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Rodrigo Cuevas : expert en séduction

Le biomimétisme est une chose formidable à laquelle on doit l’avion, le velcro, les structures en nid d’abeille… et Rodrigo Cuevas. Pour séduire son public, l’apollon asturien n’aurait-il pas emprunté au merle son goût pour les mélopées, au manakin ses danses fiévreuses ou aux grues du japon leurs parades élégantes ? Car voir un concert de Rodrigo Cuevas, c’est essuyer les assauts caliente dont il fait feu pour conquérir les yeux, le cœur et les oreilles d’une foule avec laquelle ce tête-à-tête consenti pourrait durer la nuit. Tant traditionnel que moderne, comme la programmation des Suds en a la spécialité, le show du trublion ibérique tangue d’une électro torride aux chants d’antan des campagnes asturiennes entrecoupé de longs apartés prétextes à perfectionner son français coquin. On serait bien en peine de vous refaire ce qu’on a vu ce soir-là, mais comme on dit là-bas : “vale la pena”.

Tu sembles prendre un plaisir fou à animer ces moments entre tes morceaux, est-ce que tu t’ennuies en studio ?

Rodrigo Cuevas : Tout à fait, pour moi le studio est un endroit où je me retrouve complètement à nu, comme si 100 000 paires d’yeux me scrutaient et me jugeaient alors qu’il n’y a que mon propre regard à ce stade. Le studio est un lieu où l’erreur n’a pas de solution, il faut faire face aux difficultés, admettre ses défauts, pour moi c’est un lieu très triste.

Les paroles de tes chansons sont un mélange de textes d’époque et de tes mots, plus contemporains. Tes costumes et tes danses piochent directement dans la tradition espagnole, qu’est ce qui t’attire dans le fait de faire vivre ce patrimoine ?

Parce que je le trouve tout simplement superbe ! Toutes ces mélodies parfaites, ces vêtements brodés à la main avec tant de subtilité et ces danses sont d’une telle qualité, cet artisanat patrimonial travaillé de génération en génération est si merveilleux qu’on aurait tort de ne plus l’utiliser. Piocher dans tant de beauté est pour moi une évidence.

On qualifie certains de tes morceaux de folktronica. Tu collabores aussi avec des artistes électro, quel est ton rapport à cette musique en général ?

La musique électronique est celle que j’écoute le plus, mise à part la musique traditionnelle. J’écoute beaucoup de choses mais pour sortir et faire la fête c’est vraiment l’ambiance que je préfère.

Rodrigo_Cuevas__Les_Suds_334

Rubis scintillant devant ses quatre complices tout de noir vêtus et dont les chœurs, machines, guitares et tambourins habillent ses chants, Rodrigo Cuevas arpente l’écrin du théâtre antique arlésien interpellant sans cesse la masse sombre de regards qui le déshabille, pour son plus grand plaisir. « À votre tour de me faire un strip-tease », propose rapidement l’artiste sur le fameux « You can leave your hat on ». Une liberté des corps et des mœurs revendiquée comme acte poétique, à défaut d’être politique. Derrière la fête exubérante, Cuevas impose avec malice son respect des identités multiples et multicolores et rend hommage à celles et ceux assassinés pour s’être assumés hors des bornes de l’hétérosexualité. Autoproclamé « PD de naissance », l’étalon fait la nique aux réac.

Tu viens des Asturies dans le nord de l’Espagne, une terre chargée d’histoire, de religion, de tradition, comment était ton adolescence ?

J’ai grandi à Oviedo, la capitale des Asturies. À vrai dire je m’y suis beaucoup amusé, même si j’ai bien sûr subi du harcèlement à l’école parce que je suis un homme queer. Je me souviens surtout de cette obsession que j’avais d’aller vivre dans le village de ma grand-mère, où j’ai fini par m’installer. J’en rêvais car, là-bas, je me sentais complètement libre et je m’amusais terriblement. Puis je suis allé vivre à Barcelone, croyant, à tort, que j’étais fait pour vivre en ville.

Dans tes clips, tu parles des Maricas Rurales. Quelles difficultés rencontre-t-on quand on est un artiste espagnol, au répertoire traditionnel asturien, et que l’on défend la communauté LGBTQIA+ ?

Par chance en Espagne je ne trouve pas que mon identité queer soit une difficulté supplémentaire dans ma vie d’artiste. Être un homme blanc me facilite bien plus les choses que si j’étais une femme lesbienne ou une personne trans, mais franchement le plus dur pour moi c’est surtout d’entendre encore et toujours cette rage d’extrême droite et de voir que le nombre d’agressions augmente sans cesse. Artiste ou pas, ces actes horribles me font beaucoup de peine.

Rodrigo_Cuevas_©Florent_Gardin_Les_Suds_368

Tu as joué aux Suds en 2022. Tu présentais ton album Manual de Cortejo, co-réalisé avec le producteur Raül Refree (Silvia Pérez Cruz, Rosalía) et pour lequel vous étiez partis à travers les villages des Asturies collecter chants et rythmes locaux afin de leur redonner vie. Tu jouais alors à la cour de l’archevêché, cette fois-ci tu es programmé au théâtre antique, qu’est ce qui a changé d’autre en 2 ans ?

Depuis j’ai sorti un second disque, Manual de Romería, produit par Eduardo Cabra (de Calle 13). La « romerie » est à l’origine un pèlerinage religieux festif. On s’y se pare de mille feux et le style, la joie et l’assurance de chacun·e les rend toutes et tous magnifiques. Cet album, dans sa revisite de l’héritage des rites et coutumes rurale des Asturies, mais aussi de Galice est dans la continuité du dernier album. Sinon, en deux ans ici, je crois que je suis monté en grade ici, à Arles. J’aurai carrément dû jouer dans les arènes en fait ! (rire).

On te compare souvent à un certain chanteur de rock anglais, extravagant et moustachu lui aussi. Confidence pour confidence, qu’est que tu as de plus que lui ?

Et bien moi je joue du tambourin et je suis sûr qu’il ne peut pas en dire autant.

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« Moi, je vis d’amour et de danse. Je vis comme si j’étais en vacances. Je vis comme si j’étais éternelle. Comme si les nouvelles étaient sans problèmes ».

D’un ultime battement d’éventail le talentueux chanteur quitte la scène, chassant ce cri du cœur très justement emprunté à Dalida, et juste après le concert hommage de Barbara Pravi à la chanteuse iconique. L’heure est venue de rendre aux oiseaux leurs techniques courtisanes et aux fantômes du nord-ouest de l’Espagne leurs mélodies enchanteresses. Au-delà de sa musique, on aura rencontré les mots de Rodrigo et retenu cette formule sur laquelle on vous laisse méditer : l’enfer est pavé de gens qui trinquent en disant “Tchin-Tchin”.

 

Retrouvez Rodrigo Cuevas en concert le 01 avril 2025 à Paris La Cigale.

Photo de couv : © Florent Gardin

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