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Se plonger dans la musique des Hirondelles de Kaboul

Quelle est la force d’une bonne BO ? À quoi ça tient ? Avec l’adaptation du culte bouquin de Yasmina Khadra par Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec, impossible de faire les choses à moitié. L’œuvre est tellement bouleversante qu’un trop plein de pathos ou de la synchro douteuse aurait tout foutu en l’air. On a échangé avec le minimaliste chef d’orchestre de ce joyau de l’animation, Alexis Rault. Dans ce papier, vous pouvez même regarder quelques images du film, et écouter la bande son.

Le saviez-vous ? Il est souvent chose entendue qu’un musicien cumule rarement carrière studio/concert, et expériences de musiques à l’image. Le cinéma et la musique… ces deux mondes qui ne communiquent pas beaucoup entre eux. On se retrouve souvent avec d’un côté les préposés au grand écran, de l’autre les spécialistes de la galette et des planches. Et même si les choses bougent, si les frontières sont devenues mouvantes, et si le rôle de l’artiste s’est élargi en un entrepreneur-artiste gérant plus d’aspects de son art et de son image, l’un et l’autre ignorent encore beaucoup de leurs semblables.

C’est pourquoi dans le secteur des musiques actuelles, on peine à connaître, par manque d’information, les orfèvres de la bande originale de films. Septième ou huitième nom d’une affiche, il est ce rouage romantique travaillant dans l’angle mort, à deux pas des acteurs et réalisateurs vedettes. Qu’importe, nous direz-vous ? « L’important dans la marmite, c’est qu’elle mijote bien »… Une métaphore incertaine s’il en est, qui n’est pas sans rappeler notre écœurement des images gastronomiques dans les chroniques musicales. Mais ne nous égarons pas. Et crions le haut et fort : soutenons les éminences grises des salles obscures et des studios insonorisés, rendons hommage aux musiciens à l’image au même titre que leurs cousins de la scène. Envoyons tout notre amour aux Syd Matters, Para One et Soulwax qui cumulent, mais intéressons-nous surtout aux rats de labo, qui illustrent les longs métrages qui giflent nos âmes. Mettons enfin un point d’honneur à citer les réalisateurs/trices qui les invitent.

Aujourd’hui, voici Alexis Rault. Il a étudié la guitare classique au Conservatoire de Rennes, puis fait des études supérieures de commerce. Alexis y a rencontré Maxime Delauney, qui est devenu son agent (aujourd’hui producteur de cinéma chez Nolita Cinema) et le comédien et producteur Dominique Besnéhard (de Dix Pour Cent, notamment) qui lui a permis en 2007 de travailler sur la musique de L’amour dans le sang, un téléfilm de Vincent Monnet pour France TV. Depuis, il a composé une trentaine de musiques de film : Le Fils à Jo (Philippe Guillaurd – Prix Sacem de la meilleure musicale originale, Festival du Film francophone de Stuttgart), Quand on a 17 ans et L’Adieu À la Nuit (André Téchiné) ou encore Paris, etc. (Zabou Breitman – Laurier de la Télévision pour la musique originale). Eh ouais, y’en a qui bossent.

Venons en aux faits. Alexis est compositeur de la musique du film Les Hirondelles de Kaboul, réalisé par Zabou Breitman & Eléa Gobbé-Mévellec, et produit par Les Armateurs (Kirikou, Princes et Princesses, Ernest et Célestine, etc). Sorti en salle le 14 septembre 2019, il est adapté du livre du même nom, monument de littérature de l’auteur algérien Yasmina Khadra publié en 2002 (et fait partie d’une trilogie avec d’une trilogie comprenant également L’Attentat – 2005 – et Les Sirènes de Bagdad – 2006). Le pitch des Hirondelles : à l’été 98, on se trouve dans une Kaboul en ruines, occupée par les talibans. Mohsen et Zunaira sont deux jeunes adultes amoureux. Malgré un contexte extrêmement violent, plongé dans la misère et la charia, restreignant les libertés publiques et terrorisant les femmes, ils sont plein d’espoir, comme si leur environnement proche pouvait leur passer dessus. Jusqu’au jour où…

Sélection « Un Certain Regard » au Festival de Cannes 2019, le film joue sur le paradoxe entre un environnement de terreur et des dessins en aquarelle, très doux, que la musique d’Alexis vient accompagner. Cordes, flûtes, tapis sonores accentuent, créent et serpentent dans les méandres des rues du Kaboul meurtri. Le tout sous un soleil assommant. On ne peut que vous engager à aller voir ce film hautement poétique et bouleversant, qu’Alexis Rault a magnifié. Et pour l’occasion, on publie ci-dessous notre entretien avec le compositeur de génie.

Et un grand merci à Les Armateurs de nous permettre d’utiliser les visuels. La BO intégrale est à écouter ici ou en bas de l’article. Elle est également disponible en digital, en CD et en vinyle, via Milan Music, label spécialisé depuis 40 ans dans la production de musiques de films cultes (Deadpool, Brazil, La Cité de Dieu, Parle avec elle, Ghost, Climax, Princess Mononoke, Le Voyage de Chihiro, Le Cercle des Poètes Disparus, et on en passe).

Alexis Rault - Lou Sarda

Alexis Rault, par Lou Sarda

INTERVIEW :
ALEXIS RAULT

Quel rapport entretenez-vous avec le cinéma d’animation ?

Je connais assez peu le cinéma d’animation, j’avais d’ailleurs un peu peur de m’y confronter et de ne pas en maîtriser les codes. Mais Zabou et Eléa m’ont vite rassuré en me disant qu’elles souhaitaient justement que je rompe avec d’éventuelles conventions, que je me sente libre d’aborder le film comme je l’entendais. Elles ont eu une approche assez fictionnelle du film. Par exemple pour diriger les comédiens et comédiennes qui font les voix du film, Zabou les a fait jouer et filmés en costumes avec les vraies gestuelles. Eléa s’est ensuite inspirée de ces images pour créer, dessiner et animer les personnages. C’est je crois ce qui a permis de faire un film assez bouleversant de réalisme. Le spectateur oublie très vite qu’il s’agit d’un film d’animation. La seule chose que ça peut changer c’est la résonance que la musique a sur l’image, un côté plus intime qui joue beaucoup sur les contrastes. Visuellement le film est une aquarelle, très douce, avec des tons pastels qui viennent contraster avec la brutalité du sujet. La musique n’a pas le même impact sur une aquarelle que sur une séquence en prises de vues réelles.

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Avez-vous travaillé de pair avec Zabou Breitman & Eléa Gobbé-Mévellec ou êtes-vous arrivé après ?

Je suis intervenu lorsque l’animatic du film était fini. J’ai donc travaillé parallèlement à la colorisation et au travail sur le son (montage, bruitage, mixage) en étroite collaboration avec les réalisatrices et Françoise Bernard qui a travaillé sur le montage image.

Vous entourez-vous de musiciens ou composez-vous tout vous-même ?

Je travaille beaucoup seul. Je fais intervenir assez peu de musiciens, et le plus tard possible. Il y a peu de différence entre les maquettes et le résultat final parce que j’interprète la plupart des instruments en composant, et je ne les rejoue pas ensuite. J’ai tout de même travaillé avec un quatuor à cordes et une flûtiste alto qui ont beaucoup apporté. C’est une musique minimaliste, assez noire, parfois lyrique, avec des sons très organiques, pour un rapport charnel, proche du corps. Avec du souffle, des voix, des murmures, des frottements de cordes.

Quel regard portez-vous de particulier sur votre travail sur ce film ? Quelle est la force de la musique à l’image sur ce long métrage ?

On souhaitait que la musique soit le reflet de l’intériorité des personnages, qu’elle ne soit pas liée à une seule histoire. L’histoire se passe à Kaboul à la fin des années 90, à une époque où la musique est interdite. Donc la musique devait aussi pouvoir signifier le silence, elle devait traduire quelque part cette absence de musique. D’où une musique très épurée au début, qui arrive sur la pointe des pieds, comme chuchotée. Et peu à peu elle trouve sa place, prend de la hauteur, gagne en densité en suivant l’évolution émotionnelle des personnages. A la fin elle est très présente parce qu’on a dépassé le cadre géographique et politique du film et que le propos devient plus universel.

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Est-il prévu de jouer cette BO à l’occasion de concerts et/ou ciné-concerts ?

Pas pour le moment non, mais peut-être !

Aviez-vous lu le livre de Yasmina Khadra avant de travailler sur cette BO ?

Non je ne l’avais pas lu. Et Zabou préférait que je ne le lise pas pour éviter d’être influencé par l’histoire du livre, différente par certains aspects de celle qui est racontée dans le film.

Connaissiez-vous le contexte du Kaboul de la fin des années 90, ou Les Hirondelles de Kaboul vous ont-ils rappelé ce qui s’y déroulait ?

Je connaissais le contexte mais je n’en avais qu’une vision assez lointaine. Je n’avais pas vraiment conscience par exemple du fait que les premières victimes du régime des Talibans étaient les femmes. Pour elles tout n’était qu’interdictions, enfermement et brutalités. Une phrase du film résume l’état d’esprit des talibans : « Aucun homme ne doit quoi que ce soit à une femme, les malheurs du monde viennent de ce malentendu ».

Quelle est la force de ce film, selon vous ?

Je trouve que l’idée de raconter cette histoire par l’animation était brillante. Le même récit en prises de vues réelles aurait été très difficile à supporter. Zabou et Eléa ont réussi à faire un film bluffant de réalisme en y apportant paradoxalement beaucoup de poésie et de douceur. Elles parviennent à montrer l’insoutenable avec délicatesse, à déceler de la beauté, du romanesque, de l’espoir. La portée du film n’est pas que politique, elle est aussi humaniste et universelle.

BO intégrale
cliquable

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Merci à Les Armateurs pour les jolis visuels du film.

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