Il y a un an sortait « Nothing Feels Natural », premier album de Priests dévoilé sur son propre label. S’en sont suivies des critiques dithyrambiques, notamment de la part de Pitchfork, un passage au SXSW à Austin et au Primavera de Barcelone. D’habitude, ça suffit largement pour devenir le nouveau groupe dont tout le monde parle. Et là… non. Mais, en même temps, quoi de plus naturel pour un groupe qui trace son chemin et n’en fait qu’à sa tête ? Chronique tardive (mais chronique quand même).
S’il y a un billet à mettre sur le groupe qui deviendra la révélation des prochains festivals de l’été, on peut aisément le mettre sur Priests, deux filles et deux garçons de Washington DC. On peut également parier que plus on entendra parler du groupe, plus les références au mouvement riot grrl vont foisonner. Les premières productions de Priests laissaient certes penser qu’ils étaient les héritières et héritiers de ce mouvement éphémère, mais cet album a montré une vraie volonté de s’en détacher aussi bien sur la forme que sur le fond.
Nés sur les cendres du punk hardcore et les prémices du grunge, le riot grrrl a été plus marquant pour son message que sa musique. A l’inverse, les Priests démontrent qu’ils sont de véritables musiciens. Dès le début de l’album, on trouve des influences jazzy sur « Appropriate », surf rock sur « Jj », « Lelia 20 » sonne comme la coldwave de The Cure époque Seventeen seconds, « Suck » a la rythmique chaloupée et la construction évolutive d’un Talking Heads ou dans un autre genre LCD Soundsystem ; l’ensemble étant, par ailleurs, parsemé de pastilles pop permettant d’adoucir la noirceur des morceaux tout en les complexifiant. La bande de Washington DC ose même avec habilité une interlude façon orchestre de chambre avant de balancer leur tube post-punk « Nothings Feels Natural ».
De plus, si sur les premières productions du groupe, Katie Alice Greer se cantonnait à haranguer l’auditeur, elle est devenue une vraie interprète qui s’approprie les textes. Sur « Jj » on sent son ressentiment et sa colère d’avoir perdu son temps avec un mec (surtout quand elle lâche « I wrote a bunch of songs for you / But you never knew and you never deserved them »). Sur « Nicki », la voix est froide, quasiment mécanique quand elle parle de la carapace qu’elle s’est créée, une carapace tellement épaisse et élaborée que ça en est devenue une ville. La vulnérabilité des premiers couplets de « Leila 20 » laisse place non pas à l’espoir mais à la nécessaire conviction qu’il faut tourner la page, en répétant comme un mantra « I will ». Sur « Suck », on ressent la lassitude de celle qui doit s’excuser parce qu’elle se met en colère. Enfin, sur le parfait « Nothings Feels Natural », les premières phrases « Perhaps I will change into something/ Swing wildly the otherway » jaillissent lumineusement avant que les paroles et la voix s’assombrissent, car la volonté ne fait pas tout, il faut résister à l’impatience et tenter sans garantie de réussite, sans salut possible. Greer varient les intonations, les couleurs vocales et les techniques, allant même jusqu’à déclamer façon spoken word ses inquiétudes sur la notion des progrès et des changements que cela entraîne sur l’esprit humain dans « No Big Bang ».
Sur le fond, Priests prône moins l’émancipation des femmes que l’émancipation de tout individu qui n’a pas une position privilégiée dans la société. Ils livrent une sorte de variante désabusée de the american dream : si l’individualisme est prôné par tous comme la valeur-reine, alors je m’en sortirai par moi-même, sans l’aide de personne ; pas question de se soumettre ou de se vendre à qui que ce soit, encore moins aux dominants. Et si l’union fait la force pour Priests, c’est uniquement au sein du groupe, où il n’y a pas de leader affiché et où les décisions sont collégiales. Ainsi, créer son propre label, réenregistrer les morceaux pour qu’ils sonnent exactement comme souhaité, ne laisser personne s’ingérer dans ses affaires avant d’être sûrs du chemin à prendre ont été des évidences pour le groupe. Un DIY pragmatique mais pas dogmatique comme l’étaient les scènes punk hardcore ou riot grrrl. A l’époque, le DIY était un mode de vie à part entière, une vraie rupture par rapport au néolibéralisme et au culte de l’argent des années Reagan et Bush père. Aujourd’hui Priests semble dire que le DIY est un choix contraint, un moyen d’exister en restant indépendant mais que vivre de sa musique n’est ni un tabou, ni un pêché.
« Keep your copper keep your pearls I’m the stubbornest girl in the world/You’ll never drive a harder bargain than me » clame Greer sur « Nicki ». Pour l’instant, cet entêtement et cette indépendance leur a clairement donné raison.
https://www.youtube.com/watch?v=_PISymRFlY8
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