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Sami Galbi : gymnaste des genres

Ses chansons parlent de ses sentiments, de sa famille et de ses origines. Looké avec son survet’ deux tons, sa coupe undercut presque punk et ses boucles d’oreilles tombantes, le jeune homme-orchestre débarque sur scène après minuit, plein d’enthousiasme. Sami Galbi salue, échange, harangue et captive le public dont une partie débarque tout juste du concert d’Israël Fernández et son flamenco espagnol gitan vénéré ici, à quelques encablures de la capitale de la Camargue. Qu’importe, l’artiste enjambe la Méditerranée et se fait trait d’union entre son raï teinté de chaâbi et le chant des cigales arlésiennes. Sami offre ses mélodies anguleuses ostensiblement guidées par l’auto-tune et s’accompagne lui-même avec guitare, synthé et boîte à rythme. Propulsé par son tube Dakchi Hani, le jeune musicien poursuit son court de gym entre grand écart  Raï-chaâbi, salto électro-pop, et chansons-roulade. Frais et généreux, c’est un artiste à l’image de sa musique que je rencontre ce soir, traversé par son époque et bien parti pour l’embellir.

© Olivier Scher

On dit que voyager, c’est laisser un bout de son cœur à chaque endroit que l’on quitte. Toi qui es suisse, français et marocain, tu as sûrement un peu voyagé : y-a-t-il un endroit où tu as laissé un plus gros bout de ton cœur que les autres ?

En effet, j’habite à Saint-Saphorin près de Lausanne, j’ai passé beaucoup de temps à Marseille où j’ai de la famille, j’ai vécu à Casablanca, en Angleterre aussi il y a une dizaine d’années, et je connais l’est de la France car mes grands-parents sont de Besançon. Je dois dire que j’adore Casa, d’abord parce que c’est une ville portuaire et que j’adore ça. Le port c’est le passage, la connexion avec l’extérieur, c’est aussi le pourtour méditerranéen. Donc Marseille et Casa m’inspirent beaucoup, pour leur héritage culturel et musical mais aussi pour leur diversité. Ces villes sont des lieux d’altérité qui ont appris à assumer leurs identités multiples, c’est un thème très actuel qui me parle beaucoup.

Tu as été dans plusieurs formations musicales. Chorale, Groupe, Duo. Aujourd’hui sur ce projet tu es en solo. Qu’est ce qui change quand on fait de la musique seul ?

J’ai commencé par faire de la musique seul, comme à peu près tout le monde, j’ai même eu un projet solo folk-blues, puis d’autres projets variés. Le fait d’être à nouveau seul, mais d’avoir cette fois-ci à ma disposition tous les outils électroniques, me donne le sentiment que la limite sera là où je déciderai de la mettre. Je fixe évidemment ma direction artistique mais aussi la nature-même de ma musique sans faire de concession. En Suisse on a vraiment cette culture du compromis, c’est super mais dans l’artistique j’ai l’impression qu’il ne faut pas limer les angles. Il faut y aller et faire ce qu’on a envie de faire. On peut prendre des conseils, mais pour avoir beaucoup essayé de contenter plusieurs personnes dans un groupe, j’ai l’impression qu’on perd une certaine essence. Être seul n’est pas tout le temps facile mais ça offre une grande liberté, en termes de travail, d’envie, de calendrier.

Tu as fait un petit passage par la folk irlandaise. Tu dis à ce sujet qu’il existe des similitudes entre la musique celtique et le raï, lesquelles ?

Dans le fond, ce sont toutes les deux des musiques folkloriques et populaires. Les contextes dans lesquels vont être jouées ces musiques sont similaires : des célébrations, des cadres locaux et ruraux. Je retrouve aussi les rythmiques folk en 6/8 dans la musique marocaine et puis elles ont chacune des instruments tonaux, solistes mélodiques, comme la cornemuse dont on retrouve des versions alternatives sur tout le bassin méditerranéen. On peut aussi penser aux claps et bien sûr au chant, ces deux musiques ont des chants qui parlent de famine et de domination étrangère. Je ne suis pas musicologue mais elles ont probablement des ancêtres communs et une base universelle qui les relie.

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© Olivier Scher

Tu racontes à propos du titre Rruina que tu as appris le darija afin de discuter avec ta grand-mère et lui poser des questions sur tes origines. Est-ce que ses réponses sur ton identité t’ont influencé et peuvent influencer ta musique ?

J’ai fait ce morceau oui, dans lequel je parle d’où je viens et de l’histoire de ma famille. La détentrice de ces infos est logiquement la personne la plus âgée de la famille, donc j’ai appris cette langue pour pouvoir parler avec elle. J’ai répondu à une partie de mes questions mais pas encore à toutes. Ceci étant dit, je ne l’ai pas fait pour m’enfermer dans une vision identitaire, on est qui on a envie d’être et il faut aller de l’avant. Je me suis donc réapproprié un peu ma marocanité mais pas complètement, car dans mes textes, mon langage n’est pas celui de quelqu’un qui a grandi au Maroc mais plus celui, très mélangé, de la diaspora. On retrouve donc ces identités multiples qui me questionnent sur qui je suis dans cette société, qui on est en tant que communauté, et comment la rendre plus inclusive.

Tu assumes, notamment au sujet du clip de Dakchi Hani, de défendre les identités queer et pas hétéronormées. Est-ce une façon de tordre le cou aux incarnations classiques des artistes maghrébins ou la simple liberté d’être qui tu veux être dont tu te saisis ?

Je soutiens en effet tout ce qui combat une vision binaire de la société, identité nationale, de genre ou culturelle. On va vers des sociétés de plus en plus hybrides et il faut assumer ça. C’est aussi assez jouissif de voir les personnes qui pensaient nous avoir bien rangés dans des cases et leur montrer que c’est plus complexe. Les identités de genre au Maghreb (et dans la diaspora) ont toujours été multiples, il y a d’ailleurs quelques artistes de raï ouvertement gays en Algérie. L’Afrique du Nord a connu plusieurs vagues identitaires comme le nationalisme arabe et c’est important de montrer en Europe et au Maghreb que cette diversité existe et qu’il faut la prendre en compte, la valoriser, lui donner une place et des droits.

C’est très second degré dans ce clip de montrer de mon corps fluet dans ce temple de la gym qui était mon authentique salle de sport à Vevey quand j’étais jeune. J’assume mes goûts et mon identité mais je me méfie aussi qu’on me colle une autre étiquette. Ca m’a valu beaucoup d’attaques homophobes : t’es pas assez épilé pour être gay, mais t’es quand même trop gay pour être hétéro, on ne sait pas où te mettre. Malgré tout, c’est génial si ça trouble des gens et que ça les amène à se poser ce genre de questions.

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Après la sortie de ce morceau et depuis ton passage aux Transmusicales de Rennes en 2023, tu as bénéficié d’un gros coup de projecteur sur ta très jeune carrière. Comment est-ce qu’on se construit en étant assailli de questions dont on n’a pas toujours les réponses ?

Je ne m’y attendais pas, j’ai réalisé un peu après. L’important c’est de pouvoir se reposer, d’en parler avec des amis, d’écouter les conseils d’autres artistes qui sont passé·es par là. Il ne faut pas perdre de vue pourquoi on fait ça, quel plaisir on y prend et privilégier ces choses-là. C’est quand même une industrie, des partenaires, de la pression, des gens qui vont parfois essayer de t’amener dans d’autres directions. Je suis seul, donc j’ai la main sur beaucoup de ces décisions, je suis aussi très bien entouré par mon label et mes bookeurs, Bango Joe, Soyouz qui me comprennent et me soutiennent sans rien perdre de mon indépendance.

Ces derniers mois, la tendance n’était pas à la paix entre les peuples, ni à célébrer le vivre ensemble. Est-ce que tu souhaites t’exprimer sur ce que tu ressens ?

Oui, je suis très inquiet de ce qu’on vient de vivre en France. Je m’y suis beaucoup intéressé car j’ai le droit de vote en France, mais ça concerne tout le monde en réalité. C’est une période de repli sur soi, un retour des tabous et d’une fracture sociale. Moi, j’espère pouvoir créer du commun. Peut-être qu’on n’arrivera pas à trouver ce projet commun en tant que société mais, au moins, faisons en sorte que les minorités puissent vivre librement, c’est trop important.

Le drame qui se passe en Palestine aussi a beaucoup polarisé la société et ça n’est pas facile de s’exprimer à ce sujet car on veut toujours mettre les gens dans des cases. C’est pas parce qu’on est d’origine arabe qu’on doit porter ce sujet non plus mais c’est important pour moi d’en parler d’autant plus que le royaume du Maroc n’est pas d’un grand soutien à la cause palestinienne.

Quels sont tes projets pour les mois à venir ?

L’album est prévu pour 2025, on est en train de travailler dessus, là je me concentre sur la tournée. Il n’y a pas trop d’horizon de vacances en tout cas, après cette folle année j’ai comme envie d’aller un mois en hiver sur un autre continent, aller marcher, admirer les paysages. Je crois que pour me détendre je trouverai bien un petit bout de terrain pour faire des choses en dehors de tout ça. Je suis issu d’une famille d’agriculteurs, que ce soit côté français ou côté marocain et c’est quelque chose qui me séduit bien. Ça équilibrerait bien avec tout le faste des voyages, cet endroit où l’on peut faire des choses très simples et nécessaires. Je fais peut-être ma crise de la trentaine (rire).

Après nous avoir fait danser, après avoir chanté ses histoires de rupture magnifiée et de ruines arrosées, après nos maigres cris pour une Palestine libérée d’un génocide qui se poursuit chaque jour, Sami laisse place au DJ set complice de La Louuve sur lequel il ne manquera pas de venir jouer un peu de qraqeb (ces grandes castagnettes métalliques) et de célébrer avec nous la joie de ces instants métissés.

© Florent Gardin / Arles Photographie.

Retrouvez Sami Galbi à Marseille le 10 octobre à la Fiesta des Suds ou encore à Paris le 28 novembre au Hasard Ludique.

Photo de couv © Ines Bouallou

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