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Rebeka Warrior et Julian Prégardien : « Ce qu’on fait à Schubert, c’est péché »

Rencontre au sommet entre le ténor allemand Julian Prégardien et notre maman à tou.tes de la musique électronique, la seule et l’unique Rebeka Warrior. Réunis par notre équipe au sein de la programmation de Variations, saison 5, série soutenue par France TV Culturebox et FIP, ils se sont attaqués à trois oeuvres du compositeur emblématique de la musique romantique allemande du 19ème siècle, Franz Schubert. Quand la cold wave, la boîte à rythmes et la distorsion de voix rencontrent le Winterreise, le Doppelgänger et le Ave Maria, avouez que ça a de quoi réveiller le voisinage. On en parle avec les deux intéressés, et évidemment on vous glisse la sublime création complète. Vous auriez entièrement raison de penser qu’on n’est pas objectifs, d’ailleurs.

Connaissiez-vous vos projets musicaux respectifs avant de vous rencontrer?

Rebeka Warrior et Julian Prégardien (en chœur) : Non.

RW : Mais maintenant, c’est le crush.

JP : L’idée c’est que je lui apprenne le français, et qu’elle m’apprenne les beats. Et puis j’ai découvert que Rebeka Warrior avait un projet lié à l’allemand (Kompromat). A partir de là, je n’avais aucun doute qu’il sorte de notre duo quelque chose de beau, à la fin.

Vous aviez déjà bossé avec des artistes qui ne venaient pas de votre milieu musical d’origine ?

JP : Oui, j’ai travaillé sur deux projets. Le premier avec un DJ, dans une petite ville allemande appelée Würzburg. C’était une création spéciale entre musique classique et électronique, nommée Lounge Amadé: ein Experiment pour le festival Mozartfest Würzburg. J’ai collaboré avec DJ Blitzer. Malgré son absence d’études en conservatoire, il était plus ouvert que la plupart des artistes classiques avec lesquels j’ai été amené à bosser. On s’est rencontré, et en une journée, on a joint nos forces. Je n’ai aucun doute sur le fait que ces sorties de route ne puissent qu’enrichir mes horizons. Et le second projet, je l’ai réalisé avec le pianiste Eric Le Sage ainsi que Lia Pale qui chantait en anglais des arrangements jazz de Dichterliebe de Robert Schumann accompagnée d’un pianiste jazz, Matthias Rüegg. C’est super de confronter les points de vue. Pour être honnête, la musique peut toujours être réduite à deux paramètres principaux : le rythme et la mélodie. Le langage qu’on a avec Julia, c’est le même depuis la nuit des temps.

RW : Pour ma part, c’est la première fois que je travaille avec une autre voix que la mienne. Je joue depuis 20 ans avec la violoniste Carla Pallone, qui a une éducation classique. Là, c’est clair que c’est différent.

JP : Et en plus avec un ténor !

RW : Un grand ténor allemand, ahah. C’est sûr que généralement, je suis la chanteuse. Dans Kompromat, je compose, dans Mansfield.Tya également, mais là le défi n’est pas le même. Quand je vois Julian chanter « Ave Maria » je suis à deux doigts de lui dire « laisse moi faire ! » Mais bon, il chante mieux.

JP : Je n’ai pas cette impression.

RW : Non, je suis jalouse.

JP : Tu as un timbre de voix merveilleux, et c’est la principale qualité du chant.

RW : En tout cas, je ne parle pas assez bien allemand.

Entre 2015 et 2017, Julian tu t’es lancé dans une série de récitals offrant l’intégrale des Lieder de Schubert. Tu peux m’en parler un peu ?

JP : Sur cette période, j’ai voulu questionner notre rapport à la musique classique. Pour prendre l’exemple de ma revisite du Winterreise, j’essaie de montrer que ça n’est pas simplement une pièce figée de Schubert, mais un certain état de l’art réalisé par Schubert et le poète Wilhelm Müller. Que la musique est un processus, pas une nature morte. Winterreise raconte l’histoire de ces deux personnages l’ayant composé, mais pas seulement. Il faut comprendre ce cycle comme l’endroit de l’émotion, de la subjectivité, de la souffrance, des relations humaines, amoureuses, des projections, du désespoir. Le problème, c’est qu’après Schubert, cette musique a été récupérée par l’élite conservatrice de la musique classique. L’élite a dit : « Nous on sait ce à quoi doit ressembler le Winterreise. Seulement ceux qui ont été éduqués sont autorisés à apprécier la pièce. » Je déteste cette approche de l’art.

RW : C’est la même chose avec l’art contemporain. Tu es obligé·e de lire plein de bouquins pour comprendre et apprécier.

JP : Pour moi, ça a été une étape très importante dans ma constitution en temps qu’adulte, en tant qu’être humain, en tant que musicien. Et d’ailleurs, je suis en lutte récurrente contre cet état de fait, parce que j’ai été éduqué, j’ai fait les grandes écoles, j’ai appris le latin et toutes les règles qui font de toi quelqu’un socialement éduqué. Mais qu’est-ce que je connais réellement aux gens, au monde ? Connaître certains outils ne fait pas de toi un meilleur être humain. C’est parfois pire.

De ton côté Rebeka Warrior, tu voulais travailler avec Schubert spécifiquement ?

RW : Je l’aime au même titre que Bach. Mais, au début, je voulais jouer du baroque, sur Jean-Baptiste Lully. On cherchait un chanteur, mais personne ne chante Lully. Ou personne ne voulait chanter Lully avec moi, ahah. Mais c’est pas grave, j’ai mon ténor allemand. Et puis, je me suis rendue compte que recomposer sur de la musique baroque, ça pouvait vite être assez horrible. Et pour le coup Schubert a ce truc très pop, très catchy, et très facile à transformer en techno. Le Doppelgänger, par exemple, c’est toujours la même note. Tu n’as pas besoin de bouger pendant 10 minutes, c’est parfait pour la techno. C’est bien mieux que Lully.

Comment travaillez-vous ensemble ?

RW : On ne travaille pas beaucoup. Mais on joue pas mal. Je voulais rafraichir Schubert, en faire quelque chose de très instinctif ou animal, jouer de la musique avec mes sentiments. Quelque chose proche de ma musique, très cold wave ou new wave.

Proche de ta musique, donc… parfois plus hard ?

RW : Je vais essayer. Mais ça ne va pas être si hard que tu l’entends.

Plutôt cold wave donc…

RW : Oui, mais ça dépend du public, de notre alchimie, si ça matche entre nous, si la connexion se fait.

JP : Ça m’a frappé, quand j’ai reçu le premier sample de Rebeka qui accompagne ma voix. C’est sûr que ça n’est pas vraiment ce à quoi j’étais habitué jusque-là. Ça m’a semblé une nouvelle façon d’appréhender la romance de Schubert. C’était tellement beau. Je me suis rendu compte que je voulais bosser de cette façon.

RW : Sa voix est un cadeau. Je te laisse imaginer : j’ai reçu son extrait de voix, et je pouvais faire ce que je voulais dessus. C’est génial comme exercice de recomposer. Et donc Julian tu étais bizarrement surpris ?

JP : Non, j’étais reconnaissant au contraire. La dernière fois que j’ai fait un écart, lorsque j’ai enregistré du Schumann avec un pianiste jazz, il y a eu des critiques super violentes. L’intro de la critique de l’article auquel je pense était : « Es-tu vraiment autorisé à faire ça ? Toucher à cette musique sacrée. » Dans l’article, à deux ou trois reprises, il disait « c’est quelque chose auquel tu ne pourras jamais te mesurer. Quel est l’intérêt de ce genre d’approche ? » J’aimerais lui dire : « pourrais-tu arrêter ta profession ? pourrais-tu arrêter d’être un journaliste culturel ? » La musique, ça n’est pas à propos d’un intérêt, ça peut être simplement de traduire un art dans un autre langage. Et chacun peut la juger par soi-même. Le boulot d’un journaliste ne doit pas être, selon moi, de juger les limites de la subjectivité. Écrire sur l’art, notamment dans la musique, devrait toujours être dans le but de le promouvoir. Depuis trop longtemps, trop de siècles, les artistes ont souffert des critiques, Schubert, Schumann compris, ont été moqués par la société. Tellement triste. Je me bats pour prendre soin de la musique de la même façon que je donne de l’amour à mes enfants.

RW : C’est typiquement allemand, cette critique de la musique ?

JP : J’ai l’impression. Quand on parle de musique classique, l’Allemagne est intraitable. Et là, ces derniers jours, ce qu’on a fait à Schubert, c’est péché.

RW : Probablement oui.

JP : Mais… n’est-ce pas fun d’être un pécheur ?

RW : Ahah l’interview qui dérive totalement.

Crédits photos : Hana Ofangel

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2 commentaires

2 commentaires

Muscade 13.11.2020

Ouh là là! Quelques raccourcis saisissants dans cet article! Thomas Dunford est un luthiste classique mais DJ Blitzer est une personne différente! Ils ont effectivement tous les deux participé à Lounge Amadé.
D’autre part, Eric Le Sage n’et pas un pianiste de jazz! Le concert en question (Die Nacht der Dichterliebe) réunissait Eric Le Sage (pianiste classique) et J Prégardien (qui chantait en Allemand) et la chanteuse Lia Pale qui chantait en anglais des arrangements jazz de Dichterliebe de Schumann accompagnée d’un pianiste jazz, Matthias Rüegg.

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Romain 13.11.2020

Bonjour Agnès,
En effet, mauvaise traduction, et mauvaise connaissance du projet.
Merci de votre attention, c’est corrigé.
Et merci de votre visite

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