La Rue Ketanou, Les Hurlements d’Léo, Tryo, Les Ogres de Barback, Debout sur le Zinc, Sinsemilia, Massilia Sound System, ils agitent le tout début des consciences politiques de jeunes collégiens et lycéens de France depuis la fin des années 90. Aujourd’hui quarantenaires (voire cinquantenaires) sur le sol glissant de la calvitie et des dreads grisonnantes, ces groupes arrivent-ils à capter la jeunesse qui vient ?
Musiciens de rock festif, ska punk, reggae francophone, chanson hippie et altermondialiste, descendants des punk rockeurs de gauche, des hippies et des chansonniers « à texte »… Ils sont indécrottables. Toujours vivants, toujours debout. Que vous ayez vanté les louanges ou subi les prescripteurs de ces genres musicaux actuels en Gaule, ils ne peuvent pas vous être passés tous au-dessus. C’est physiquement impossible. En somme, si vous êtes nés entre le début des années 80 et le milieu des années 90, les phrases : « C’est pas nous qui sommes à la rue, c’est la rue kétanou », « Je veux fumer de l’herbe de qualité » et « Motivés, motivés, il faut se motiver » vous évoquent forcément quelques souvenirs, même enfouis.
Vous imaginez bien que la dénomination « groupes de babos » (ou « groupes à bolas ») n’a pas de réelle définition scientifique. Et qu’il n’est pas chose aisée de caractériser l’ensemble de ces groupes juste parce qu’ils chantent en français, sont globalement de gauche et jouent pieds nus. La description fait marrer – et est forcément un peu tendrement moqueuse – mais le papier n’en oublie pas les magnifiques prouesses de cette génération. Alors, oui, La Ruda Salska et Les Fils de Teuhpu n’ont pas forcément inventé l’eau chaude, et alors ? Leur a-t-on demandé? D’un autre côté, des chansons comme « Les hommes que j’aime » de La Rue Ketanou, « L’hymne de nos campagnes » de Tryo ou « Rue De Panam » des Ogres de Barback sont devenues aussi fondatrices qu’un dépucelage, une illumination païenne, une année lycéenne tourmentée.
Rappelez-vous,
C’était l’école de la vie
Martin habite Bordeaux, il a aujourd’hui 20 ans. Il confie : « Ça m’arrive encore d’écouter La rue Ket’, Tryo, Les Ogres de Barback et Danakil… De temps en temps. » Des souvenirs liés à ces musiques, il en a plein : « Le collège-lycée, bien entendu. J’ai rencontré un de mes meilleurs potes grâce à ces groupes, en particulier la Rue Ketanou. C’est avec lui que j’ai fumé mes premiers joints et que j’ai fait l’école buissonnière pour la première fois, tout ça sur le rythme endiablé de leurs accordéons. » Prenez-le comme acquis : ces musiques ont accompagné une partie non négligeable de la population française, et ce de plus en plus, ratissant au-delà de la simple musique de roots. « Plus large, beaucoup plus large même ! », ajoute Martin qui se rappelle de concerts de La Rue Ketanou ou des Ogres où la population était très hétéroclite et parsemée.
Qu’a représenté cette nouvelle scène française ? A priori jamais une hype dominante. Un cycle, une mode, peut-être. La grande sœur de Martin, Camille, est née en 1992, le pallier parfait entre la génération née dans les années 80 et celle de son frère. Pour nous, elle y va de son petit pourcentage: « À mon lycée, il devait y avoir environ 27,3 % de gens qui écoutaient ces musiques. Les gens écoutaient surtout du rock indé comme The Kooks ou The Strokes, et puis se sont mis après à l’électro. La ‘variété‘ française, ça n’a jamais été super tendance. » Ailleurs, c’était le rap, le R’n’B, le punk californien, l’électro pop…
Pour François Garrain, 63 berges, Président du festival de musique et d’arts de rue Musicalarue à Luxey dans les Landes, ça n’a jamais été un genre dominant : « On les écoute dans des créneaux, des réseaux, des médias, tout ça un peu en marge. Ce sont des grands de notre époque, et les grands de notre époque n’ont pas été véhiculés par les grands médias de notre époque. »
Plus haut en France, Clément, 30 ans, vient d’Épernay, en Champagne. Il témoigne avoir écouté « La Rue Ketanou, Les Ogres de Barback, Dionysos, Les Hurlements d’Léo, Debout sur le Zinc au collège… Ou sinon La Tordue qui s’est dissoute ensuite. Ensuite, au lycée c’était Blink 182, Linkin Park, Papa Roach dérivé sur du Slipknot… Ah et après [il est] passé à de l’électro. » Quand il découvre Tryo, il n’est pas loin de l’avant-garde la plus totale : « J’ai écouté cette musique très tôt, à l’époque de l’album Mamagubida [1998] qui me semble avoir annoncé tous les autres groupes. A l’époque on téléchargeait pas encore, et on allait souvent à la médiathèque pour aller emprunter des albums. T’avais des bacs et c’était rangé par artiste similaire. Ça aidait à découvrir. »
« Politisez-vous », qu’ils disaient
Une partie des jeunes adultes un peu désabusés que nous sommes devenus passe désormais son temps à moquer les sarouels d’antan. Certes, écouter de l’idm danois, du rap au troisième degré ou du math-rock, ça fait moins naïf que de chanter les louanges de l’auto-stop. Certes, on se revoit parfois à 15 ans, la peur au ventre de devenir comme nos parents, en écoutant en boucle ces chansons pour ne pas croire que ça puisse un jour nous arriver. Encore un instant, un instant seulement. Alors oui, ne rions pas trop et rappelons-nous que même si ça n’a pas duré pour tout le monde, ces groupes sont à l’origine d’un début de politisation de l’adolescent. Pour Camille, « c‘était une histoire sérieuse. Je croyais aux paroles de La Rue Ketanou : “Je sais pas où je vais, oh ça je ne l’ai jamais bien su mais si jamais je le savais, je crois bien que je n’irais plus”. Avec cette chanson pleine balle dans les oreilles, j’avais à chaque fois envie de me casser en voyage pendant un an, je ne rentrerais jamais… De toute façon j’aurais jamais su où j’allais, donc c’était pratique. »
Parlez-en autour de vous, tant de gens ont écouté La Rue Ketanou, ce que Martin nous confirme : « Je connaissais beaucoup de chansons presque par cœur, notamment « Les Cigales ». Cette musique nous a tellement marqués avec mon pote qu’on s’est tatoués une cigale sur le bras. » Pas de regrets pour les rêves d’ado gravés dans la peau. Enfin, pas toujours. Ce qu’il faut retenir, c’est que c’est « cet esprit bohème, empli de liberté et de simplicité qui attirait beaucoup [Martin], des chansons qui racontaient de belles choses de manière simple et souvent avec humour. »
François Garrain témoigne de son premier concert de La Rue Ket’ : « Pourquoi j’avais fait la démarche ? Il y avait un discours citoyen, la thématique sur l’environnement, sur les projets participatifs, tout ça avait commencé à voir le jour. Que des groupes de musique commencent à le véhiculer avec une dimension assez festive m’avait interpellé. »
Si, contrairement à Camille, Clément n’était plus au lycée pendant les blocus lycéens contre le CPE en 2006, événement qui a également politisé la jeunesse, il ne doute pas une seconde de cette politique du rêve : « Mine de rien, il y avait un délire d’une nouvelle chanson française qui était pas chiante, sortait du Voulzy-Goldman-Obispo-Zazie et disait des trucs qui nous touchaient profondément. Des groupes très à gauche, venant de Ferré, Brassens, Ferrat avec une dimension vachement onirique. »
La Rue Kétanou – Où je vais
Est-ce Tryo qui a changé avec le temps ? Ou nous qui avons grandi ? Ou les deux ? Si ces groupes semblent, encore aujourd’hui, toucher ceux qui ont vibré dans leurs belles années, leur musique a un écho particulier sur l’adolescent, le collégien, le lycéen. Clément persiste : « A part quand tu es dans une tribu, quand tu passes 25 ans… pas sûr que tu écoutes toujours. Ça fait un peu phénomène d’un certain âge. » Pour le reste, on est allés de l’avant. D’ailleurs, les cétémieuxavantistes de Tryo sont légion. « Je sais que Tryo a continué à sortir des albums qui étaient de moins en moins bien, très culcul-gnangan », termine Clément.
Pourquoi les remplacer ?
Ils sont toujours là
Et pourtant. Et pourtant, vous continuez à être extrêmement nombreux à venir les voir. Tryo continue de remplir les festivals à chaque album, La Rue Ketanou a fait de son retour un événement, Les Ogres de Barback et Les Hurlements d’Léo tournent encore sur leurs vieilles chansons sous le nom Un Air, Deux Familles. Ah bah oui.
Penchons-nous donc sur les festivals. À voir les noms qui reviennent souvent en tête des affiches des événements français, le constat est sans appel : les groupes de notre adolescence ne lâchent rien – comme dirait HK en meeting France Insoumise – et surtout pas les programmations de festivals. On peut s’en rendre compte via nos récentes études sur les artistes squattant le plus les festivals, chaque année.
Carton plein. Illuminati. Ils sont partout. Plusieurs hypothèses pour expliquer cette omniprésence en festivals :
« Les programmateurs de festivals ont globalement le même âge que ces artistes. D’ailleurs ils les écoutaient déjà il y a trente ans. »
« Les programmateurs flippent encore de booker des rappeurs comme s’ils allaient tout casser (alors qu’on parle de Nekfeu, pas des premiers concerts de NTM) »
« C’est normal, c’est de la musique parfaitement calibrée pour les festivals »
« Les jeunes festivaliers d’aujourd’hui écoutent souvent ces groupes. Si, si, je te jure »
« Si tu veux remplir un festival d’été en plein air, impossible de composer sans eux »
Autant demander directement aux intéressés. Pour notre interlocuteur landais, « ça veut dire d’une part que les organisateurs ont de la mémoire, sont des gens qui ont des idées, qui ont des tiroirs caisses quelque part dans leurs cerveaux. Et ensuite, c’est aussi important, une certaine fidélité. Pour certains groupes et certains artistes, c’est devenu une famille, des odeurs, des gens, une architecture, des coins, des recoins où on peut se cacher. » On se sert donc les coudes entre programmateurs de festivals en plein air.
On notera, pour conclure, que le non-renouvellement des groupes de hobos en festivals n’est pas une particularité française : Ben Harper, Jack Johnson, John Butler Trio et Xavier Rudd sont toujours là eux aussi.
Il y en a bien des nouveaux, non ?
En cherchant les clochards célestes ayant cartonné à partir de la fin des années 2000, on s’est rendus compte que ceux-ci appartenaient à une nouvelle gamme de musique consommable. Cette musique, qui a bien intégré les codes de l’audiovisuel, est un pur produit de l’industrie des majors. Elle a placé le babos en plein sur M6 et sur TF1. On est bien loin d’attiser la flamme de rébellion de la jeunesse, même minime, qui agitait ceux qui écoutaient Les Ogres de Barback, donc.
Parenthèse histoire : pendant ses trop courtes mais essentielles années (70-80) dans les lignes des meilleurs magazines musique d’Amérique, le rock critic Lester Bangs s’inquiétait d’une certaine industrialisation du « cool ». Cantonné aux marges en premier lieu, l’original, le décadent et le torturé s’étaient mis à vendre de plus en plus de disques, de livres, de films. Une angoisse visionnaire quand on constate que le « cool » est la norme aujourd’hui pour survivre en société : VICE en a même fait un empire médiatique côté en bourse. Gore, porno, trash, voyeurisme, sang, guns… Le monde en a voulu toujours plus pour agiter ses hormones. Et creuser un peu plus son insondable vide émotionnel. Fin de la parenthèse.
En réponse, nous déclarons donc l’industrialisation du roots commencée (tout en restant humbles par rapport à Lester).
L’industrialisation du roots
Leur particularité ? Ils adorent On the road de Jack Kerouac mais ne l’ont pas lu jusqu’à la fin ; ils font de la pub pour les voyages Interrail de la SNCF et rêvent que leurs clips passent dans les auberges de jeunesse de Barcelone et d’Amsterdam ; ils voudraient tourner à Tulum, à Bali et à Katmandou, mais pas y habiter ; ils ne jurent que par la musique acoustique mais 40 personnes bossent sur les arrangements de leurs morceaux en guitare-voix ; ils prônent les moments suspendus autour du feu, ce symbole de la déconnexion d’un monde consumériste qu’ils participent pourtant à façonner. Aujourd’hui, ce sont les nouveaux hobos (autoproclamés) qui ont leur heure de gloire dans l’industrie. Ils s’appellent Zaz, Claudio Capéo ou Christophe Maé.
Clément fait écho à ces artistes : « D’un coup, tu as des Zaz qui sont arrivées qui ont dû être dans cette veine de musiciens de rue, à un moment. T’avais aussi des Renan Luce qui sortaient souvent de radio-crochets. C’était pas leur objectif à la base, mais ils sortaient de plus en plus de The Voice. »
La première est internationalement connue via le single « Je veux d’lamour et d’la bonne humeur lalala ». Dans ce titre, elle moque la société de consommation en clip sur NRJ12 et fait le pari d’une vie libérée en interview sur TF1. Elle entame sa septième année de ventes massives de disques. Le second est un candidat de l’édition 2016 de The Voice, qui met en lumière le profil du musicien de rue. Dans son single « Un homme debout », les clips et les paroles très premier degré illustrent bien que pour convaincre les Français que les SDF ne sont pas par nature des assassins, des drogués et des voleurs, il faut vraiment leur parler dou-ce-ment. Le troisième est sorti du spectacle de la comédie musicale Le Roi Soleil pour faire une carrière solo sur des chansons de babtou romantique. Malin, il s’est progressivement éloigné de son image de membre de boys band fragile à celle d’un pseudo-beatnik français désabusé.
Pour éviter de faire de l’anti-téloche primaire, on rappellera que ces trois-là ont aussi roulé leur bosse pendant des années dans des cafés-concerts pourris et que ça n’est pas parce qu’on a pactisé avec les majors et les émissions télé de concours de chant qu’on a nécessairement rien à raconter. Ce qui fera dire à François Garrain : « D’ailleurs, est-ce que les artistes ont le choix ou le luxe aujourd’hui de construire un parcours, une carrière sans cet itinéraire ? Il faut parfois un succès immédiat pour pouvoir survivre. » La Nouvelle Star et The Voice peuvent être des étiquettes très lourdes à porter, même lorsque c’est de l’histoire ancienne. À l’inverse, ça n’est pas parce qu’on a vécu à la dure et voyagé dans le monde qu’on est nécessairement le mieux placé pour le raconter. Ces trois-là l’ont prouvé depuis un petit moment. Notre directeur de festival confirme le rapprochement : « C’est sûr que l’itinéraire de Zaz se rapproche de celui de La Rue Ketanou. Après, elle est sortie comme le lapin du chapeau du magicien, c’est fulgurant ce type de succès. Mais bon, sur certains projets, elle n’est pas très éloignée de certains discours communs. »
Les programmateurs de ces musiques à Musicalarue, Musilac ou Solidays les perçoivent au mieux comme une variété comestible, au pire comme l’assurance de remplir la jauge de leur festival. Mais cela n’empêche que le lien avec eux n’existe pas, leur carcasse relationnelle est morte. « Les Zaz ou Christophe Maé, ils sont déjà cloisonnés, confirme François Garrain. Ces succès fragmentent, segmentent et éloignent de la chaleur, le plaisir de rencontrer les artistes. »
Les Hurlements d’Léo et son gang les méprisent-ils en silence ? Se disent-ils : “Nous au moins, on s’est fait tous seuls” ou “Ils sont passés de l’autre côté” ? Le public de jeunes rêveurs leur préférera en tout cas les anciens à ces têtes propulsées.
Bon, on se marre bien mais
qui pour les remplacer ?
Quelle est la pertinence de cette génération de musiciens de rue à l’heure où le rap balaie tout sur son passage, où certains médias parlent des morceaux de PNL comme autant de nouveaux hymnes générationnels, où les les bâtons du diable sont moqués ?
Pour Martin, ce qui marche aujourd’hui, c’est évidemment le rap : « À mon lycée, la plupart des copains écoutaient du rap. C’était les débuts du groupe 1995 et des Rap Contenders. » Il suffit de voir les stats des artistes de rap sur internet pour se rendre compte que le rock est mort – pour la jeunesse. Quel meilleur marqueur des goûts musicaux des jeunes que les nombres des vues YouTube, de fans Facebook, d’écoutes Spotify ? Sans risquer de dire trop de conneries, sur YouTube, un rappeur a globalement 10 voire 20 x plus de vues que tous les autres genres musicaux. Vérifiez donc. Allez, cherchons ensemble.
PNL ? Vous êtes sérieux ?
En juin 2016, le magazine américain The Fader réservait même un long portrait au duo de rappeurs PNL. Après avoir dépeint l’enfance et la percée du groupe, la journaliste Atossa Abrahamian tente un parallèle un peu hasardeux entre la chanson « We gon’ be alright » de Kendrick Lamar, slogan de résistance du mouvement Black Lives Matter, et le slogan « Le monde ou rien » entendu pendant les manifs contre la Loi Travail en France en 2016, faisant allusion à l’une des chansons du duo : « Selon Mouloud Achour (…) “cela veut dire, ‘On a aucun problème à se comparer au reste du monde ; c’est ce que l’on veut.’ » ”
Dans la suite de l’interview, la journaliste se rend compte qu’on est loin de textes politisés à la Kendrick Lamar, que le duo ne se prononce pas sur la politique et n’est pas au courant qu’il y ait des manifs. Faute de textes libertaires ou au moins militants comme ceux d’un Kery James, la musique de PNL a pourtant su capter une jeunesse mieux que tous. Ils ont peint une réalité sociale qui échappe à tant de musiciens “engagés” avec des thèmes comme l’ennui, la famille, la démerde.
Mais on reste pourtant loin des messages envoyés par la génération des musiciens de rues.
Le rap : enfin une piste sérieuse ?
Des textes, en français. Une histoire de la galère, de l’anti-système ou de la nonchalance, du refus de rentrer dans leur monde, de l’autoproduction, le rap indépendant français a, dans sa forme, la possibilité de répondre à des envies communes à celles de la génération qui écoutait Debout sur le Zinc. Ce qu’elle arrive assurément à faire, et faisait déjà à l’époque de ces groupes-là. D’autant qu’aujourd’hui, jusque dans ses petites niches, le rap indé est devenu populaire.
Chez les potes de Martin au lycée, c’était bien le rap qui était déjà la musique n°1 : « Nekfeu et les Casseurs Flowteurs sont les nouvelles cigales de la jeunesse. Ça fait quand même un peu vieux con de dire que c’était mieux avant, mais je le pense très fort. » Pour Clément, le rap indé pourrait être une des pistes les plus sérieuses pour imaginer une suite aux histoires de nos amis précités: « Un peu comme des votes qui se redirigent après un premier tour, y’a des mecs qui ont dû aller vers des trucs un peu plus rap pour apprécier un texte, ça peut aller d’Odezenne à PNL. Ou alors pour ceux qui étaient plus allergiques au rap, ils ont peut-être un peu laissé tomber et se sont laissé séduire par des standards pop ricains. »
Cette liste d’artistes n’est évidemment pas exhaustive et il suffit de voir ce qu’il se passe dans les innombrables courants indé de rap francophone pour se rendre compte de sa richesse. Le rap, c’était bien avant, ça s’est essoufflé et c’est très bien maintenant.
Quoi d’autre ?
Boulevard des Airs ? Un groupe formé au milieu des années 2000 qui reprend grossièrement les mêmes codes et qui a récemment décidé de mettre par dessus leurs cuivres, voix et cordes un kick et une instru « chill » à tendance Bakermat-Fakear pour que jeunesse se fasse.
Les L.E.J. ? Trois Françaises qui se sont fait connaître en chantant en anglais avec des reprises de hits entendus à Ibiza et des mashups filmés en plan fixe devant des plages. Elles se sont ensuite tournées vers la langue française pour aller trouver le public de festivals estivaux.
La pop « naïve » ? Paradis, The Pirouettes, La Femme, etc. Ok, c’est casse-gueule comme comparaison, parce qu’entre les citoyens du monde et les méchus des lycées privés urbains, c’est le jour et la nuit. Hypothèse à peine évoquée, à peine balayée. Désolé.
Fauve ? Si ceux dont on parlait comme le nouveau phénomène n’abordaient pas vraiment des sujets très politiques, force est de constater qu’ils ont foutu un coup de massue dans la masse d’une génération. À vous de (nous) juger.
Martin cherche et trouve presque : « Il faut dire que je n’écoute plus très souvent ce style de musique : je me contente de réécouter ce que je connais déjà. Il y a peut être les Zoufris Maracas, mais ils doivent avoir le même âge que La Rue Ketanou, on ne peut pas tellement les qualifier de nouveau. »
Et du point de vue de François Garrain : « Vous avez cité Boulevard des Airs, qui a déjà un petit succès public, et puis des petits groupes locaux sympas comme Trottoir D’en Face, qui a repris ça. Sinon, Bigflo & Oli dans un autre style. »
En gros, on n’a pas répondu
à la question, c’est ça ?
Vous espériez qu’on vous confie que les collégiens d’aujourd’hui écoutent une sorte de Jul, les tresses en plus, avec un t-shirt vert-jaune-rouge et une guitare en bandoulière ? Vous êtes de grands malades. Même si ça pourrait être sympa à voir.
Peut-être que, tout simplement, ces groupes appartiennent déjà à l’histoire, relégués aux musées des musiques actuelles : les têtes d’affiche des festivals. Autre théorie : comme la période nihiliste du Velvet qui a succédé à la naïveté des sixties et du flower power, on assiste actuellement à la période désabusée de PNL qui succède à l’espoir de La Rue Ketanou. Mais ce serait un gros raccourci. Vouloir trouver des remplaçants et des cycles serait oublier une chose super importante : les principes de « générations » et de « décennies musicales » ont été créés par des sociologues et des musicologues qui vendent des millions de bouquins là-dessus. Tout ça pour nous persuader, entre autres, que les générations X, Y et Z (et bien avant) sont fermées sur elles-mêmes, destructrices et insouciantes. Aux dernières nouvelles, ce phénomène de masse n’est toujours pas arrivé, mais passons.
Martin, visiblement loquace, persiste : « Je ne pense pas qu’il y ait une obligation de les remplacer. Et puis avec l’avènement du rap tout puissant, je ne suis pas sur que la demande existe réellement chez les collégiens et les lycéens d’aujourd’hui. » Et François Garrain signe : « Ces gens sont irremplaçables. »
Avant de nous quitter (parce que vous avez passé au moins dix minutes sur cet article, ce qui fait de vous un prix Nobel à l’ère du gif), dites-vous que vous aurez beau enfouir cette insouciance au plus profond de vous-mêmes, rappelez-vous que ce songe musical d’un monde plus juste était votre souffle de feu, votre beauté fugace. Ce ne sera pas toujours simple parce qu’une partie de cette musique a plutôt mal vieilli, mais il y aura toujours des adolescences à construire de façon romantique.
Superbe article. Merci pour le travail fourni !
Belle article.
35 ans et j’écoute toujours les musiciens des rues. Et oui. Et je rêve toujours d’un monde plus juste. Donc si, même après 25 ans on peut toujours écouter ce genre de musique, et rêver. Rêver et transformer sa vie.
Ça ne m’empêche pas d’écouter PNL aussi.
Et mes préférés en ce moment : Zoufris maracas.
La bise !
Ouah !! Article de dingue ! Sans parler du sujet, la structure et le travail fournis sont juste parfait !!! Moi-même journaliste musical, je sens que je vais m’inspirer de ce genre de format. en tout cas : clap clap !!
Sympa l’article, l’important est de garder cet esprit libertaire et de rester jeune, dans sa tête du moins, rien ne nous oblige à nous faire bouffer par l’image qu’un quadra doit avoir.
A bas la calvitie et les poils grisonnant!!!
putain merci, j’ai la larme à l’oeil!!!!
Beau papier, je pensais pas que l’on pouvait déjà être nostalgique des années 2000. Ton article prouve le contraire.
Je partage ton avis, le rock festif contestataire n’est plus tellement d’actualité et hormis les anciens groupes cités qui tournent encore il faudra trouver ces message chez une relève qui ne joue pas dans la même cour.
C’est les Orelsan, 1995 et autres bigflo & oli , ce rap de blanc que ta mère accepte d’entendre. Mais c’est pas la même. Ils ne portent pas de gapette, d’anneaux aux oreilles et de pantalon en velour. Sur leurs concerts, on est propre et anonyme.
On peut quand même entendre de « nouvelles » voix qui je crois n’ont pas été citées : je pense à Gauvin et Alexis HK .
Bel article. Je dois être une grande nostalgique alors car j’ecoute ces groupes depuis le collège et ils ne m’ont pas quitté, tout comne mon sarouel ^^. Je dis nostalgique…mais du haut de mes 30 ans cela semble un peu presomptueux. Cela dit je suis d’accord avec le fait que le message est dorénavant plus relayé par de jeunes rappeurs, que par les chanteurs bobo avec leur guitare. Mais les goûts évoluent et si je ne me lasserai jamais de ces musiques, je me suis volontiers laisser entraîner par BigFlo et Oli, Stromae, Orelsan même parfois. Ce qui est certain c’est que la population des festivals en plein air, et moi avec, sommes toujours plus que ravis d’accueillir Tryo ou la Rue Ket sur scène…il y a toujours cet idéal de liberté qui ne les/nous quitte jamais !
Désolé de déterrer, mais chouette article, merci !
Pour rebondir et essayer de répondre, je dirais, personne malheureusement, ou fatalement.
Question d’évolution et de choc de génération.
Effectivement, on ne peut raisonner en termes de décennies comme le voudraient les marketeux. Mais je pense qu’au sein même des génération, il y a des réactions épidermiques qui conditionnent les modes. Pour être un de ceux qui a vécu cette période « babos », c’était surtout une réaction au nihilisme du début des 90’s, marre de voir tout noir, enfin de l’espoir. En 10 ans j’ai donc réussi à être fan de Nirvana/Soundgarden/Smashing/Radiohead comme de Tryo/Hurlements/Ketanou/Harper. Question d’évolution. Evolution qui n’aurait peut-être pas abouti à cela sans l’aide de Noir Des, groupe autant nihiliste que poétique au possible, ce fut le liant le plus efficace pour faire prendre la sauce !
Et passée la fougue juvénile, l’évolution a fini de ranger ces groupes dans la classe « chanson française »
Question d’évolution aussi quand apparaissent les réseaux sociaux (essayez d’y avoir un raisonnement de gauche, bon courage !). Pour finir, si le rock (et plus particulièrement de gauche) disparaît et que le rap le remplace, c’est surtout que ce dernier a été le plus à l’aise avec le consumérisme et à se développer sur les plateformes à abonnement. Difficile de « ne pas savoir où je vais » si c’est pour finir par payer 10 balles par mois pour le revendiquer…
Très chouette article, qui m’évoque pleins de choses, et qui a beaucoup de sens. Mon avis ceci dit:
D’une part, à mon sens, on est arrivé à un moment de l’histoire culturelle (principalement des sociétés occidentales), où on réexplore beaucoup le passé, soit pour répliquer, soit pour s’en inspirer fortement. Du coup, ça ne me parait effectivement pas idiot de se dire que ça n’a pas beaucoup de sens de vouloir trouver les groupes qui les remplacent: ils sont toujours là. En activité ou non, leur musique est toujours accessible, et écoutée, parmi beaucoup beaucoup d’autres choses. Ça ne concerne pas exclusivement ce type de groupes, bien sûr, mais ça les concerne aussi, tout autant que la redécouverte des rythmes 50’s (Postmodern Jukebox, The Baseballs, etc…), par exemple.
Après, même si il y a toujours eu des gens sensibles à ces textes et à l’engagement politique qu’ils suscitaient, ça restait quand même assez marginal. Personnellement, étant de 92, comme une personne dans l’article, je serais assez d’accord de dire que c’était finalement une part pas si étendue qui écoutait ces groupes, à l’exception de quelques gros « hits », bien plus commercialisés que d’autres (le matraquage aidant, j’ai d’ailleurs fini par haïr l’Hymne de nos campagnes). Est-ce que d’autres groupes sont porteurs de messages politiques comparables aujourd’hui? Je pense bien, vous en citez: Big Flo et Oli avec « Je suis » n’en sont pas loin. Fauve, avec tout le côté Bobo/émo que ça peut évoquer, a cette consonance aussi. Il y a une forme de dénonciation, qui pousse à réclamer un monde meilleur, à mon sens.
Alors oui, musicalement, on est pas dans les mêmes registres. La chanson française politisée est peut-être pas très enthousiasmante pour l’instant, récupérée par certains artistes moins revendicateurs, un peu plus consensuels. Mais encore une fois, la scène est encore bien occupée par les « anciens » (qui, pour une partie, se sont aussi bien « assagis » et un peu vendus hein, cf Tryo)… ça ne veut pas dire qu’elle se réemergera pas une fois que ceux-ci auront passé la main, laissant la place à de nouveaux groupes pour réinventer le genre.
Parce que finalement, est-ce que le propre de cette décennie, c’est pas d’expérimenter des mélanges, parfois un peu improbables, et plus ou moins heureux, plutôt que de se concentrer sur une niche précise? Même dans les artistes les plus « mainstreams », on voit des essais de mélanges qui ne manquent pas d’intérêt, et qu’il est de moins en moins possible d’étiqueter uniquement pop, ou rock ou chanson française, par exemple. Donc si on en est à chercher qui sont les nouveaux groupes de babos, on risque d’être déçus: on en retrouve des sonorités ou des thèmes, mélangés à d’autres choses bien différentes, qui peuvent plaire ou non.
A mon sens, c’était pas mieux avant, c’était différent: apprécions ce que le passé a pu apporter, et continuons de le partager à ceux qui ne l’on pas connu, restons attentifs à ce que le présent amène, pas seulement dans un seul genre, mais dans tous, et regardons avec intérêt comment tout ça se mêle et se démêle dans le futur. Quoiqu’il arrive, on produira toujours de la musique: du bon et du moins bon, du politiquement engagé et du moins politiquement engagé, sous toutes sortes de formes qui méritent un intérêt qui ne s’arrête pas à « Mouais, ça ressemble à X en moins bien ».
Bon, mon commentaire s’est fini en roman fleuve, j’avais visiblement besoin de m’exprimer, quitte à répéter pleins de choses déjà pointes… Mais merci encore pour l’article, très appréciable!
Je ne suis pas du tout d’accord, j’ai 20 ans et je trouve que tous les artistes « vieux » que vous critiquez sont géniaux, nous font rêver et pas à l’inverse taper sur les autres…. je suis d’accord que Claudio Capéo actuellement c’est du gâchis par rapport à l’avant The Voice mais Les Ogres, La Rue Ket, DSLZ, etc sont dans les festivals parce que les gens les aime, pas juste parce que les programmateurs sont nostalgiques… et puis des festivals avec seulement du rap n’attireraient pas tellement de monde
Très intéressant. Merci pour ce papier, bien fichu et bien écrit.
Snif
Merci
Bien écrit, merci!