le son de la manière la plus fidèle, sans chercher à traficoter. L’ambition était d’être proche de l’acoustique, le plaisir se trouvait dans le fait de bien placer le micro. Aujourd’hui, la place du producteur est beaucoup plus importante. Entre les ordis et les logiciels, on a quasiment plus besoin de musiciens. Par contre, ce qui devient primordial, c’est d’avoir le son qui permet de passer à la radio.
Mais bon, les deux aspects restent intéressants même si ça n’a en fait rien à voir. Ce qui me plairait, ce serait de trouver quelqu’un qui se mette à mon service. Le problème étant que je suis complètement control freak. Je sais qu’en tant que producteur, il faut être diplomate et ne pas trop dire quand ça chante faux ou autre. On tente simplement de faire chanter faussement mais avec justesse. Du coup, je pense que je développerais une certaine parano à me demander si le gars ne me dit pas franchement ce qui va pas.

Selon André Manoukian, l’art de l’improvisation peut s’envisager comme la recherche des « notes qui s’aiment » – la musique classique – ou au contraire comme celle des « notes qui piquent » – le jeu out des jazzmen : de quelle école êtes-vous ?

Ne me parlez pas de lui. Manoukian est un escroc. Je le dis d’autant mieux que je le connais depuis longtemps et que je sais que c’est un bon mec. En voilà un qui est très premier degré : sa musique psychologisante, ça me fait marrer. En fait, il est à pleurer de rire quand il se met à raconter ces trucs. De toute façon, j’attends toujours qu’il me programme dans son festival Cosmo Jazz à Chamonix.

Qu’a apporté Tiger Tigre à Vincent Taeger, notamment durant cette période un peu triste que nous traversons, mais qui l’a sans doute été davantage pour les musiciens ?

Ça n’a pas été le cas pour moi étant donné que j’ai préparé l’album avant la période du confinement. Et on peut dire que les artistes sont toujours confinés. Non, pendant le confinement j’étais chez moi tranquille avec mes enfants. Mais c’est vrai que les gens semblaient avoir perdu leurs repères. Par contre, ce qui a été assez pénible, c’est la série de concerts annulés car même si tout le monde me connaît, le public lambda ne me connaît pas. Et puis, on reçoit plein d’amour en concert. À l’époque de Poni Hoax par exemple, on avait cette osmose avec le public, cette sensation d’être aimé. Les concerts donnaient l’occasion à une sorte de transe et on était reboosté pour des mois. J’ai ressenti ça aussi avec les Foals lors de la tournée de leur dernier album.

Quel est votre rapport à la musique pop ?

J’aime bien Angèle, vous pouvez le noter. J’aime bien les belles voix féminines. Des filles comme Feist ou Björk, elles arrivent et elles cassent les règles. Le problème après, c’est que tout le monde veut faire la même chose et on retombe dans le conventionnel. D’ailleurs ce qui fait leur personnalité peut parfois les complexer. Quand j’ai collaboré avec Feist à l’époque de Mushaboom, elle avait beau être douée, elle se voyait par rapport aux Parisiennes, qui au passage lui pompaient toutes le look avec la frange. En fait, ces filles lui rappelaient les films de Truffaut et à côté d’elles, elle se voyait comme une bouseuse de canadienne. Non, j’ai rien contre la pop. J’adore Michael Jackson, sa voix est hyper pop. Et quand je fais mes courses et que il y a « Video Games » de Lana Del Rey qui passe, je suis super content, c’est quand même une chanson géniale. Beaucoup moins par contre si c’est du Patrick Bruel. Mais on a de très bons chanteurs comme Chamfort ou Daho, qui sont plus consensuels qu’un Gainsbourg. Quelqu’un comme Alain Souchon a cette intelligence de rester humble alors qu’en France il a encore une popularité incroyable.

Vous êtes le tigre, le regretté Tony Allen était le « lion »… Toute cette faune, c’est une façon de dire que le monde de la musique est une véritable jungle ?

C’est vrai que c’est un monde où l’on se perd, même les grands. Quand tu n’es pas connu, au moins, il n’y a pas la pression. Mais quand tu es connu, c’est comme pour les sportifs. Si tu as un échec, tout le monde te tombe dessus. Au moins, moi, j’ai cette liberté d’être indépendant. Ça permet de mieux s’entourer et de faire davantage ce que l’on aime. Comme avec cet album concept de Tony, j’ai vraiment eu la volonté d’aller au bout. J’ai trouvé génial de faire ça à l’âge qu’il avait. À quatre-vingts ans, il conservait toujours une ouverture d’esprit incroyable. Et il continuait de travailler et de rester au courant de ce qui se faisait. On peut dire qu’il était hyper swag, Tony ! Et en même temps avec la sagesse des gens âgés, on a toujours à apprendre d’eux.

Faites-vous partie de ceux qui pensent que « c’était mieux avant » ?

J’assume un côté réac, un peu vieille France. Ma grand-mère m’a transmis ce goût pour les bourgeois ou pour les aristos, notamment quand on allait se promenait aux Champs ou à Boulogne. Je vis dans le 93, à Aulnay, je suis quelqu’un de populaire. Pourtant, je garde certains principes d’éducation qui se perdent. Comme le vouvoiement par exemple, n’importe quel vendeur dans le 93 en viendra à me tutoyer voire à me parler argot. Ça m’insupporte. Dans les beaux quartiers, ben je sais que je n’y aurais pas droit. A contrario, j’aime beaucoup tutoyer les aristos. Quelqu’un comme Arielle Dombasle, je la tutoie spontanément. C’est sans doute mon côté décalé. En tout cas, toute cette tendance à être absolument moderne et à en oublier les règles du savoir-vivre finissent par nuire aux échanges. Chacun vient systématiquement imposer à l’autre ce qu’il est. Par exemple, les gamins viennent me voir et ils veulent me faire écouter du rap. Ok, mais moi, je leur fais écouter du jazz. Je trouve absurde d’intégrer du rap dans des pièces de Molière par exemple. Quand on va vers l’autre, l’autre vient vers toi. C’est comme Macron qui fait des selfies à l’Elysée. Si c’est ça la modernité, je préférais la prestance des anciens présidents. On n’est pas obligé de participer à la médiocrité. Il y a un manque de pudeur qui me gêne. Par exemple, par rapport à la mort, tout cet étalage dans les réseaux sociaux, ça me met mal à l’aise… Sinon pour en revenir à la musique, je trouve qu’il y avait davantage d’harmonie dans la pop alors qu’aujourd’hui les effets prennent le dessus. Si tu présentes une compo avec huit accords, t’es tout de suite catalogué vintage. Et puis, les tubes des années 80 étaient chargés d’une certaine mélancolie, d’une tristesse. Je suis assez romantique comme compositeur.

L’année 2022 sera l’année du Tigre : des projets solo ou d’éventuels collaborations d’ici là ?

J’ai commencé des compos pour un second album solo. Sinon, je prépare un album de reprises de Kraftwerk mais sur de l’afro-beat. J’aimerais aussi faire une session unique. Le principe est de graver dans la journée un inédit et une reprise. J’avais proposé l’idée au groupe « La Femme ». Au fait, rappelez-moi !

Photo en une : Tiger Tigre © Ben Pi

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