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Quand vient Mélissa Laveaux

Après un album (Radyo Siwèl, 2018) autour des blues traditionnels haïtiens – pays dont ses parents sont originaires, la Franco-canadienne Mélissa Laveaux poursuit son exploration artistique en puisant, cette fois-ci, son inspiration dans l’histoire du féminisme mondial : de nombreux titres de « Mama Forgot Her Name Was Miracle » dressent le portrait d’une figure, plus ou moins connue il faut bien le dire, des luttes pour l’émancipation des femmes. Inspirée par le réel ? Militante dans sa démarche ? Mélissa Laveaux l’a toujours été. Et d’un point de vue musical ? Toujours à éviter les formules et les redites.

Si bien sûr on retrouve la couleur de ce groove et ce chant qui rendent sa musique si identifiable, ce nouvel opus est bien différent du précédent : des riff de basse, des percussions électroniques, des synthés, moins de guitare, d’acoustique et de blues/folk, et des arrangements variés qui mêlent des sons urbains, jazz, parfois même klezmer, comme dans « Rosewater ».

L’album s’ouvre avec « Half a wizard as a witch » sur un groove lancinant, piano et pulses électroniques. Les scansions de chœurs donnent à ce titre une certaine aura ; aura qui va s’accentuant encore à mesure que progresse le crescendo qui s’achève en un groove électronique hypnotique coloré d’une guitare shoegaze. L’ambiance est posée et se poursuit avec « Fire next time » en nappes de synthé, percussions sourdes et guitare étouffée. Le morceau, là encore, grossit, s’enrichit sans cesse jusqu’à un beau final de cuivres et de vents. Vient le percutant « Lilith », évocation de ce personnage biblique qui fut, dit-on, la première femme d’Adam et qui refusa de se soumettre à lui. Pour les rapports homme/femme ce sera à Oxmo Puccino d’endosser le mauvais rôle, forcément : « l’auto-justice est prônée (…) tu vas déguster la glace à la loi du talion », « la haine en chaîne dont tu es le maillon ». Pour évoquer cette femme puissante mieux vaut être directe et combative : aller droit au but, sans détour.

L’univers devient plus doux et onirique avec « La baleine » : ça tombe bien, Mélissa nous raconte un rêve. Nous voilà aériens, dans de grands espaces : l’imagination divague. C’est une ballade, toute simple, toute belle qui se prolonge avec « Rosewater » (en duo avec November Ultra) jusqu’à « Tears », sorte d’interlude vers le percussif, ample et dramatique « Ching Shi », morceau portant le nom d’une travailleuse du sexe chinoise qui devint la pirate la plus respectée des mers du Sud au début du XIXe siècle. Il y a dans tout cela une belle dramaturgie, aussi entraînante que sophistiquée et entêtante qui nous conduit, de portrait en portrait, du percussif « Sisters » et ses scansions brèves, au tout doux et onirique « Faith Meets Ana » et ses claps de mains. Avec délectation, nous plongeant d’un univers à l’autre… Le moelleux phrasé de basse de « Jackie » – en référence à Jackie Shane, pionnière transgenre de la soul canadienne – annonce la fin.

Ces nouvelles compositions, moins enlevées, moins immédiatement accrocheuses, plus progressives et urbaines dans leurs arrangements, plus narratives dans leur développement proposent un nouveau genre : la berceuse groovy ! Dingue. Vous conviendrez que ce n’est pas si fréquent. Parvenir à une synthèse réussie entre l’analogique et le numérique non plus. Alors on écoute, on réécoute, encore et encore, à la fois content et impatient de la suite.

Permettez une ultime remarque, qui d’un détail fait symbole : les fins de morceaux sont soignées : ici une petite modulation, là un léger déplacement, là un saxophone dans les dernières secondes. Ces petits riens sont tout.

Photo en une : Mélissa Laveaux © Adeline Rapon

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