À l’instar de la musique techno, les territoires miniers sont-ils les premiers environnements entièrement dénaturalisés ? Vous avez 4 heures. Heureusement, partout où vous enlevez l’organique, il revient au galop. Avec « Nord Noir » de Toh Imago sorti chez inFiné, on tient un grand disque de musiques électroniques aventureuses.
Si l’album hautement conseillé du jour est composé par des machines électroniques, son histoire est aussi celle du nord de la France et ses mines. Produit par Toh Imago, artiste signé par le passé sur inFiné sous le nom de Gordon, il est un rappel nécessaire des racines industrielles du courant techno.
Mais avant de parler de musique, parlons de la vie. Car le disque que l’on évoque ici peut être écouté à la lumière d’une tragédie familiale. En effet, seconde moitié du XXème siècle, le grand-père de l’artiste est contremaître dans une cokerie, aux Houillères du Nord-Pas-de-Calais. Mineur disait-on. Dans les années 70, il est victime d’une explosion. Certains de ses compagnons sont tués. Il est accusé puis jugé coupable de la catastrophe. Ça n’est que quelques années avant sa mort qu’il confiera cette histoire à son petit fils, bouleversé. C’est aussi à la lecture du livre (tout aussi familial) Le jour d’avant de Sorj Chalandon (Mon traître, Le Quatrième mur, etc) sur les mineurs du nord que le producteur ch’ti décide de se lancer dans l’aventure de son disque à l’odeur de souffre.
À travers Nord Noir de Toh Imago, on se plonge dans la poussière du nord de la France. Quand elle n’est pas jouée à l’aide de synthés, type Korg Monopoly, ou boîtes à rythmes, la musique puisse sa matière sonore directement dans des enregistrements du musée de la mine de Lewarde, ancien charbonnage du Bassin minier du Nord-Pas-de-Calais. Ainsi de l’interlude « Extraction 2 » qui retranscrit bien l’environnement bruyant de la mine, ou de « Vaine Bataille » dans lequel l’artiste évoque le combat communiste gagné pour la nationalisation des mines et le pouvoir aux ouvriers, avant l’humiliation du plan Marshall annulant les décennies de lutte.
Si l’album-concept (comme qu’ils disent dans l’industrie) s’écoute d’une traite, au casque, et provoque à chaque coup un plaisir introspectif non dissimulé (essayez-le), il peut être de bon ton de vous donner un ou deux tips sur les morceaux. « Final Silence », par exemple, est un field recording dans lequel les chants des oiseaux sont remplacés progressivement par l’arrivée de la machine ; « Nord Noir » évoque les nappes de poussière recouvrant tout sur son passage jusqu’aux meubles de jardin ; « La Napoue », du nom du château ouvert en 1947 aux mineurs et leurs familles pour leurs vacances, ses sons de vagues et de mouettes ; « Décadente Cadence » souligne le travail acharné, façon kick snare, accompli par les travailleurs sous-payés ; « Sainte Barbe » est la sainte patronne de mineurs, et jour de (grosse) fête dans le nord (4 décembre) ; « Schiste Pyramide » est une ode aux terrils, aujourd’hui totalement intégrés dans le paysage ; le titre « Vertical cheval » est choisi pour nous apprendre qu’afin de descendre les chevaux dans la mine, il fallait les mettre en position debout ; et enfin « Galerie Boiseée » fait revivre le bois craquant et rassurant des sous-sols, véritable protection contre les éboulements.
Outre un album de techno, il est surtout un disque de musique électronique moderne, dans le sens où l’on s’éloigne tellement souvent du 4/4 qui a fait ses grandes heures que l’on n’est même plus sûr que ce soit effectivement de la techno. Moderne ne voulant pas forcément faire un gros doigt d’honneur au passé (saletés de djeuns), Toh Imago joue sur l’analogique et notre histoire industrielle pour donner du sens à une musique sans paroles. Si le devoir de mémoire est rempli, on découvre un disque sensible, parti d’un coup de sang. Une spontanéité qui tient du coup de fouet. Cela devrait être ça, la vie, ou le travail, non ? Créer avec passion, lorsque l’émotion nous ayant traversé ne nous laisse d’autre choix que d’agir.
Nord Noir de Toh Imago est sorti chez inFiné le 18 octobre 2019. Vous pouvez l’écouter en intégralité sur Bandcamp.
Photo en une : Toh Imago, par Marine Keller
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