Robert Culat, homme de foi et féru de metal au point d'écrire un ouvrage sur le sujet, avait pris position pour le Hellfest...
Robert Culat, homme de foi et féru de metal au point d’écrire un ouvrage sur le sujet, avait pris position pour le Hellfest. Cette histoire avait fait du bruit en 2009 chez tous les fans de heavy metal. Le buzz passé, Robert Culat a bien voulu répondre à nos questions.
Quand le groupe suédois Marduk titre une chanson « Jésus Christ sodomized », ça vous fait rire ou pas du tout ?
Ce genre de slogan, malheureusement présent dans certains courants de la musique metal, ne me fait pas du tout rire. Ce groupe de black metal suédois avait déjà fait dans le très fin avec « Fuck me Jesus », et l’image d’une religieuse utilisant un crucifix comme objet de plaisir sexuel… Ces expressions ne reflètent en rien l’intelligence, la saine critique ou ce qui pourrait relever de la simple provocation. Elles sont le signe d’une grande bassesse d’esprit et d’une médiocrité rare dans l’inspiration.
Des « paroles » de ce type ne peuvent pas être qualifiées d’art, c’est évident. Il est désolant de s’attaquer d’une manière aussi vulgaire à ce que l’on ne connaît pas. Car j’aimerais pouvoir interroger les membres de Marduk sur la personne du Christ et sur la religion chrétienne. Je ne pense pas qu’ils soient très cultivés dans ce domaine.
(…) Après qu’ils n’aiment pas le christianisme, c’est leur affaire. Mais la vulgarité et l’agressivité remplie de bêtise et de violence ne sont pas excusables. S’exprimer de cette manière, c’est montrer que nous sommes des barbares et que nous avons perdu le sens de la civilisation. L’agression a remplacé l’utilisation de l’argumentation et de la raison, la provocation de bas étage s’est substituée à l’art véritable. (…) Donner une telle image de soi et en tirer fierté, cela est purement incompréhensible. On est tellement loin de la critique du christianisme faite par Nietzsche par exemple !
Quelle est votre réponse aux médias pour défendre le Hellfest ?
Mon but, en intervenant lors des polémiques récentes, n’était pas tant de défendre le Hellfest que de promouvoir le dialogue entre chrétiens et métalleux. Les personnes et ce qu’elles vivent concrètement sur le terrain me paraissent bien plus importantes que les luttes idéologiques.
Le problème avec les pétitions et les demandes de censure venant de certains milieux catholiques relayés par des hommes politiques c’est que cette démarche, sans le vouloir peut-être, stigmatise toute une population (les festivaliers) d’une manière injuste, comme s’ils étaient tous adeptes de Satan et profanateurs de cimetières.
C’est contre cette injustice et cette caricature ne correspondant pas à la réalité du terrain que je me suis élevé au risque de me faire mal voir au sein de ma propre communauté catholique. Aussi n’ai-je pas de réponse type ou de discours préfabriqué. Simplement l’expérience nous montre, depuis les procès contre les groupes de hard rock aux Etats-Unis et l’étiquette collée sur certains CD jugés dangereux, que les essais de censure sont toujours contreproductifs et qu’ils font en fait la publicité (gratuite) de ce qu’ils dénoncent comme un mal. C’est ce qui vient de se passer à nouveau avec l’affaire du « Piss Christ » de Serrano à Avignon.
Nous ne retenons que très peu les leçons de l’histoire. « Les Fleurs du mal » de Baudelaire ont été censurées par le pouvoir impérial… Ce livre est devenu depuis un classique de la littérature française ! Souvenons-nous aussi de la croisade menée par Hitler contre « l’art dégénéré »…
La suite nous la connaissons. Les deux plus grandes dictatures du 20e siècle ont censuré l’art et imposé un art officiel que ce soit dans la Russie communiste ou l’Allemagne nazie. L’histoire nous montre donc le danger qui se cache derrière toute volonté de censure : où fixer les limites ? Qui décide, et au nom de quoi, de ce qui doit être montré au public ou pas ? Alors pourquoi persévérer dans une méthode qui mène à l’échec et ne fait qu’aggraver l’hostilité de certains métalleux envers la religion ? Je dirais que les black métalleux antichrétiens et les chrétiens demandant la censure du black metal sont des réalités qui se nourrissent mutuellement. Cela permet à chacun des camps de bien rester sur ses positions intransigeantes et de dire : « Ce n’est pas moi, c’est l’autre, le coupable ! »
En gros je dirais donc à ceux qui partagent ma foi : arrêtez donc de donner à vos adversaires le bâton pour qu’ils puissent continuer à vous battre en ayant pour eux de bons arguments ! Arrêtez de les conforter dans leur idée que la religion chrétienne est fanatique, intolérante et contre la liberté ! Tant que nous répondrons de cette manière maladroite à ce qui heurte notre foi dans le black metal, cette guerre ne connaîtra jamais de fin. Si cela nous fait souffrir, eh bien portons cette souffrance en communion avec le Christ qui n’a pas répondu à ses accusateurs et ne s’est pas défendu par la violence lors de sa Passion. Et surtout prions pour ceux qui nous font du mal. Cela me semble plus spirituel que de faire sans cesse des procès perdus d’avance. Saint Paul nous donne la voie à suivre : « Soyez vainqueurs du mal par le bien ».
Maintenant que le buzz est passé, lorsque vous rencontrez de nouveaux prêtres, certains vous reparlent de votre prise de position ? Qu’en pensent-ils ?
Depuis septembre 2010 je suis l’aumônier des catholiques francophones du Danemark et j’habite donc à Copenhague. Ce qui a pour conséquence de limiter mes rapports avec d’autres prêtres français. Et même avant mon départ pour la Scandinavie, je n’ai eu que très rarement l’occasion de parler de tout cela avec des prêtres, si ce n’est bien sûr ceux du diocèse d’Avignon. En général, je me suis senti plutôt soutenu dans ma démarche. Lorsque Radio Fidélité m’a demandé de participer à la table-ronde lors du Hellfest 2010, mon curé a tout fait pour me permettre d’être libre pour y aller (Avignon-Nantes, cela demande un certain temps !). Pour lui, il était important que je me déplace à Clisson pour y faire entendre une certaine voix de l’Eglise.
Dans une interview, vous annonciez que 15% des métalleux sont chrétiens pratiquants. Savez-vous la part de musulmans ou de juifs fans de métal ?
Le chiffre exact se trouve à la page 230 de L’âge du Metal. Sur les 552 métalleux français qui ont répondu à mon questionnaire 15,22% se déclarent croyants, ce qui est différent de « chrétiens pratiquants »… Parmi ces croyants, la grande majorité, se reconnaissent comme chrétiens. Pour les autres religions cela reste très minoritaire : 5 bouddhistes, 2 musulmans et pas un seul juif. Mais mon sondage de 2000 ne concernait que la France. Donc il n’est pas étonnant de retrouver une majorité de chrétiens parmi ceux qui se déclarent croyants.
Imaginons : vous êtes obligé de passer une journée avec Christine Boutin. Vous tentez de la convaincre que le metal n’est pas violent ou vous l’amenez cash à Lourdes en vue d’un miracle ?
Avant de répondre, une précision s’impose. Je respecte Christine Boutin en tant que femme catholique engagée dans la politique. C’est une femme de conviction et qui a du courage pour affirmer sa différence dans le domaine de la justice sociale et du respect de la vie humaine. Et ce qui nous manque le plus en France actuellement, ce sont justement des hommes et des femmes politiques de conviction. Suite aux polémiques autour du Hellfest, j’avais écrit un long article intitulé « Qui sont les vrais satanistes aujourd’hui ? ». Je l’ai envoyé à Christine Boutin, je n’ai jamais eu de retour de sa part. Alors je pense que j’ai fait ce que je devais faire : l’informer du pourquoi de ma position et lui donner de nouveaux éléments de réflexion.
Ecoutez-vous les textes des métalleux ou votre préférence se porte-t-elle sur la musique ?
Comme la plupart des métalleux, je m’intéresse d’abord à la musique. Après quand on écrit un livre comme « L’âge du Metal « et qu’on aborde la question brulante du satanisme ,on ne peut pas ignorer les textes. Donc je les ai étudiés à cette fin mais pas dans le cadre d’une écoute gratuite de la musique metal. Toute une annexe de mon livre (n°9) est consacrée aux paroles dans le metal.
Au lieu de citer les paroles les plus choquantes et les plus blasphématoires, j’ai choisi, histoire de briser les clichés, de faire traduire par des professeurs d’Allemand et d’Anglais certaines paroles du groupe de black metal d’avant-garde Dornenreich (Autriche), du groupe de black metal Nagelfar (Allemagne) et du groupe de black metal Emperor (Norvège).
Je suis en train de travailler en ce moment sur les paroles de l’un de mes groupes préférés, Opeth. Mais c’est bien parce que leur musique m’a plue, qu’ensuite je me suis posé la question des thématiques qu’ils abordaient, et pas le contraire. Acheter un CD de metal uniquement parce que cela parle de Satan me paraît une démarche anti-artistique et tout à fait puérile.
Opeth, The Grand Conjuration
Dans ce cas, les livres existent. La vocation première de la musique n’est pas de délivrer un message mais de permettre à l’auditeur d’éprouver des sensations et des émotions, et bien souvent de s’échapper pour un temps de la banalité du quotidien . C’est, me semble-t-il, la noble mission de l’art en général. Une mission spirituelle.
Votre premier ouvrage (L’âge du Metal) aura-t-il un petit frère ?
Oui, le petit frère est en gestation et il aura deux pères ! Je prépare en effet avec Nicolas Bénard (historien) un livre sur le groupe Opeth qui paraitra aux éditions Camion Blanc, peut-être en 2012. Nicolas prend en charge la première partie consacrée à l’histoire du groupe. Je dois rédiger la seconde consacrée à une étude des paroles de tous les albums du groupe, et j’en suis seulement au 4ème…
Allez-vous écumer les festivals cet été ?
Non, je ferai des remplacements de prêtres dans des paroisses du Vaucluse. Mais avant mon retour en France en juillet, je profiterai du festival metal de Copenhague (Copenhell, ça ne vous rappelle rien ?) qui aura lieu les 17 et 18 juin. J’irai voir, entre autres, Opeth !
0 commentaire