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Quels sont les défis futurs de la sécurité en festival ?

Avec un plan Vigipirate permanent et un budget qui ne cesse d’augmenter, la sécurité est au cœur des évènements musicaux. Alors, comment oublier ces éléments anxiogènes tout en étant bien protégés ? En Europe, une sécurité collaborative s’organise.

Pendant que vous criez à gorge déployée la chanson de votre groupe préféré que vous voyez enfin sur scène, la sécurité veille. Portail de sécurité, agents, fouille avec palpation, caméras de surveillance, policiers armés… Au milieu des concerts, des bières et des copains, pendant un festival, on est confronté à la sécurité en permanence. La sécurité en festival regroupe à la fois la sécurité privée, souvent effectuée par des sociétés spécialisées dans la gestion de grands événements, et l’action des forces de l’ordre, gendarmes à la campagne, policiers en ville. Ces dernières interviennent principalement sur les abords des sites, sur le domaine public. La sécurité privée est elle soit identifiable avec des brassards, soit en civil pour se déplacer dans le public et repérer d’éventuelles incivilités, ou problèmes de santé.

Un avant et un après attentats

Dans le milieu, tout le monde a bien en tête le moment où la vis sécuritaire s’est resserrée : 2015, post-attentats. « Après le Bataclan, on avait des snipers sur les toits pendant les concerts, ça rappelle tellement de mauvais souvenirs, se souvient Armel Campagna, le directeur du Main Square Festival et d’I Love Techno. La sécurité, publique ou privée, doit être là, mais ne doit pas gâcher l’expérience du festival », assure-t-il. Depuis la crise sanitaire, si de nombreux festivals et concerts ont dû être reportés, de nouvelles normes se sont ajoutées aux anciennes, comme le contrôle du passe sanitaire.

Mais alors comment lutter contre le dogme sécuritaire et rester en cohérence avec l’esprit festif et léger d’un festival ? En 2018, la circulaire Colomb fait l’objet des foudres du monde de l’évènementiel. Elle prévoit « à la charge des organisateurs d’événements, le coût des forces de police et de gendarmerie mobilisées pour assurer la tranquillité et la sécurité sur la voie publique à l’occasion d’un événement ». Mais aussi la possibilité de forces de l’ordre armées à l’intérieur du festival. L’Union française des métiers de l’événement (Unimev) monte au créneau au Conseil d’État, contre cette circulaire qui plombe les finances des festivals.

Pour donner un ordre d’idée, pour un festival de l’ampleur des Eurockéennes, l’application de la circulaire devait faire passer le budget en lien avec la gendarmerie de 22.000 à 200.000 euros. Une augmentation disproportionnée aux yeux du directeur général, qui a attaqué la décision devant le tribunal administratif. Du côté du Main Square Festival, la sécurité représente entre 15 et 20 % du budget de production, un chiffre énorme qui a fait fois deux en l’espace de dix ans. «  Ce coût n’est pas reporté sur le prix du billet, donc c’est une grosse charge pour nous, détaille le directeur du festival, mais ce n’est pas possible de couper dans ces dépenses, on a besoin d’avoir le maximum d’équipes volantes sur le site. »

eurocks 2019 © Lionel Vadam - maxPPP

Eurockéennes 2019 © Lionel Vadam

Une collaboration du public et du privé

Gestion des mouvements de foule, sécurisation des bords de scènes, repérages des vols ou des violences, secours de personnes en danger, mais aussi gestion des mauvaises conditions climatiques sont autant de choses à prendre en compte dans un événement de telle ampleur. Dans un festival en plein air, en cas d’orage, c’est la panique. Mais aussi de nouveaux points de vigilance, comme par exemple le harcèlement sexuel. De nombreux festivals forment désormais des agents pour détecter les comportements problématiques à caractère sexistes ou sexuels. Des associations spécialisées, comme Safer, qui propose une application pour faire des signalements ainsi que du personnel à l’écoute ou encore Consentis, qui promeut la culture du consentement. Cette organisation colossale se prépare très en amont. Avec un défi : rendre la sécurité la plus invisible possible. Le détail est validé par étapes, plus de six mois à l’avance. Avec le besoin de l’accord de la préfecture de police, qui peut décider jusqu’au moment de la visite d’ouverture de ne pas valider l’agrément.

La collaboration entre les forces publiques et les festivals se passe généralement assez bien, toutefois certaines situations peuvent créer des points de discorde, comme en témoigne Jean-Paul Roland, des Eurockéennes : « une année, les gendarmes étaient beaucoup plus visibles que d’habitude, et il se sont lancés dans une sorte de “chasse au joint”, qui a créé des tensions avec les festivaliers. » A Belfort, si la sécurité est une priorité, pas question qu’elle gâche l’expérience des spectateurs. 99 % du protocole est prévu à l’avance, mais il reste une petite place pour l’imprévu. « J’ai toujours considéré qu’en allant dans un festival, il allait forcément vous arriver quelque chose : que ça soit perdre ses clés ou rencontrer son âme sœur », assure Jean-Paul Roland. Pour lui, c’est catégorique, pas question d’installer des caméras de surveillance à l’intérieur du site, même si certaines sont déjà en place à l’extérieur pour surveiller les abords et les arrivées de véhicules.

Du côté du Hellfest, depuis 2016, ils disposeraient d’un dispositif composé d’une vingtaine de caméras de surveillance, permettant « de filmer avec grande précision l’ensemble du site », selon un communiqué datant de 2019. Contacté, le festival de Clisson a préféré ne pas aborder ce sujet pour « des raisons de sécurité et de confidentialité du dispositif », qui est pourtant censé avoir été modifié depuis les déclarations de 2019.

Plus au nord, à Arras, Armel Campagna a fait le choix d’équiper l’ensemble du festival en caméras, piloté par un Poste de Commandement Opérationnel (PCO) dans lequel sont présents en permanence un agent de la sécurité privée, un responsable de la mairie, un représentant de la préfecture et un de la police, pour détecter la moindre anomalie. Une décision qui peut s’expliquer par la spécificité du lieu : contrairement à la plupart des festivals qui ont lieu dans un champ, le Main Square Festival prend place dans la citadelle d’Arras, inscrite au patrimoine de l’Unesco. Des murs et une enceinte qui expliquent que le dispositif de caméras reste la solution privilégiée. « Mais nous avons toute une équipe volante très attentive aux problématiques actuelles et notre objectif est d’être le plus discret possible, explique Armel Campagna. Les gens viennent pour profiter, pour oublier, donc on essaye de créer l’oubli. »

Le tout, dans une excellente entente avec la police et la préfecture. Pour preuve, les équipes de forces de l’ordre présentes sur le festival sont les mêmes depuis dix ans : « les policiers ont même des écussons avec une guitare électrique brodée quand ils sont sur site », s’amuse le directeur du Main Square. Pas de tension en vue donc : « les festivaliers applaudissent quand il voit passer un policier à cheval, on peut être meilleur en sécurité quand en plus le public est d’une extrême bienveillance avec la force publique », conclut Armel Campagna.

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Astroworld © DR

Une coopération européenne

Au Paléo Festival, à Nyon en Suisse, pas de fouille systématique à l’entrée. L’équipe mise tout sur le renseignement humain et les équipes volantes de bénévoles sur place. En tout, ils sont une équipe de quatre dans le bureau permanent, et 1.500 collaborateurs les jours J, sur les 5.000 collaborateurs que compte au total le festival. Un dispositif énorme, pour une moyenne de 40.000 festivaliers. Pour Pascal Viot, chargé du département “Accueil et sécurité” du festival, il ne faut pas tomber dans l’ultra-sécuritaire : « je pense qu’on se trompe sur la stratégie, une fouille à l’entrée peut-elle être la solution ? C’est mis en place pour détecter des armes et des explosifs, mais qu’est-ce qu’il se passe si on en trouve ? » Une illusion de sécurité pas forcément efficace pour le Suisse à la formation de sociologie urbaine. « Ce type de contrôles a été inventé à l’époque des blousons noirs à cran d’arrêt : aujourd’hui, on est dans une époque complètement différente. » Il y a tout de même des contrôles effectués pendant le festival, au cas par cas, lorsque des objets dangereux sont repérés.

En plus du Paléo, Pascal Viot est aussi, depuis trois ans, le coordinateur du YES Group. Branche de Yourope, l’association des festivals européens, qui se focalise sur la sécurité événementielle. Le groupe Yourope Event Safety (YES Group) est né juste après un incident du 30 juin 2000 au Festival Roskilde, au Danemark. Lors du concert de Pearl Jam, la foudre frappe : neuf personnes meurent et vingt-six personnes sont blessées, dont trois grièvement. Depuis, ce festival qui accueille aujourd’hui 130.000 personnes, a fait de la sécurité sa priorité. Ce Think Tank européen entend permettre l’émulation, le débat d’idées, mais aussi le partage d’expériences. « On échange, on se visite, on regarde sur place comment les uns et les autres organisent les choses chez eux, on s’entraide pour se préparer et faire face aux problèmes de sécurité », raconte Pascal Viot.

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Lors de l’hommage de Pearl Jam au Roskilde en 2020 © Brian Rasmussen

L’objectif ? Avoir une vision commune pour harmoniser les bonnes pratiques au niveau européen, en prônant le respect du spectateur, et en se concentrant sur les nouvelles façon de gérer les flux. Une façon de se préparer ensemble aux possibles drames. Le problème de sécurité n°1 en festival : la densité. Les grosses catastrophes sont finalement bien plus marginalement causées par des comportements volontaires que par des mouvements de foule mal contrôlés. La question des situations de surdensité, souvent négligée dans les approches classiques, est l’une des préoccupations premières du YES Group.

En novembre 2021, au Festival Astroworld au Texas, pendant le concert géant du rappeur Travis Scott, un mouvement de foule éclate. Malgré les alertes, y compris du public, le concert continue comme si de rien n’était. Dix personnes meurent asphyxiées. Une situation impensable pour beaucoup de festivals du YES Group, qui adoptent désormais la procédure Stop Show. En cas de problème, un protocole d’urgence est prévu à l’avance, étape par étape, pour faire arrêter le concert. Les artistes sont briefés en amont, avec toujours une personne ressource identifiée sur scène avant le début de la performance.

Plus les festivals adoptent ce type de pratiques, plus elles seront acceptées comme la norme. « Nous sommes un groupe européen donc nous communiquons en majorité en anglais, ce qui fait que les pays du Sud restent un peu à la traîne sur ces questions-là », analyse Pascal Viot. Qu’en est-il de la France ? Si beaucoup de festivals sont aujourd’hui très attentifs à ces questions, certains restent encore bloqués dans le passé : « La France est très centrée sur elle-même… » se désole le coordinateur du YES Group. Pour lui, la formation des organisateurs reste la clé. L’Institut Suisse de Sécurité Urbaine et Evènementielle (iSSUE) en partenariat avec Mind over matters de Chris Kemp, le fondateur du YES Group, et l’université Napier d’Edimbourg, délivrent un certificat professionnel en sécurité événementielle et gestion de foule. Un programme composé de dix modules de formation d’une journée, intégrant apports théoriques et exercices en groupe, complétés par l’intervention d’experts académiques ou de la pratique.

Les pays du nord de l’Europe restent les pionniers en matière de nouvelles pratiques de sécurité. L’Allemagne avec le Rock am Ring ou encore le Lollapalooza Berlin, la Belgique avec le Tomorrowland et Rock Werchter, mais aussi la Norvège, la Suède, Finlande, la Slovaquie… Le Roskilde, au Danemark a par exemple gagné le European Festival Awards organisée par Yourope en 2017, de par son innovation au niveau de l’arrivée au festival. L’idée ? Remplacer les plots en béton par des arbres en pots pour éviter l’effet bunker anxiogène pour les festivaliers. L’esprit : apprendre à vivre avec le risque, en pensant à la sécurité sur le long terme, et non plus dans l’état d’urgence, l’adaptation temporaire.

Photo en une : Agent de sécurité © Fabien Vallee

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