La musique cosmopolitaine de Sahad et des sept musiciens du Nataal Patchwork connaît des beaux jours au Sénégal où elle fait son trou. Sur fond d’afrobeat, jazz et reggae, les textes de Sahad chantés dans plusieurs langues se veulent universels. Leur souffle ne s’empare pas de l’Afrique de l’Ouest comme une énième copie de l’Occident, mais essaie à sa manière d’accomplir la prophétie de Léopold Sédar Senghor : devenir la Civilisation de l’Universel.
Sahad and the Nataal Patchwork, c’est 6 nationalités différentes. Vous êtes des polyglottes de la musique ?
Sahad : En plus du français et un peu d’anglais, je parle plusieurs langues locales : le sérère, le wolof, le mandingue, je connais un peu le mooré aussi. Je les utilise toutes dans nos chansons. La mixité des cultures et l’échange font partie de l’identité de notre groupe. La musique est le meilleur moyen de s’ouvrir. J’aurais pu jouer avec des musiciens sénégalais, faire de la musique que tout le monde connaît ici mais non, ils sont issus d’une autre culture. Notre musique est un voyage. Un voyage tout autour du monde.
Vous appartenez à quelle école musicale ?
S : D’un point de vue professionnel, on fait du jazz, mais c’est juste pour avoir une étiquette. A l’intérieur de notre musique, c’est très large. Nous sommes dans l’esprit du naturel, nous laissons les influences venir toutes seules, pour qu’elles se mixent et qu’au final elles forment un chemin. Un chemin sans mur.
Sahad and the Nataal Patchwork est donc plus un état d’esprit qu’un groupe de musique ?
S : Oui, Sahad and the Nataal Patchwork, c’est une philosophie. On part du constat que chaque être humain a une identité qui a été fixée par la société. Nous sommes juste un reflet de cultures, des différentes façons de penser et de faire la musique. Nataal c’est le portrait, Patchwork c’est le tout.
NATAAL EP
Il y a souvent le thème de l’exode dans vos textes. Quel message voulez-vous véhiculer ?
S : En Afrique, après l’esclavage et la colonisation, il y a eu l’idée que le développement venait de l’extérieur. Que le développement, c’étaient les grattes-ciels et tout ce que l’industrie a produit. Pourquoi ne pas prendre le développement à notre manière en Afrique ? Avant l’esclavage et la colonisation, on avait notre société, notre esprit, un savoir à partager. Il faudrait revenir à ce que l’on a. Ici au Sénégal, les gens ignorent beaucoup de leur propre culture et pensent qu’il faut ressembler a l’Occident pour être à l’intérieur. Alors qu’il faudrait justement un retour vers les origines. Notre musique cherche à inciter sur cette voie.
La musique est-elle une la façon de dépasser tous ces clivages culturels, identitaires, géographiques ?
S : Léopold Sédar Senghor [poète et premier Président du Sénégal (1906 – 2001) / NdlR] avait dit qu’après la révolution, les Sénégalais allaient entrer dans la Civilisation de l’Universel. C’est à dire que chacun allait amener quelque chose à proposer au monde. Mais au Sénégal, on n’apporte presque rien. Je veux proposer quelque chose. Je veux parler en tant qu’Ivoirien, Français au nom des cultures que je connais, auxquelles je m’identifie. Il faut trouver des références plus positives que la colonisation ou l’esclavage. On n’est pas dans le jugement de l’homme noir ou de l’homme blanc : on défend nos valeurs positives, et on en a plein !
Quels ont été tes plus grands inspirateurs ?
S : James Brown, Buena Vista Social Club, Ben Harper et surtout le Camerounais Richard Bona, le meilleur musicien africain selon moi. James Brown, c’est un touche-à-tout mais Richard Bona… Comme lui, je suis parti ailleurs pour m’inspirer : au Ghana, au Burkina Faso, au Mali. J’ai fait beaucoup d’échanges, rencontré des musiciens partout.
De gauche à droite : Francois A. Keita, Tass Tass, Sahad Sarr et Brahim Wone / Crédit : Jean-Baptiste Joire
Vous avez des projets de festivals à l’étranger ? L’Europe ?
S : On a fait beaucoup de festivals au Sénégal et on aimerait beaucoup jouer en Europe à présent. Mais il nous faut l’appui de certaines personnes. Il y a des groupes sénégalais qui sont partis en tournée en Europe et en Amérique, simplement parce qu’ils avaient les bons contacts. Il y a vraiment un lobby dans la scène culturelle du pays qui bloque les aspirations de beaucoup d’artistes.
Justement, quel est le quotidien d’un artiste sénégalais en développement ?
S : Notre groupe essaie de rester hors du show business qui, au final, appauvrit la musique parce qu’il nous force à faire des choix. On ne veut pas qu’on nous dise comment chanter ou faire notre musique. Nous, on vit tous a Dakar et on n’a jamais voulu changer notre mode de vie même après notre succès. On continue a prendre les cars rapides a 100 CFA. On ne veut pas se transformer en quelque chose d’autre, on reste nous-mêmes.
Si tu devais organiser un festival, quels artistes inviteraient-tu ?
S : (Soupirs) J’en ai tellement à l’esprit… Richard Bona en tête d’affiche. Après Marc Knaufler, Dire Straits et puis Sultan of Swing. Un rappeur américain aussi du genre Mobb Deep. Mais elle est trop frustrante ta question, il n’y aura jamais de la place pour tout le monde.
Un album est prévu en janvier 2016. Pourquoi a-t-il fallu attendre aussi longtemps ? Ton groupe existe depuis des années.
S : Jusqu’à récemment, on n’a pas eu suffisamment de moyens pour faire un album à la hauteur de nos ambitions. Il faut dire qu’on veut faire un album-portrait du monde. Certaines chansons doivent être enregistrées au Sénégal avec des instruments et par des artistes sénégalais, puis dans un autre pays, pour capturer d’autres réalités. On prendra des instruments avec lesquels on n’a jamais joué et on jouera dans un autre univers. Pour créer cet album vraiment éclectique, il nous faut voyager dans le monde.
D’autres projets dans le futur ?
S : On a envie de créer un label qui s’appellera Patch World. La musique est très difficile au Sénégal : beaucoup de jeune artistes très talentueux, mais pas de structures pour les encadrer et les pousser vers le haut. Patch World aidera les jeunes musiciens, cinéastes, artistes, à enregistrer, produire, et développer leur créations artistiques. On veut prendre les jeunes qui se trouvent dans une situation comme nous, dans la scène underground.
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