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Rencontre avec le compositeur Max Richter

Après avoir exploré les limbes de nos nuits avec son album de 8h « Sleep » (2015), Max Richter prospecte aujourd’hui ses amours littéraires. On veut parler de sa dernière sortie « Three world : Woolf work », toujours chez Deutsch Grammophon. À l’origine de ce bel album inspiré de la vie et de l’oeuvre de l’auteur britannique Virginia Woolf, un ballet, présenté à Covent Garden en 2015 et chorégraphié par Wayne McGreggor pour le Royal Ballet de Londres. La partition de Richter se saisit du tragique de la vie de la romancière tout en abordant les thèmes présents dans son oeuvre. On a mis nos lunettes de Bernard Pivot pour rencontrer celui qui nous a souvent fait vibrer de ses mélodies épurées.

Votre discographie oscille entre collaborations artistiques et compositions plus personnelles. Quelle importance ont-elles dans votre oeuvre ?

Ces travaux occupent des espaces différents qui se renforcent mutuellement d’une façon ou d’une autre. Pour moi, c’est un peu comme partir en vacances avec à chaque fois un nouveau point de départ. Je pars pour faire une musique de film, puis, depuis cette musique de film, je pars en vacances pour un album solo. Bien sur, mes albums solo sont des histoires que j’ai envie de raconter. Les travaux collaboratifs sont plus des conversations. Par exemple, une partition de film est comme un puzzle : on cherche à comprendre l’histoire d’un point de vue musical. Pour les ballets, ce sont des moments de recherche mis en commun.

Comment fonctionne le duo artistique que vous formez avec le chorégraphe Wayne McGregor?

Wayne et moi, on est excités par les mêmes choses. C’est une conversation sans fin à travers une série de travaux, un processus itératif. Nous avons commencé par son ballet Infra, puis mon opéra Sum, il a ensuite chorégraphié Vivaldi : Recomposed et à présent nous présentons Woolf work. La danse et la musique sont deux médias qui se parlent.

© Mike Terry

Comment avez-vous reçu l’idée de travailler sur la vie et l’oeuvre de Virginia Woolf ? Quand l’avez-vous personnellement découverte ?

J’ai lu son œuvre vers la fin de l’adolescence, à l’école. Nous avions étudié le mouvement moderniste : James Joyce, T. S. Eliot ou Virginia Woolf. Je l’avais trouvée très originale. Des années après, l’idée de retrouver ce matériau reste passionnante. Je trouve sa vie très inspirante. Elle a affronté sa santé mentale mais aussi la dépression en créant des œuvres extraordinaires. Wayne et moi n’avions jamais parlé de Virginia avant qu’il ne me propose ce projet. J’ai trouvée que c’était une très bonne idée et j’ai eu envie de raconter cette histoire. J’adore la littérature.

Virginia Woolf cherchait de nouvelles sensations littéraires. Elle avait une approche plus similaire aux angles de vue inhabituels des peintres impressionnistes, mais aussi proche de la psychanalyse. Selon vous, cela se traduit-il dans votre musique ?

Oui, à chaque fois, elle voulait utiliser de nouveaux langages. Je crois humblement que d’une certaine façon, c’est ce que j’ai toujours essayé de faire, en essayant de découvrir ce que raconter une histoire par la musique peut être. Ce projet me correspondait bien pour son travail sur le langage.

Le titre original du ballet est Woolf work. Pourquoi avoir approfondi le titre du ballet en y apposant ces mots : Three world ?

Three world, d’abord parce que le ballet dure plus de deux heures et que, de ce fait, le voyage musical est différent avec l’album – 55min. Je voulais que les deux soient bien distincts. Aussi, pour aborder les différentes périodes de la vie de Virginia, nous avons travaillés sur trois œuvres, qui nous emmènent dans des directions bien différentes.

Justement, dans ces trois romans abordés, Mrs Dalloway, Orlando et The Waves, les actions se déroulent respectivement sur une journée, une vie et quatre siècles. Son œuvre explore bien notre rapport au temps. Quel a été votre rapport au temps dans ces compositions ?

Mrs. Dalloway est le premier acte du ballet. Le roman est une biographie déguisée, j’ai donc travaillé sur les thèmes de la mémoire, les souvenirs perdus, le passé idéalisé. La section centrale, Orlando, traverse les siècles. Musicalement, l’aspect temporel s’est défini en reprenant une très vieille pièce. J’en ai tiré plusieurs variations en utilisant différents matériaux : orchestration, électronique, etc. Le troisième acte, The Waves, n’a pas vraiment de repères temporels. On y ressent comme un présent éternel : on n’identifie pas le narrateur, on se laisse porter par le moment. La musique est construite en vagues, qui tournent autour de la mélodie de différentes façons.

Dans la partie sur Orlando, vous avez travaillé à partir du célèbre thème La Folia dont de très nombreux compositeurs ont tiré des variations depuis près de quatre siècles. C’est à l’origine une danse énergique et débridée où les danseurs portaient des hommes habillés en femmes sur leurs épaules. Comment vous est-il venu à l’esprit ?

La trame d’Orlando est complètement folle, c’est presque de la science fiction. Le personnage principal est d’abord un homme, puis il se transforme en femme ; il vit plusieurs centaines d’année en ayant des aventures incroyables. Le livre parle de transformation et, en musique, les variations sont un bon moyen de transformer. Tel un sculpteur changeant progressivement un objet très reconnaissable. Pour faire des variations, il faut un thème. Je me suis dit que puisque je partais d’un roman historique, j’avais besoin d’un thème musical historique. La Folia état un choix presque évident puisqu’il s’agit du plus célèbre d’entre eux.

© Rhys Frampton 1

Vous transposez ce thème sur toutes les pistes de l’acte II (Orlando). Pourquoi cette multiplicité ?

Je voulais montrer la grande diversité de ses paysages, du schéma narratif à la personnalité d’Orlando.

Le pianiste Bruce Brubaker nous a récemment tenu ce propos au sujet de la musique de Philip Glass : “On peut définir le post-modernisme ainsi : il commence quand l’artiste reconnaît que rien de nouveau ne peut être créé”, avant de poursuivre ainsi : “Cet art […] tient de ce qu’on appelle aujourd’hui la culture du remix, où l’artiste travaille des éléments existants et leur permet de sonner différemment.” ? Que pensez-vous de cette analyse ?

C’est intéressant. Oui, une des choses dans les projets modernistes était l’attitude vis à vis de la nouveauté. Si nous pensons, avant ça, à la musique de Schoenberg, elle est ainsi faite parce que, dit-il : “C’était historiquement inévitable.” C’est de l’innovation naturelle. L’Histoire de la musique a une sorte de projet technologique dans lequel l’atonalité est nécessaire. Il construit ainsi un mécanisme, comme s’il s’agissait d’une sorte d’atonalité articulée, c’est toujours de la technologie. Puis il y a Stockhausen et Boulez et cette idée du nouveau, le sérialisme etc. À un certain point, vous ne pouvez pas faire plus (rires). Il y a comme un rendement décroissant. Vous obtenez de moins en moins de matériel distinct, parce qu’il y a moins à découvrir. Donc, dans un sens, mon travail c’est accepter cela et revenir à l’utilisations d’objets reconnaissables. Mais comme Bruce le dit, en les utilisant de façon non familière.

L’album finit par une lente et puissante montée symphonique, qui peut évoquer le prélude de “L’or du Rhin” de Wagner. Seriez-vous un grand romantique ?

Water music ! Oui, c’est romantique. Il y a une grande tradition de musique en rapport avec l’eau : « L’or du rhin », « La mer » [Debussy, ndlr]… C’est très spécifique. C’est l’idée du flux et reflux, très présente dans l’oeuvre de Virginia Woolf : partir et revenir.

Crédit photos © Rhys Frampton
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