Le Transsibérien et l’art, c’est une histoire d’amour qui dure. Avec ses 990 gares et ses 160 heures de train, il est plus qu’un simple trajet au milieu de la Sibérie. Les amateurs de littérature le savent bien, tout comme William Rezé alias Thylacine. Fasciné par ce train, l’artiste a décidé de consacrer son premier album (sorti le 27 novembre) à ses 9288 kilomètres après 3 EPs plus qu’appétissants.
Quand on pense que Thylacine s’est mis à la musique électronique il y a un peu plus de 5 ans, il y a de quoi rester pantois. Sa jeunesse aussi surprend, 23 ans bougies et déjà la maturité d’un baroudeur qui ne peut concevoir de s’enfermer dans un studio pour composer. Habitué à écrire sa musique lors de ses voyages et intrigué par l’histoire du train le plus mythique d’Eurasie, le jeune Angevin s’est posé un défi de taille : retranscrire son épopée humaine et ferroviaire entre Moscou et Vladivostok en un album.
Avec son opus Transsiberian, il retrace une aventure humaine vécue en compagnie de son équipe. En 10 pistes. La Sibérie est le lieu de vie d’ethnies et de traditions plurielles marquées par une histoire pas toujours tendre. Pour être fidèle à l’âme de cette terre insolite, il s’est arrêté dans nombre de petits villages paumés dans la steppe et de temps à autre dans une grande ville, marquant l’arrêt près du lac Baïkal ou dans les églises aux clochers orthodoxes. Thylacine peint alors des lieux et des rencontres à travers le prisme de sa musique. Sa capacité à faire de chaque son enregistré une matière à composer nous immerge complètement dans son voyage : de la rythmique répétitive du train aux chants polyphoniques traditionnels, de l’incantation d’un chaman aux crépitement du feu, de la chanson naïve de deux enfants à la toux d’un passant.
Thylacine – Belobezvodnoe
Voyager donne à Thylacine l’envie de composer et sa musique emmène l’auditeur traverser des frontières. Si la phrase « le voyage nourrit » ne fonctionne pas à tous les coups, elle s’applique bien à ce jeune artiste qui baptise souvent ses morceaux par des noms de lieux : « Belleville », son EP intitulé Exil (avec « Mountains » et « 5th Floor ») ou encore son remix de Fakear (un autre voyageur de l’électro). Le musicien reste fidèle à son univers qui n’est pas sans rappeler la minimale mélodique d’un Paul Kalkbrenner ou de Rone. Il se plaît pourtant à l’emmener ailleurs. Son album est à la croisée du concret et du fantasme, du réel et de l’onirisme pop. Le public se trouve alors embarqué dans une odyssée ferroviaire où le train-train du kick technoïde n’a plus rien de familier. Dépaysement total en terre connue.
Le documentaire magnifiquement réalisé par David Ctiborsky en 10 épisodes produit et diffusé par la plateforme IRL, Les Nouvelles Ecritures de France TV peint superbement les sources d’inspirations de Thylacine. Les paysages à perte de vue, l’eau glaciale et vivifiante, le décor post-industriel à l’abandon redoré par un graffeur… L’élégance de Transsiberian est de ne pas voiler son inspiration, le musicien qui compose ex nihilo n’existe pas et Thylacine nous le rappelle. Aux lieux appartiennent des sonorités, à chaque espace sa propre acoustique. Les compositions de William Rezé sont épurées, l’essentiel est dit, répété même, à chaque fois avec de subtiles habillages pour comprendre que ce n’est qu’un regard jeté par le fenêtre avec l’état d’esprit propre à Thylacine.
Teaser de Transsiberian
Vous l’avez compris, on peut inclure les 10 pistes de Transsiberian dans sa playlist « Chill Out » mais si cela ne se résumait qu’à cela, on n’en aurait pas parlé. Son album a la vertu d’être dansant autant que méditatif, paradoxe du transsibérien, d’une immobilité qui parcours des milliers de kilomètres. Pendant des heures, seul le ciel anime le décors de la steppe jusqu’à ce que l’on rencontre la vie d’une petite ville au rythme si éloigné de l’occident.
A voir : le documentaire Transsiberian A lire : Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie.
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