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Que Paris est beau en toutes lettres

Le Festival Paris en Toutes Lettres, organisé chaque année à la Maison de la Poésie et dans treize lieux partenaires (bibliothèques, salles de spectacles, centres culturels), célèbre la littérature sous toutes ses formes, et notamment à travers ses nombreux mariages avec la musique, le dessin, la vidéo… sans autre prétention que de partager, faire aimer les mots, d’une façon ou d’une autre, quel qu’en soit le vecteur, dans nos rêves comme dans nos danses. Ça tombe drôlement bien, puisque parmi nos nombreuses obsessions il y a justement ce lien, intime, évident, jouissif, entre musique et littérature. C’est donc le cœur rempli de joie qu’on a assisté à trois événements, dont on est revenus encore plus monomaniaques, et qu’on vous raconte là, tout de suite.

Sonarium – Feu! Chatterton (Bibliothèque historique de la Ville de Paris)

Expérience originale s’il en est, Sonarium propose une session d’écoute d’album, en intégralité, en son haute fidélité, suivie et/ou précédée d’une discussion avec l’artiste. Cette rencontre avec quatre des cinq membres de Feu! Chatterton était animée par Olivier Nuc, journaliste musical au Figaro. Avec les Feu!, comme on les appelle dans le milieu (enfin nous, oui), on ne prenait pas beaucoup de risques. La conversation promettait d’être passionnante, et elle le fut. Volontiers étiquetés « groupe de rock littéraire », l’occasion était trop belle de les écouter parler non seulement de cette cage dorée où on les a un peu enfermés mais aussi de leur rapport à la littérature et à la poésie.

D’entrée de jeu, Arthur Teboul, chanteur et parolier, rejette l’expression « rock littéraire ». Pour lui, la musique est faite pour être entendue, et la littérature pour être lue. Il considère qu’un texte de chanson lu à haute voix, aussi bon soit-il, ne doit pas se suffire à lui-même, et que tout l’exercice consiste justement à transmettre plus d’émotions grâce aux notes. Il ajoute ne pas aimer qu’on lise ses textes « sans la béquille de l’oralité », répondant ici à la fameuse question « faut-il lire le livret en écoutant le disque ? ». En grands fans de sa plume, on se permettra de ne pas être complètement d’accord, mais rien à faire, à ses yeux, « l’œuvre, c’est la chanson ».

La poésie est hyper présente sur ce deuxième album des Feu! Chatterton. Si ce n’est plus, en tout cas de façon plus directe, que la littérature. Deux des titres de « L’oiseleur » sont des poèmes mis en musique. « Le départ », de Paul Eluard, et « Zone libre », de Louis Aragon. Les membres du groupe reviennent en particulier sur « Zone libre », qu’ils trituraient déjà, dans des versions diverses et variées, depuis quelques années, et dont le texte est devenu plus contemporain que jamais après les attentats de 2015 et a déterminé cet enregistrement. Ils expliquent l’importance, même et peut-être surtout face à un auteur de ce calibre, de ne pas être trop respectueux, d’être un peu des « pilleurs ». Dans la mesure où ils savent avoir compris le texte, leur motivation première est de le partager, d’abord entre eux, puis aux autres. La mise en musique et la dynamique de groupe semblent permettre ici justement de se libérer de la révérence étouffante que peut inspirer la poésie, à condition de savoir, comme ils l’ont fait, garder le respect et envoyer promener la paralysie.

La chanson « Souvenir » est quant à elle inspirée du poème « L’adieu » de Guillaume Apollinaire. Arthur explique qu’« Alcools » l’a énormément inspiré, voire aidé, dans l’écriture de l’album. Après « Ici le jour (a tout enseveli) », il a en effet eu envie d’aller vers plus d’épure, d’un disque plus centré, plus direct. La sobriété et la douceur des vers d’Apollinaire se sont assez naturellement imposées à lui comme un modèle du genre. Cette simplicité qui vous ébranle, cette poésie « antique mais sans la froideur des statues », dit-il, c’était ça, l’objectif. Tendre vers un certain abandon, une certaine économie, pour, d’album en album, se ressembler de plus en plus.

Au milieu de cet entretien, l’écoute intégrale de l’album est, comme nombre de choses rares, un exercice intéressant. Quand a-t-on, ou prend-on, le temps de s’asseoir et d’écouter un disque, d’un bout à l’autre, sans bouger, sans lire, sans parler ? Et qui plus est, en groupe, avec des inconnu.e.s ? L’expérience est révélatrice de ce manque d’habitude. La patience, l’immobilité, la capacité de fixer son attention pendant plus d’une heure semblent parfois, souvent, et sans que ça n’ait rien à voir avec la qualité du disque, entraîner un certain inconfort. Une manière originale pour « L’Oiseleur », quelques mois après sa sortie, de bousculer encore, de provoquer sentiments et réactions, de titiller bien plus que les cœurs et les oreilles.

François Atlas – Fleurs du Mal (Maison de la Poésie)

On vous en a déjà parlé ici : François Marry, tête pensante du groupe François and the Atlas Mountains, a consacré son dernier album à sa (re)visite musicale de poèmes de Charles Baudelaire tirés des « Fleurs du Mal ». Il les interprétait à la Maison de la Poésie le 16 novembre. Dès le premier titre, c’est l’évidence : le passage au live marche. L’énergie et la joie communicatives du groupe, les arrangements, pop et parfois vaporeux (que ne renierait pas Benjamin Biolay) sont des outils inattendus mais se révèlent finalement un écrin vraiment classieux pour les célèbres vers, mille fois entendus, parfois appris trop tôt, sans les apprécier vraiment, souvent tronqués tels des slogans, et ici servis, bichonnés, compris. La dégaine un peu surannée de François Marry, que l’on croirait en partance pour un duel au pistolet, apporte cette petite touche intemporelle, cette folie qui ne cesse jamais complètement d’habiter le monsieur.

Ecouter les mots. Les entendre vraiment. Pas uniquement « sois sage ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille », pas juste « là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté ». Mais bien l’œuvre entière. C’est ce que propose, et permet, ce type de projet. Parce que la musique pop permet de « faire passer », parce que l’on croit taper du pied sur la musique alors que ce sont en fait les mots qui dictent le rythme. Ce rythme, nerf de la guerre en poésie.

Nul besoin d’avoir fait Hypokhâgne pour associer le spleen aux « Fleurs du Mal ». François dit avoir voulu y amener de la joie. Et il y parvient. Aucun éclat de rire, évidemment, mais une certaine ferveur se dégage de cette représentation, une harmonie positive, un élan collectif. Sans couvrir ni empêcher l’émotion, la profondeur inhérentes aux vers de « Charles » comme il l’appellera pendant toute la soirée.

On touche là encore, comme en parlait Arthur Teboul, à cette frontière entre le respect et la pétrification face à une œuvre d’une telle ampleur. Les puristes seront peut-être choqués. Fallait-il oser ? François a-t-il trahi Charles ? Notre avis, puisque vous le demandez, est que non. De Baudelaire à La Compagnie Créole (parfaitement !), une œuvre artistique, quelle qu’elle soit, et fût-elle réputée intouchable, doit sa vie à son auteur.e mais sa survie à celles et ceux qui lisent, regardent, écoutent, ressentent, interprètent, s’approprient. Toutes les versions ne font pas mouche, bien sûr. Mais elles ont le mérite d’exister, d’avoir été tentées, et disent plus que jamais la richesse et la pertinence d’un texte. Qualités qui n’étaient plus à démontrer dans le cas des « Fleurs du Mal », auxquelles François Marry a « juste » apporté un angle, une liberté, et sa propre poésie.

Il raconte, juste avant d’interpréter, en final, « Le rêve parisien », que ce poème l’a aidé lors de son installation à Paris. Faisant résonner chez chacune des personnes présentes le souvenir de toutes ces fois où des mots ont accompagné, soutenu, réconforté. On imagine aisément, toutes proportions gardées, que ça a toujours été le cas, que les gens d’avant, nos anciens, nos ancêtres, en avaient autant besoin que nous, et que bien avant François Marry, avant Léo Ferré, avant Mylène Farmer (et oui), d’autres, pour se sentir vivant.e.s, pour ne pas être seul.e.s, ont déclamé, récité, chanté, chuchoté, bousculé et rendu immortel le grand Charles.

Marie Modiano – « Pauvre Chanson » (Médiathèque Marguerite Audoux)

Le festival coïncidait ici avec le dixième anniversaire de la Médiathèque Marguerite Audoux, dans le troisième arrondissement de Paris. Changement de décor, donc, et rendez-vous le 17 novembre dans le cadre chaleureux et familial d’une bibliothèque de quartier, de ces lieux de culture et de rassemblement loin de toute prétention, de tout snobisme, de tout sectarisme.

Marie Modiano y proposait une lecture musicale, alternance de poèmes (« Marie », de Guillaume Apollinaire, « Fugue de mort » de Paul Celan), de passages et chansons de son livre « Pauvre chanson » et de l’album du même titre, accompagnée de son complice Peter Von Poehl à la guitare et à l’harmonica.

Marie Modiano, c’est une généreuse. Elle donne. Beaucoup. Sans compter, sans calculer. Ici, dans cette atmosphère conviviale, presque intime, au milieu de cette communauté de voisins, d’amis, son naturel explose. A l’exception des deux poèmes, qui de toute évidence lui parlent et l’émeuvent, elle ne dira que ses propres mots. Des mots simples, qui trouvent ici très clairement une nouvelle profondeur et une puissance narrative sublimée dans l’oralité. On est en plein dans la différence entre « lire dans sa tête » et « lire à voix haute ». Sans faire offense à ses talents d’auteure, c’est bien son interprétation qui emporte tout. Quasiment une performance d’actrice, bien qu’elle évoque principalement ses souvenirs, car elle sait les parler, les raconter, nous y transporter. Elle ne se dérobe pas devant l’émotion qui monte, dans sa gorge comme dans ses yeux, à l’évocation de cette séance de cinéma, enfant, pour aller voir « Popeye », de ce voyage à Malmö en train avec son fils, ou de cette fois où, à court de papier, elle volera à ce même fils un cahier dans sa chambre.

Peut-être est-ce là l’une des forces des chanteurs, cette forme d’impudeur, cette facilité à dire, à faire entendre, à faire de leur voix l’ingrédient magique qui donnera de la force, de l’épaisseur à leurs écrits ou à ceux des autres. Peut-être est-ce, au-delà de leur propre talent d’écriture, ce qu’ils ont à apporter. De la chair, de la caisse de résonance, du palpable. Sans oralité, pas de bégaiement, pas de raté, pas de chat dans la gorge, mais pas de vibration non plus, pas d’oscillation. Un peu moins de vie, quand même. Marie Modiano en fait la démonstration de la plus belle des manières, elle donne du sens en mettant du son.

Quelle bonne et belle idée que ce festival. Donner et partager la parole, mélanger et rassembler tout et tout le monde.

On aurait aimé assister à la lecture musicale de Dominique A, à la rencontre entre Florent Marchet et Nicolas Mathieu, on aurait adoré voir les chansons de Mathieu Boogaerts et Jeanne Cherhal prendre forme sous les crayons de François Olislaeger et David Prudhomme et Aurélia Aurita. Programmation rêvée. Ce sera pour une prochaine fois. Ce qu’on a eu la chance de voir nous a non seulement emballé.e.s mais donné à réfléchir aussi. Et s’ils étaient une piste pour amener le plus grand nombre à la lecture, ces artistes autres, ces musiciens, ces dessinateurs, cette pop culture ? « Les fleurs du mal » a été condamné à sa sortie pour offense à la morale religieuse et outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs. Parmi les « classiques » que l’on rechigne à lire au collège, beaucoup, en leur temps, étaient subversifs, irrévérencieux, différents. Les rock stars de l’époque.

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