À 61 ans, toujours vivante… Si l’image de la Vème République, et donc de la démocratie française, a pris un sérieux coup dans les mentalités générales, essayons de voir si, au niveau local, celle-ci peut avoir un sens dans nos vies. Je prends ici l’exemple de Creil, ou comment ses maires, sa direction de la culture et ses travailleurs sociaux do it yourself ont hissé la ville moyenne de l’Oise dans les beaux papiers de l’avant-garde créative musicale. Et ainsi créé une nouvelle histoire commune.
Petite histoire non-illustrée des maires de Creil
Creil est un bastion socialiste. La mairie est à gauche depuis pile poil de 100 ans, back to 1919. Et si la famille socialiste n’a plus le même éclat que celui de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) du début du 20ème siècle, force est de constater sans trop se mouiller qu’au niveau local, les divergences gauche-droite peuvent être énormes, concernant les politiques culturelles et sociales. Un petit rappel des faits avec notre article post-élections municipales en 2014 ne sera pas de trop d’ailleurs – pour ne pas tomber dans des déductions trop faciles. Et à y voir l’évacuation infâme du lieu culturel Mains d’Oeuvres à Saint-Ouen début octobre 2019, il est à parier que la droite française n’a pas prévu de promouvoir les cultures aventureuses. Plutôt utiliser la bonne vieille méthode, qui a fait ses preuves, de la mise sous-scellés.
Petit cours d’histoire locale avant de parler de musique. C’est au lendemain de la Première Guerre mondiale, que Creil vit son premier tournant. Victoire de l’avocat d’affaires – oui, oui – Jules Uhry qui devient maire sous le drapeau de la SFIO et ce jusqu’à sa mort en 1936. Et si la culture n’est pas vraiment le cheval de bataille du baron socialiste, plutôt tourné vers le logement et la modernisation des services municipaux (quand il n’est pas occupé à ironiser ouvertement sur les origines juives de Georges Mandel – dans un pur style IIIème République), il reste l’un des hommes politiques les plus connus de la ville, ayant donné son nom à une rue ainsi qu’au lycée de Creil. Puis, s’enchaîneront deux maires SFIO : Jean Biondi connu entre autres pour avoir refusé les plein pouvoirs à Pétain en 1940 (arrêté) ; et remplacé en 1943 par le résistant Gabriel Havez. En 1963, c’est au tour d’Antoine Chanut de prendre les rennes de la ville, qui passera pour la première fois sous l’étiquette PS, à sa création en 1969, avec d’ailleurs une alliance centriste qu’il n’aimait pas trop qu’on lui rappelle. « J’ai tenu sans la droite et sans les communistes », déclare-t-il, en ajoutant qu’il a géré « social et moderne ». La sincérité et l’humilité en politique, c’est inné.
En octobre 1979, il laisse la place à un dénommé Jean Anciant à la tête de la ville et sonne le tournant culturel de la ville, allant l’installer durablement comme un modèle d’inventivité.
« De toute façon vous êtes marginaux, mais vous faites du bon travail » Jean Anciant
Ce bon vieux Jean Anciant
Je suis né à Creil, et y ai vécu 15 ans. Je me souviens que, dans ma rue, résidait un retraité haut dignitaire socialiste, qui a notamment bossé dans le cabinet de Lionel Jospin. Les anciens rendent régulièrement hommage à ce type, Jean Anciant, qui aurait parié sur la culture au moment où ça avait plutôt l’habitude d’en toucher une sans faire bouger l’autre en conseil municipal. Dans sa nécro publiée sur le site du PS, on peut notamment y lire : « Il demeurera une figure importante du socialisme municipal. » Quoi que veuille dire ce terme (peut-être uniquement posé là parce qu’il cochait les cases PS + maire), on ne peut s’empêcher d’y voir une patte particulière. Une façon de faire de la gauche locale. De là à dire qu’une nécro possède ce quelque chose de poétique, il n’y a qu’un pas.
Né en 1934 dans la Marne, cet enseignant de profession entre au conseil municipal en 1965. En 1977, il devient premier adjoint d’Antoine Chanut (CF la partie précédente. NB : vous suivez toujours ?). Élu maire à sa suite, il cumulera également – selon la belle tradition française du grand chelem – la présidence du district urbain de l’agglomération creilloise, jusqu’en juillet 1995. Adolescent, mon père me répète souvent cette phrase : « Tout le monde se foutait de sa gueule à l’époque, à coups de ‘Un lieu culturel ? Ahah’ mais il a tenu. » Car Jean Anciant, c’est le monsieur de La Faïencerie. C’est à lui que l’on doit cet immense lieu culturel, la principale scène conventionnée de Picardie, et tout ce qu’implique l’installation d’une médiathèque ou de salles de spectacle en terme d’accessibilité à la culture.
Jean Anciant c’est aussi monsieur Grange à Musique (GAM), la toute première scène de musiques actuelles (SMAC) de la région. Lors de mon retour à Creil, je me suis d’ailleurs arrêté chez le directeur de la culture de Creil, Jacky Hamel, qui est le premier directeur de la salle de concert. Il me rappelle cette époque. « Je suis arrivé à Creil sur la création de la salle. Il y avait ce projet de la GAM en 1986 dans le cadre des réhabilitations des quartiers qui à l’époque s’appelait DSQ pour développement social des quartiers, ou je sais plus le nom, ça a tellement changé. Dans ce cadre-là il y avait des financements sur des actions culturelles et le maire de l’époque Jean Anciant avait cette idée de créer un lieu autour de la musique mais sans trop savoir quoi d’autant que ça n’existait pas sur la région. » Pendant un an, le lieu est rattaché au centre social Georges Brassens. Puis après moultes rencontres avec des associations et des musiciens, Jacky se rend compte que la volonté d’avoir des locaux de répétition ressort des débats. La question de la diffusion de concerts ne se pose toujours pas, d’ailleurs. Mais elle arrivera bien assez tôt avec l’érection d’un lieu de spectacles de musiques actuelles.
Ça ne paraît rien, mais Creil est alors en train de créer l’une des premières salles de musiques actuelles de France. Pourquoi ici et pas ailleurs ? Le directeur de la culture a sa petite idée : « On avait les élus qui étaient dedans. Jean Anciant défendait beaucoup la culture. C’était quelqu’un qui faisait confiance aux personnes. Je me souviens qu’une fois il m’a dit : « De toute façon vous êtes marginaux, mais vous faites du bon travail. » C’était pas simple de défendre, avant les années 90, un lieu de rock, des soirées des fois un peu chaudes – dans le bon sens. »
Creil, pionnière des musiques actuelles en France
Pourtant pas de phénomène de violence à la GAM, et les avertissements de la sphère réac restent minoritaires au vu de la bonne réception de l’implantation des lieux culturels, et du rayonnement qu’ils offrent à la ville. « Quand on faisait un groupe gothique, on avait des jeunes bien déguisés qui arrivaient, quand on faisait des concerts hip-hop, on avait un certain public, pareil pour le metal. Aujourd’hui, plus personne n’y fait attention. Le fait que ça se passait bien vient notamment du fait que les parents et les élus acceptaient. Et pourquoi ? Parce que leurs enfants, qui avaient 16 – 25 ans, venaient chez nous. Ils s’apercevaient que ça se passait très bien. On a eu un soutien politique fort sur Creil. »
Comme un bon article traitant de politique ne serait pas complet sans sa dose de condamnation, en octobre 1995, Jean Anciant est mis en examen pour détournements de fonds publics de l’Office HLM du bassin creillois « Oise habitat » qu’il préside. Sa condamnation le 17 février 2000 à 8 mois de prison avec sursis, puis la requalification de son jugement en détournement de fonds publics entacheront une carrière politique au service des gens… et un peu à son propre service. « Ben oui, quitte à être l’un des boulons de la Vème République, autant en profiter » aurait pu dire Cahuzac. Bon. Quand Jean Anciant décède en 2017, il ne le sait peut-être pas, mais il laisse un héritage de jeunes folkeux, de punks, de fans de soundsystems reggae et de puristes du rap français.
Le soutien des politiques locales a ici joué un rôle énorme, mais elles n’étaient pas les seules. Concours de circonstance, à l’arrivée de Mitterand en 1991 et de Jack Lang, il y a une volonté politique de financements dans les quartiers. Lang crée alors le premier dispositif de Bruno Lion alias « Monsieur Rock » de financement des musiques actuelles. Thomas Hennebique, l’actuel chargé de communication de la GAM, m’expose le contexte de l’époque : « À cette époque Jack Lang a débarqué en voulant développer la pratique du rock. Ça faisait partie des premières salles dans cette lignée là, qui sont devenues des SMAC après. » Jacky Hamel complète les dires de son confrère : « On est tombé au bon moment, tout comme la Clef à Saint-Germain, l’ASCA à Beauvais ou la Lune des Pirates à Amiens. En France, le Florida à Agen a été l’une des premières structures qui était réfléchie en construction complètement autour des musiques actuelles, par Philippe Berthelot, son premier directeur. Alors que la GAM, le lieu existait, et le projet s’est construit après. Berthelot est au Ministère de la Culture maintenant. On est une génération de gens qui ont commencé à ce moment-là qui sont devenus responsables de grandes SMAC, direction de la culture départementales, région. »
Les maires suivants : tout aussi punks ?
Pascal Gosselin est le directeur du centre social Georges Brassens. Tous les ans en juillet, il organise – en lien avec la ville – l’action « Rouher quartier d’été » qui vise à rendre le quartier du plateau de Creil touristique. Il en est persuadé : « Il y a des belles choses qui sont sur Creil, entre autres grâce aux associations mais aussi aux structures municipales. » Et ça, on le doit, certes à Jean Anciant, mais – selon les dires de tous les cultureux de l’agglo – au soutien des deux maires PS suivants : Christian Grimbert, puis Jean-Claude Villemain.
Jacky Hamel, de son côté, a vu passer les trois depuis qu’il est actif dans la culture à Creil. Lorsqu’on lui demande si la municipalité a fait confiance à des zozios qui ne jurent que par les grosses guitares, les flows saccadés et le sacro-saint kick de batterie, il nous l’affirme : « Oui. De fait, les travaux de la nouvelle Grange à Musique ont été faits sous mandat de Christian Grimbert et pour que la GAM repasse sous la direction de la ville, ça a été fait sous le mandat de Jean-Claude Villemain, qui donne encore plus de moyens à la musique. Ça a été une évolution constante de la structure, je pense aussi parce qu’il y a une reconnaissance du lieu sur la ville. Je suis à la direction de la culture depuis 2009, ça a plutôt augmenté en terme budgétaire et en terme d’actions. Ça a permis d’avoir d’autres financements et d’autres partenaires sur la région et de développer nos actions. »
Pour vous donner une idée de l’engagement sauce creilloise, il faut voir le dernier gros combat de l’actuel maire Jean-Claude Villemain. Lorsqu’en avril 2019, la seule maternité de Creil ferme, il est de toutes les batailles. Déplacée à Senlis, ville bourgeoise où il n’y a pas de gare, ce désastre laisse un bassin de 100000 habitants esseulés, et où le privé n’aura jamais l’idée de débarquer : trop de pauvres. Il s’est battu pendant un an auprès du personnel hospitalier. Mais rien n’a pu être récupéré.
Dans la bio en ligne de Villemain, on peut lire cette citation : « En quittant le lycée Gournay de Creil, je me suis aperçu que l’école buissonnière dans les rues du quartier Rouher ne délivrait pas de diplôme mais apportait beaucoup d’enseignements et d’expériences en matière de relations humaines et de connaissance de la vie ». Les boutades à Creil, on y croit. En même temps, ils peuvent rire les socialistes creillois au pouvoir local depuis un siècle. Mais attention tout de même. Aux Européennes en 2019, 26% des habitants ont donné leur voix pour le Rassemblement National, devant tous les autres partis. Gloups.
« Les collègues directeurs de la culture d’autres communes viennent voir ce qui se passe à Creil. Nous, on est souvent obligés d’inventer parce qu’on va toucher des publics plus difficiles. Dans les réseaux professionnels, Creil est vécue comme une ville positive. » Jacky Hamel
Creil : avant-garde des dispositifs musicaux
Creil a une situation géographique particulière. Sa proximité avec la capitale lui vaut souvent la comparaison de « banlieue parisienne ». Ce serait oublier tout ce qui s’y passe. Creil joue des coudes pour se faire une place et on lui donne rarement les meilleures cartes. Selon les us et coutumes du 13h de TF1, on nous fait comprendre qu’elle n’a aucune chance de rivaliser avec ses voisines, les très bourgeoises Senlis, Chantilly et Compiègne. La question que je pose donc est la suivante : a-t-on envie de rivaliser avec des villes culturelles mornes quand on est le bouillonnement incarné ?
Ambre Cassini, l’actuelle directrice du centre d’arts l’Espace Matisse, se confesse : « Quand je vais en formation et que je rencontre des agents d’autres collectivités, à chaque fois, ils me disent « Creil, argg !!! » Ensuite, lorsque je leur raconte mon quotidien, on se rend compte que le mien est plus facile que le leur. Ici on a une autonomie et une confiance de nos supérieurs hiérarchiques. Et en plus avec une histoire pleine de contrastes. On se dit que nous aussi on peut appeler à notre définition de Creil, casser ces angles morts et négatifs. » Avec un directeur de la culture qui connaît sa ville par cœur et des maires en soutien, la ville peut lever le menton. Elle n’a pas le Château de Chantilly ? Les notaires lui préfèrent Senlis ? Les cabinets d’avocats, Compiègne ? Les subventions leur reviennent sans discontinuer ? Dur. Mais Creil semble crier son amour des cultures vivantes, présentes et futures, en ouvrant les yeux sur son passé. La garde médiévale aux alentours semble tellement moins sensuelle. Elle gagnerait pourtant à s’asseoir et écouter les histoires des conteuses et conteurs de Creil.
Parmi les projets passionnants accompagnés par la ville, un projet s’y détache notamment : le C4. Chorale d’enfants et d’adolescents, elle étonne par le talent créatif de ses choristes, mais aussi par son fonctionnement assez spécial. Résultat d’un module scolaire, il a fallu beaucoup de temps pour que le C4 se mette en place. S’il a pu voir le jour, c’est grâce à un partenariat entre le conservatoire, l’éducation nationale et la ville de Creil. L’idée : monter des dispositifs qui permettaient à des ados de se dégager deux demi-journées par semaine sur leur temps de classe, de la 6e à la 3e. Jacky Hamel se souvient : « Ça a été très dur à expliquer à l’Education nationale et aux parents que leur enfant allait avoir deux demi-journées de cours en moins dans une semaine pour… chanter. Maintenant, c’est rentré dans les mœurs. » Aujourd’hui, le C4 se hisse à l’occasion hors des frontières de Creil, tourne, fait parler de lui dans la presse. Si des communes nous écoutent, voilà un dispositif pour lequel se battre, n’est-il pas ?
C’est quoi un patrimoine déjà ?
Que le C4 fonctionne, qu’il se détache, qu’il soit même entré dans les consciences collectives, voilà une chose dont les Creillois peuvent être fiers. Il peut être compliqué de parier le rayonnement de sa ville par le chant, OK. Mais cette belle perf peut nous apprendre à considérer la musique comme un paramètre qui compte dans le patrimoine local.
Et qu’est-ce donc qu’un patrimoine culturel sinon une histoire qui lie les gens ? Une majorité de Creillois vous parlera, émerveillée, de la fois où la ville a fait venir Manu Chao sur l’Ile Saint-Maurice. C’était en 2011, et l’auteur du « Clandestino » fait sa date unique en France. 15000 personnes se déplacent sur le bout de terre entouré d’eau, situé sur le bas de Creil. Lorsqu’on demande aux habitants de revenir sur ce moment historique, on a un peu de tout. Sur place « la bière est fraiche » et « il y a plein de petites scènes », en plus « toutes les assos sont présentes » et « les gens couchaient partout aux alentours la veille du concert ». Surtout « pas une embrouille ».
Il y a aussi la compagnie de cirque XY que nombre d’habitants ont accueilli, l’air amusé. À son arrivée sur le quartier du Moulin en 2018, le collectif fait de la voltige, et travaille avec les habitants qui sont partants pour le porté. À un moment, ils sont sur les tours à faire des acrobaties. Jacky Hamel en est sûr : « Nos vraies réussites sont ces moments où les artistes créent des mémoires dans la ville. » Avec l’équipe de la Grange à Musique (GAM), à l’occasion des 20 ans de la salle, il a travaillé sur les concerts qui ont marqué les gens. Les témoignages récupérés servent à ce patrimoine.
De son côté, Pascal Gosselin fait le parallèle avec le centre social dont il s’occupe sur le plateau de Creil : « J’estime que le plus important, c’est pas tellement l’activité. C’est ce qui s’y passe avant et après. Le moment où les gens vont se rencontrer dans nos couloirs, dans notre hall, ils vont échanger. C’est à nous de faire vivre ces espaces informels pour que les gens aient envie d’aller plus loin que leur activité. La finalité c’est de rendre les gens acteurs de leur vie, du quartier, de leur ville. D’être de vrais citoyens sociaux sur la ville. » À l’inverse de l’identité, statique et réductrice, le patrimoine est agité et évolutif. Construisons le, bordel.
Comme je disais, ce n’est sans doute rien, mais si tu connais un peu Creil tu sais que ça ne pouvait que soulever quelques interrogations …
Et tu n’as pas tort sur l’équilibre médiatique, si ce n’est quelques rares exceptions de la presse locale, d’où ma conclusion !
C’est sympa cette petite série d’article, mais ça dénote tout de même d’un certain angélisme et d’une méconnaissance certaine du Creil d’aujourd’hui. Comme le passage sur le combat de la maternité ou les quelques propos sur les maires de la ville….
Aussi gênant que l’auteur, qui apparemment est le fils d’un ancien élu ou d’une personnalité de la ville, cache son nom de famille. Peut-être rien, mais cela incite au doute.
Enfin, on parle de Creil en positif, ne boudons pas trop notre plaisir.
Bonjour Jean, merci de ton commentaire.
Je ne suis le fils d’aucun élu et mon nom est Bourceau. Si je ne le mets pas c’est parce que je fais partie d’un collectif et qu’on a l’habitude de ne pas se mettre en avant. A la place d’angélisme, je préférerais le mot candeur, mais tu dis bien ce que tu veux. Il est évident que je suis subjectif et que je mets l’accent sur les bons côtés de Creil. Je considère que ça équilibre la balance habituelle du traitement creillois. Mais à aucun moment je dis que ces politiques résolvent tous les problèmes, loin de là.