Ne nous mentons pas. Le soft rock, ses promesses d’après-midi sous un plaid et de promenades au bord de l’océan sont loin d’avoir la plus grosse côte chez les bookmakers pour le comeback musical de l’année. Qu’importe, Sourdoreille déterre les cadavres et fait revivre le soleil éternel des 1970ies.
A la fin des années 1960, un grand schisme a lieu parmi les disciples du rock’n’roll. D’un côté, les prêcheurs de l’électricité. Adeptes de riffs lourds et de batteries pachydermiques, ils fondent le culte du hard rock. De l’autre, les férus d’harmonies soyeuses, de mélodies précieuses et d’instruments en bois se mettent à célébrer le soft rock. A peine une décennie plus tard, le punk et la new wave, renouant avec la sève originelle du rock’n’roll, règlent le débat une fois pour toute. Et une grande partie de cette période de l’histoire de la musique disparaît alors sous les décombres encore chauds de cette explosion. Aurait-on raison aujourd’hui de souffler sur la poussière ?
Car si le hard rock a su renaître de ses cendres, le soft rock, lui, ne s’en est jamais vraiment remis. Au point qu’évoquer aujourd’hui les noms de Jackson Browne, Carly Simon, Carpenters ou James Taylor suffit à susciter soulèvements de sourcils réprobateurs et à se voir immédiatement catalogué comme gentil ringard à pull bouloché.
Instagram avant Instagram ?
On l’accable : propre sur lui, naïf, nostalgique… Et pourtant. Ce courant musical oublié n’est-il pas la parfaite réponse aux aspirations de notre époque malade d’ultra-connexion ? Ces harmonies voluptueuses, cette musique ronde et boisée, ces voix qui s’enchevêtrent, n’est-ce pas le son d’êtres qui prennent le temps de célébrer la nature, la spiritualité et l’amour ? Un témoignage lointain d’une âme humaine que d’aucuns essaient aujourd’hui de capturer à force de filtres Instagram ?
Au crédit du soft rock en tous cas, une aspiration à l’authenticité pour soigner les maux des cœurs en peine. Le soft rock est la musique d’un cocooning esthète gorgé de soleil, d’océan et de good vibes. Le son de hippies qui ont abandonné l’idée de refondre les cerveaux à coup de LSD pour un hédonisme chill dans les vapeurs de l’herbe qui fait rire. La recherche d’une sérénité tranquille après la frénésie pop et acide des 1960ies.
Pépites
Ce qui fait le lien entre tous ces artistes, c’est une obsession pour les couches d’harmonies vocales façon Crosby Still & Nash, les guitares acoustiques brillantes comme des étoiles, un son de batterie sec comme une planche et les accords ouverts ou enrichis. De quoi sérieusement détendre tous les Trump, Poutine ou Erdogan de la terre.
Est-ce vraiment suffisant pour sauver le soft rock de la disgrâce ? Peut-être pas. Mais il reste aussi de méchantes chansons et des albums qui ressemblent à des trésors oubliés. Au hasard, le sublime Isle Of View de Jimmy Spheeris, If You Saw Thro’ My Eyes de Ian Matthews, Song For You des Carpenters, Summer Breeze de Seals & Croft, No Secrets de Carly Simon… A l’heure où la majeure partie de la musique est fabriquée par des geeks enfermés dans leur chambre face à un laptop, qu’il est bon d’écouter plusieurs êtres humains, en robes bohèmes, chemises ouvertes, pantalons corduroy, jouer des congas, du piano, de la guitare et chanter d’une seule voix.
Et puis le soft rock, c’est aussi ce moment où les femmes s’emparent du devant de la scène : Stevie Nicks et Christine McVie de Fleetwood Mac, Carole King, Joni Mitchell, Sandy Denny, Carole Carpenter… Trop souvent cantonnées jusque-là dans des rôles de chanteuses, elles prennent les choses en main, écrivent leurs propres morceaux et s’imposent comme les égales des hommes. Résultat : les tubes pleuvent.
Les héritiers
On retrouve des échos lointains de ces chevelus élégiaques chez quelques-uns des plus passionnants musiciens de notre temps. Father John Misty poursuit ainsi la grande tradition des songwriters de Lauren Canyon. Le timbre grave de Weyes Blood (lire notre chronique de Titanic Rising) n’est pas sans rappeler celui d’une certaine Karen Carpenter. Les harmonies des Local Natives, notamment sur leur excellent dernier album Violet Street, font voyager directement en Californie circa 1972.
Verdict ?
Enregistré dans les meilleurs studios du monde par des ingénieurs maniaques, le soft rock est une réserve sans fin d’émerveillement auditif. Un bonbon fondant pour oreilles gourmandes. C’est aussi une fenêtre sur une époque bénie où les musiciens croyaient pouvoir changer le monde en apaisant les âmes à coup de (bonnes) chansons. Enfin, à l’heure où la capacité de concentration humaine est tombée à 8 secondes (soit une seconde de moins que le poisson rouge), le soft rock n’est-il pas le meilleur remède pour réapprendre à prendre son temps ? Pour cela, brancher son enceinte connectée, se coucher sur son canapé, dire « OK Kevin, joue la playlist Sourdoreille Soft Rock » et s’émerveiller à l’écoute de morceaux qui déclinent arpèges et mélodies stellaires pendant près de 4 minutes. Satisfaction garantie.
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