Ryoji Ikeda est un artiste japonais qui partage ses créations visuelles et sonores à un public très averti (ou très défoncé). La musique scientifique de cet exilé installé à Paris remplit les salles du monde entier et s’est déjà fait inviter dans des festivals comme le Sónar à Barcelone ou le Hertz à Athènes. Post-techno – IDM – musique électroacoustique, soyez sûrs d’une chose : vous n’êtes pas là pour danser le rock. Pour danser tout court, d’ailleurs.
L’événement au Village Underground de Londres était complet depuis des mois. On tente donc la méthode classique : une arrivée assez tôt (19h30), on passe habilement à l’intérieur et on s’acquitte des frais du billet. On n’a même pas le temps d’aller nous chercher quelque chose au bar (histoire vraie) qu’une frêle ombre se profile sur scène. La foule compacte se tait ; et l’écran s’anime.
Ryoji Ikeda présente Supercodex, son live audio-visuel dont l’enregistrement est sorti chez raster-noton, un certain label allemand qui a aussi sorti des choses plus dansantes comme Simian Mobile Disco, Byetone, Wolfgang Voigt ou Kangding Ray.
Pendant très précisément soixante minutes, on assiste à un spectacle d’états bruts. Ces derniers sons projetés sur un écran d’environ cinq mètres sur cinq sur lequel prennent vie des formes en tout genre. L’esprit veut y trouver des ressemblances et identifie donc des signaux de sismographes, déchiffre des hélices d’ADN, perçoit des ondes radios et repère des fonctions sinusoïdales.
Plus on s’immerge, plus l’on perd pied. L’œil est absorbé dans un méandre de conformations en noir et blanc. La simplicité des couleurs, ces deux opposés qui se confrontent une fois encore, illustre là bien un choix d’esthète. Au lieu de rajouter une teinte, on retranche tout ce que l’on peut pour se rapprocher d’une vérité numérique, d’un pouls quelconque.
On dirait justement qu’Ikeda s’immisce dans un ordinateur et que, titillant ses circuits, la machine se rebelle, éructe ces compositions et jette ces structures de fréquences. Loin, très loin des quatre temps traditionnels de la musique dansante. On est entraîné par des rythmes sonores extrêmement bien ajustés aux séquences. Ils perturbent les repères de notre système auditif. « Data of Sound », « Sound of Data », Ikeda explore des univers en lien avec la physique quantique, son projet de vie.
Le set se termine – le projecteur doit atteindre ses limites de capacités. Ikeda sort de scène sans un regard vers le public qui se disperse à la vitesse de l’éclair. On a l’impression qu’un TGV vient de nous fouetter et on ressort les yeux exophtalmés, encore déphasés de la réalité.
La foule s’agglutine à nouveau aux portes, le train d’Ikeda repart dans trente minutes. Aux sens saturés, la destination demeure, elle, inconnue.
Ryoji Ikeda – Supercodex 09
Proche de notre expérience, l’année dernière au Bozar Electronic Arts Festival, il faut se donner complètement à cette ‘musique’. Si le plaisir n’est pas forcément la première conséquence du son dans notre corps (parfois même pas du tout !), ce type de spectacles promet une vraie expérience sensorielle et physique.
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