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Pierre Henry, personnage électro caustique

Père fondateur de la musique électro-acoustique – et aux côtés de Pierre Schaeffer pour la musique concrète -, Pierre Henry himself se produira derrière ses machines à la Gaîté Lyrique lors du Marathon Festival le 13 novembre 2015. Il y interprétera « Pierres Réfléchies » (1982) et pour la première fois « Études Transcendantes Pour Un Piano Imaginaire ». L’occasion rêvée pour nous de revenir sur quelques œuvres de la carrière de ce monument qui, à 87 ans, a visiblement des choses à raconter. C’est le moment papy bricoleur.

Oeuvre 1 :

Messe Pour le Temps Présent (1967)

un extrait contenant son tube, « Psyché Rock » (adapté plus tard dans le générique de la série Futurama)

C’est un fait, l’inclassable Pierre Henry est un musicien de formation classique. A dix ans, il entre au Conservatoire de Paris via le piano, les percussions, et l’écriture. Mais le petit Pierre, bien qu’influencé par cette période indéniablement formatrice pour lui, évoluera vers une conception… radicalement différente de la musique et de l’écriture. La Messe Pour le Temps Présent, à l’origine composée pour un ballet, est le fruit d’une collaboration avec le compositeur Michel Colombier et le chorégraphe Maurice Béjart. Elle est une synthèse de sons purement électroniques et de rock psychédélique pour un ensemble électro-acoustique (sans vouloir faire un trop grand raccourci). Une magnifique introduction au genre.

Sentir, percevoir, et surtout communiquer. La biographe Anne Rey donne pour Arte un élément de compréhension de la démarche de Pierrot le fou : « Une enfance passée à la campagne lui laisse des souvenirs indélébiles de sons élémentaires – l’orage, le vent, le train, les animaux – liés à des activités physiques libres et ludiques ». Il cherche donc à évoquer images et sensations, transmettre souvenirs et émotions. Voilà pourquoi ce documentaliste de la musique utilise tant le lexique du langage quand il parle de sa musique : le « dictionnaire », les « boîtes » contenant les « mots » classés, archivés, puis transformés, accélérés, amplifiés, collés, pour obtenir un morceau. Bref, une histoire structurée.

Oeuvre 2 :

Fragments pour Artaud (1970)

Pierre Henry a puisé dans les écrits d’Antonin Artaud, faisant référence aux visions et aux hallus de l’écrivain. Les grands esprits (consommateurs de champi) se rencontrent donc. Composée en 1970, elle donne un bel exemple de son travail : repousser les limites du timbre et créer des rythmes à partir de ce qui n’en sont pas. Pierre Henry élargit toujours plus le rôle du compositeur en devenant un véritable ingénieur dans son studio-laboratoire. Là-bas, il s’amuse à traiter des sons primaires pour que les ondes deviennent des objets malléables et concrets selon les envies du compositeur.

« Pour la Sacem, je suis un compositeur de musique symphonique. Et de fait j’utilise mes sons comme des instruments, j’ai un orchestre dans la tête », déclarait Pierre Henry dans une interview pour l’AFP.

Cela renvoie aux débuts de la musique concrète, avec Pierre Schaeffer (1910 – 1995) et ses premières découvertes. C’est un jeune homme, plongé dans les années 30, avec probablement quelques problèmes à socialiser avec ses compatriotes, qui se passionne pour son disque rayé dont le son se répète indéfiniment. Ce « sillon fermé » marque le début de la boucle et la reconnaissance d’une forme d’hypnotisme. Quand il ne fait pas de boucles, il découpe aussi le son des cloche. En retenant seulement la fin, il obtient une sorte de nappe, assimilable au son d’un hautbois, par exemple. En proposant d’extirper un son de son contexte, il en fait un objet nouveau. Une note. C’est sa fameuse « cloche coupée ».

Oeuvre 3 :

Spooky Tooth et Pierre Henry – Prayer (1970)

En 1970, Pierre Henry présente à l’Olympia une version revisitée de l’album Ceremony du groupe anglais Spooky Tooth. La question est alors de comprendre son rapport aux autres genres de musiques. On constate qu’il ne rechigne pas à se servir de musiques existantes, comme ici avec la pop, ou bien des musiques orchestrales. Mais aussi d’autres branches de la musique électronique, comme la techno. Nombre de producteurs revendiquent l’héritage des techniques de l’électroacoustique dans leurs créations. Citons seulement le « loop » obtenu par Pierre Schaeffer ou encore l’utilisation prémonitoire des premiers synthétiseurs.

Pourtant, Pierre Henry tend à repousser ce qu’il appelle, non sans arrière-pensée, la « musique de danse ». Il dit à propos de la techno, dans une interview pour France Culture : « Elle manque à mon avis, de points de repère musicaux. Ça reste quelque chose de physiologique, et de décoratif. (…) Elle cherche des couleurs. Elle fait des déclinaisons. Voilà.».

Son optique et sa conception de la musique sont différentes. Il déclare vouloir « déconstruire la musique » afin de reconstruire cet art, selon des règles nouvelles. Ce qui, selon lui, a été fait pour la peinture notamment, et qui manque encore à la musique.

Oeuvre 4 :

Pierre Henry et Pierre Shaeffer –

Symphonie pour un homme seul

Pierre Schaeffer : « Lorsqu’en 1948, j’ai proposé le terme de musique concrète, j’entendais, par cet adjectif, marquer une inversion dans le sens du travail musical. Au lieu de noter des idées musicales par les symboles du solfège, et de confier la réalisation concrète à des instrumentistes connus, il s’agissait de recueillir le concret sonore, d’où qu‘il vienne, et d’en abstraire les valeurs musicales qu’il contenait en puissance. »

Voilà donc l’idée : distinguer une musique « théorique », qui existe sur papier, représentée par des notes et laissée à la libre interprétation du musicien, d’un « objet musical » qui existe déjà. C’est à dire, un son. Donc pour ces compositeurs, un extrait d’une symphonie de Mozart sera finalement une note, au même titre que le son d’une cloche, ou d’une porte qui grince, comma dans l’oeuvre Variations pour une porte et un soupir, composée par Pierre Henry en 1963. Car le but est d’isoler le son, le sortir de son contexte, et en faire un objet. Cet objet sera ensuite modifié par différents procédés physiques et électroniques.

Pierre Henry rejoindra Pierre Schaeffer à la fin des années 1940, dans les studios de la RTF, et de leur collaboration émergera en 1950 Symphonie pour un homme seul, le chef-d’oeuvre créateur de la musique concrète. On vous laisse devant la vidéo ci-dessus. Et non, personne n’est drogué.

Après 70 ans passés à déconstruire,

où en est Pierre Henry ?

Alors, à quoi peut-on s’attendre lors du Festival Marathon!, le 13 novembre 2015 à la Gaîté Lyrique, où il jouera « Pierres Réfléchies », ainsi que sa nouvelle création, « Etudes Transcendantales Pour un Piano Imaginaire ? »

Difficile de parler de la dernière, le bougre entretient le secret. Pourtant on s’interroge : quelles techniques compte-t-il utiliser, quels sons va-t-il triturer, se sera-t-il enfin rasé après tant d’années ? Impossible à dire.

Pour « Pierre Réfléchies », on connaît déjà l’oeuvre, tirée du recueil éponyme de Roger Caillois dans lequel, en gros, il cherche à décrire avec poésie la formation de minéraux. Misons sur une pièce minimaliste, mais aussi « anarchique et indisciplinée », d’après une interview de Jerome Noetinger. Il cherche en réalité à rappeler à l’auditeur, par la musique, l’empilement des strates minérales. En termes scientifiques, on parle d’ailleurs de… Concrétion ! Logique. Bien qu’anarchique et indiscipliné, le morceau n’est fondé que sur cinq sons joués respectivement par un basson, un hautbois, un tuba, une flûte et un contrebasson, et qui subiront le « traitement Henry » pour devenir une sorte de défilé électro-acoustique. Voilà, vous n’avez quasi rien pigé mais attendez-vous à un grand show auditif de textures et d’empilements sonores.

Retrouvez Pierre Henry le 13 novembre 2015 à la Gaité Lyrique, lors du Marathon Festival.

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