Polar Inertia est un projet pluridisciplinaire discret. Sans tomber dans la parano de l’anonymat, il propose une musique électronique, une réflexion sur la modernité, une photographie d’un monde à l’arrêt. Il donne à notre monde pourri une beauté palpable et questionne la lenteur, caché dans un épais brouillard. Ici, brouiller les pistes n’a jamais autant remis les idées en place.
Avec son premier EP de deep techno plus-profonde-tu-meurs nommé Indirect Light (2011) et son deuxième aussi mental que taillé pour le club The Last Vehicle (2012), Polar Inertia (aka π) commence une série de disques correspondant aux chapitres d’un essai de science moderne. Rien que ça.
Le bouquin Inertie polaire, publié en 1999 par l’urbaniste et essayiste français Paul Virilio aux Editions Christian Bourgois, trouve un écho chez la garde française d’une musique résolument moderne, brute et dont l’apparence statique n’est que le voile d’une multitude de subtilités. Drexciya n’est pas loin. Le troisième EP Kinematic Optics vient de sortir et on vous l’a mis en écoute tout en bas de l’article.
Chapitres de Polar Inertia, (Paul Virilio)
(aka la tracklist du bouquin)
Indirect Light
The Last Vehicle
Kinematic Optics
Environment Control
Polar Inertia
L’inertie polaire
Le concept d’inertie est actualisé. Selon Paul Virilio, l’inertie est dans notre société moderne « l’horizon prioritaire de l’activité humaine. Ce qui paraissait jusqu’à présent le signe du handicap et de l’infirmité – l’incapacité à se mouvoir pour agir – devient symbole de progrès et de maîtrise du milieu. »
Le progrès amènerait donc l’homme à la conservation de ses acquis plutôt que l’action. Le plaisir de ne pas bouger son cul de sa chaise. Avec Internet, la facilité de déplacement d’un bout à l’autre du globe et les télécommunications érigés en signe de confort et d’évolution ultime.
Tout serait donc fait pour que le monde arrive à un point d’équilibre. Ce point d’équilibre, nos producteurs techno à l’origine du projet le transposent à un niveau artistique. Pour eux, l’inertie polaire correspond à « un contre-mouvement, exercé par plusieurs artistes, musiciens et penseurs rassemblés autour d’une esthétique commune. » (source : Delighted).
Pour ceux que ça intéresse, en science, l’inertie polaire correspond au moment où l’inertie de surface est prise par rapport à un point… D’accord, faisons comme ça.
Trêve de branlette intellectuelle,
Place à la musique, bordel
Polar Inertia, à l’instar d’Arandel (interview du 02/12/14), est un projet quasi-anonyme et polymorphe, mené dans différents domaines : des textes, des travaux photos, des œuvres plastiques, des vidéos et des performances live mouvantes avec les années, les concerts, les lieux. On sait que les Français Luc et Lionel, mieux connus sous les pseudos Voiski et Ductile pratiquent les lives du projet, pourtant rien n’est moins sûr pour le reste (vidéo à l’appui à l’édition 2013 du Weather Festival).
Si on vous impose cette petite teuf cérébrale, c’est parce qu’on célèbre ce mois-ci la sortie du double-EP Kinematic Optics. Le jeune label Dement3d (DSCRD, François X, etc) qui signe cette merveille régale une fois de plus et crée un son radical que les labels raster-noton (Byetone, Wolfgang Voigt, Kangding Ray, etc) ou L.I.E.S. (la maison de Ron Morelli) ne renieraient pas. Dement3d dont certains n’hésitent pas à comparer à ce qui se fait de mieux en France et donner à Polar Inertia le titre de meilleur projet techno sur nos terres.
Pour info, les 540 copies vinyl de Kinematic Optics se sont vendues comme des petits pains, faisant du disque la vente la plus rapide de l’histoire du label. La vente reste ouverte en digital, en format compressé sans perte FLAC. Les derniers vinyls disponibles sont en vente sur Discogs et suivent la logique de marché du site : plus c’est rare, plus c’est cher.
Fast-chronique
Disque 1. Avec ses noms de morceaux à faire pâlir la faucheuse, l’apparente stabilité du paysage aride illustré par les quatre morceaux ne se laisse déranger que par les apparitions de feu follets flippants. Ici, les remous de lave cohabitent avec le tranchant de la glace (prends en de la graine, Anders Celsius !). Pourtant, la beauté est partout, cachée derrière les récifs, elle prend la forme de basses énergisantes, d’un souffle vital dans un monde figé.
Disque 2. Votre pause est méritée. Avec ce que vous venez de subir, la pièce en deux parties « Can We See Well Enough To Move On ? » donne dans la partie sombre de l’ambient et flirte avec le bruit blanc de l’eau. Vous avez gagné en naïveté. Vos jambes sont légères. Vous respirez à nouveau. Vous êtes une autre personne.
Kinematic Optics EP
Tracklist
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