Le hip-hop français a eu ses précurseurs, ses artisans et ses novateurs. Rocé est un mélange des trois. Les meilleures cartes de l’artiste sont restées l’éclectisme de ses influences musicales et la différence fondamentale qu’il place entre lui et ses contemporains adeptes de la rime. Au moment où l’on se questionne sur la véritable identité et l’existence d’un courant hip-hop bien de chez nous, le vrai rap français serait-il du Rocé ?
C’est en 1998 qu’on découvre Rocé. Ce garçon âgé de 19 ans a bien de la chance d’être repéré par Manu Key et de s’associer à DJ Mehdi, membres de Mafia K’1 Fry. Il sort deux maxis sur le label Chronowax dénotant une grande maturité dans les textes. Pour l’horizon en est l’exemple le plus réussi et l’instru piano jazzy est signée DJ Mehdi.
Le travail d’un album pour un artiste émergeant est long et fastidieux. Quatre ans pour mûrir un projet rassemblant les maxis de 1998 et de 2000 ainsi que des nouveautés. Ce premier long format de 2002 contient des collaborations nouvelles avec les rappeurs J.L. et Manu Key et le collectif de vidéastes désormais fameux, Kourtrajmé (Romain Gavras, Vincent Cassel…). L’équipe de courts-métrages déjà habituée à travailler avec le milieu hip-hop – comme avec Oxmo Puccino – lui réalise le clip de Changer le monde. L’art d’allier l’humour à la violence et le rêve au quotidien. Du hip-hop très minimaliste (une basse, du scratch aux transitions, un beat régulier) épuré au maximum pour mettre en lumière un flow très maîtrisé. On se rappellera d’un MC « plus léger que les héros parce que pas de bottes, pas de cape / Pas de crosse, pas de batte, même pas la norme comme fantasme … ».
L’amour dure trois ans, il paraît. L’album « Identité en crescendo » se construit en quatre ans pour Rocé. 2006 voit une nouvelle sortie au compteur de l’artiste. Alors que le public raffole de la fusion jazz / hip-hop, il s’inscrit parfaitement dans le courant y ajoutant sa touche expérimentale avec le free jazz. Fidèle à sa façon de rapper, le ton semble simplement plus grave. Il s’entoure de pointures du jazz comme le saxophoniste Archie Shepp, le trompettiste Jacques Coursil et le guitariste Potzi. L’album sort sur No Format! et est distribué par Universall Jazz. La musique savante et le rap ne font plus qu’un. La palme du texte revient sûrement à la dureté de la chanson Ma saleté d’espérance, mélange d’espoir radieux et de pénible constat.
Après avoir durci son ton, vient le tour de sa voix. Rocé a 32 ans et continue sur sa lancée. Le troisième album « L’être humain et le réverbère », sorti en 2010, est introduit par le single Si peu comprennent. Si on apprécie le flow – une fois de plus – on ne peut s’empêcher de voir se développer une grande dose d’amour propre chez le rappeur. Dans une interview pour Brain Magazine en 2007, il déclare qu’être « prétentieux (…) c’est une des manières les plus honnêtes pour avancer : mettre la barre plus haut ».
C’est donc une vraie marque de fabrique. La chanson commence légère (intro de jazz, texte parlé) telle une annonce d’une grande nouvelle. Fin de l’intro, l’artiste se lance dans une bataille (retour instrumental hip-hop) contre une partie de la scène rap française qu’il juge enfantine : « Je suis l’un des seuls trentenaires à rapper comme un adulte ». Il assure de plus une grande singularité car « Il s’avère qu’on s’étonne que j’sois civilisé / Pour un rappeur c’est peu commun, c’est un illuminé ». A être trop fortement à l’opposé de la classe Booba – La Fouine – Sexion d’Assaut, jusqu’à se rapprocher des musiques savantes, on se sent parfois seul être pensant et unique créateur de son art. Un piège.
Forcément, quand on apprend qu’un nouvel album est prévu pour 2013, on est partagé mais on l’écoute avec une certaine attente. En apnée est extrait de l’album « Gunz n’Rocé » (il est sorti aujourd’hui) sur le web alors on en profite. Ce qui est agréable, presque rassurant avec lui, c’est sa voix. Qui se bonifie avec le temps. Rocé n’est peut-être pas à lui-seul le rap français, mais il en reste un bel artisan, avec cet esprit alerte qui vous enlève un paquet de clichés.
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