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Thee silver mt. Zion Memorial Orchestra, le bateau ivre

On attendait avec impatience ce 8ème opus du projet de Thee Silver Mt. Zion. Ce quintet nous faisait languir avec ses quatre ans de silence discographique. La vidéo de présentation de leur LP en dit long : on y voit se succéder ces musiciens iconoclastes sur fond d’images métaphoriques plus ou moins subtiles (colonie d’abeille, heurts avec les forces de l’ordre, éclairs…). Mais trêve de mystère, rentrons dans le contenu.

L’entame du LP se fait sans concession, tout en saturation avec la voix de Efrim Menuck. La guitare gronde, à la fois frustrée et énervée, alors que notre chanteur si expressif (et parfois si faux) déclame une allégorie sur l’état calamiteux de la société. Le premier titre montre bien l’état d’esprit de ce 8ème opus, « fuck off get free we pour light on everything » ! Et on ne peut nier l’incommensurable travail de construction et d’agencement des timbres : la guitare et la voix se distordent, les deux violons friment tout en retenue, discutent avec Efrim et apportent une fraîcheur attendue. On croirait entendre un chant de marin punk sur un bateau ivre. On reconnaît bien ces activistes au sirop d’érable : le cri est vindicatif et Efrim gueulerait presque comme un manifestant (ce qui n’est pas pour nous déplaire). On rêve d’utopie et d’envoyer le système aller se faire voir. Les ponts sont complètement flottants et barrés et conduisent à un chant à l’unisson où les instruments se déchaînent. Ha, voilà du TSMZMO (NDLR : The Silver Mt. Zion Memorial Orchestra) ! Que les réfractaires de la dissonance s’abstiennent ! On la retrouve partout, expressive, fermée et obsessionnelle.

Dans cet orage de sons déviants, une voix de femme surgit et conclue avec paradoxe dans une légèreté aérienne au sein du cette tempête de vibrations. Les tracks de cinq minutes se font rares. En même temps, pour aller sur le territoire de cette formation, il faut savoir se laisser mousser progressivement.

Après dix minutes passées à une vitesse ahurissante, un blues à l’horizon Irish prend sa place dans Austerity Blues. Le folklore est déraciné pour donner une étrange plainte rauque à la fois suave et sombre. Même si l’entame traîne la patte, les ruptures sont enivrantes et enrichissent à chaque pas un peu plus cette balade atypique. Cependant, même si Silver Mt. Zion Memorial Orchestra ne veut pas être catalogué dans le post-rock, il est clair qu’il tombe parfois dans son plus grand défaut : la langueur, celle qui ralentit tout. Mais monter un titre de cette énergie sur 14 min n’est pas sans exiger quelques efforts de l’auditeur. Heureusement que ces Québécois savent palier à cette lacune désirée par des ponts lyriques et saccadés toujours à un mile de ce que l’on pouvait attendre. Il est rare de tant aimer voir nos attentes déçues. Au cœur du morceau, nous voilà au zénith d’un hymne à l’austérité. On peut être désabusé et le crier au soleil avec une allégresse pleine de lucidité. C’est aussi l’empreinte de TSMZMO. La cornemuse fraîchement cueillie dans un champ de trèfles à 4 feuilles nous invite sur les côtes irlandaises au temps de l’IRA. Le message aussi politique que métaphorique pourrait se résumer en ces quelques traîtres mots : « Nous avons tous notre charge et la menons au mieux. Mais ce sont des voleurs et des menteurs qui imposent les règles. Prions ensemble, implorons le seigneurs pour que notre progéniture voit la montagne de ce que tout bon activiste a en horreur, démolie ! ». On pourrait crier aux bondieuseries, mais textes et notes liés délivrent une atmosphère tantôt rêche et criarde, tantôt décomplexée et novatrice.

Sur Take away these grave blues, on retrouve l’Efrim gueulant et houspillant que l’on connaît. 6 minutes et 46 secondes d’une chanson ou plutôt d’un cri du cœur face à l’oppression totalitaire. Autrement dit, une niaiserie révolutionnaire sans arguments avec une guitare folle comme porte-égide. Le titre probablement le plus rock du LP se joue sur la transe et la répétition. Le tempo n’a plus de limite et trois notes suffisent à couper le souffle et les quolibets des conservateurs. On a du mal à brimer les rêvasseries, qui aboutissent principalement à vouloir balancer des pavés sur le premier représentant de l’ordre fictif que l’on croiserait. On a déjà parcouru la moitié du LP et les Québécois ont bien compris qu’une pause serait bienvenue. Avec Littles ones run, le temps suspend son vol pendant 2m30 juste pour nous laisser planer. Des voix féminines et douces viennent bercer nos oreilles d’une contine terne et vaporeuse. Il est dans la nature des petits de fuir, la vie animale à l’image de celle des hommes en a fait une loi implacable. Si vous voulez que l’on vous compte les petits bonheurs de la vie, allez écouter Bénabar. Ici c’est de la férocité de la vie dont il est question. La contrebasse et le xylophone prennent la place du Fuzz ; du repos pour nos oreilles éprouvées et de l’apaisement dans cette musique dissidente qui se résout bien souvent ( trop souvent?) par un cri déchirant la nuit. Tous les morceaux s’enchaînent avec une cohérence réjouissante, comme 6 mouvements d’une sonate. La suite s’écoule doucement.

Les plus belles chansons sont bien souvent des chansons d’amour. On peut donc à ce propos se foutre de la gueule aisément e de ce soit-disant groupe de rockeur progressif. Mais dans Loves was not Enough, Efrim Menuck le dit comme peu de gens. Instrumentation à prime abord sans prise de tête. Une ballade rock, rauque et solide. L’amour ne suffit jamais en lui-même pour la musique et de fait ce titre ne déborde pas d’originalité. On se repose sur ses acquis. La maîtresse est à deux doigts de vouloir tirer TSMZMO par les oreilles. A la moitié du titre l’on tombe dans le mélodramatique post-rockien. Et pourtant, quand c’est bien dit, tout le monde adore les clichés. Mais là… Cela deviendrait presque emmerdant. Première grande déception : on croyait alors que le groupe avait réussi à franchir l’épreuve du renouveau. Mais on regrette presque la témérité des anciens albums. Ce n’est pas désagréable mais si on avait le choix entre ça et un remix un peu dégueu d’un titre de Mogwai, on n’hésiterait pas. 

Heureusement, HEUREUSEMENT, qu’ils n’ont pas osé nous laissé sur ce dernier titre au goût fade. La dernière chanson (Rain Thru The roof At the Grande Ballroom) est une petite pépite en hommage au défunt Capital Steez. Une dédicace plus que poignante à cette jeune pousse du hip hop du collectif Pro Era que l’atmosphère asphyxiante de New-York a empoisonné. A à peine 19 ans il avait le talent pour retourner nos cerveaux et faire vibrer nos cœurs meurtris. Le lien entre les deux artistes n’est pas spontané mais après avoir écouté les lyrics que scandait Capital Steez, on comprend mieux. Putain, elle arracherait presque une larme à un trader. Le recueillement, la douceur, la subtilité, l’économie de moyens : tout y est. Dans un instant qui s’efface en un claquement de doigt. Nous laissant face à la violence d’un moment de silence après un coup de feu.

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