Bien avant MTV, le sida et les tracas de l’ère digitale, l’époque qu’il appelle « The New Dark Ages » (titre d’une chanson des Mutants), Jim Jocoy courrait les clubs underground assoiffé de scènes atypiques. D’un œil curieux, il a capturé sur du papier glacé 4 années de punk à San Francisco. Récit.
1976, Jim Jocoy fréquente l’université UC Santa Cruz. Sous le soleil indien de San Francisco, c’est tout un monde qui émerge. La scène punk explose, créant des foyers un peu partout au Royaume-Uni, à New York et en Californie. Un soir, il voit les Ramones sur scène, au Savoy Tivoli. Quelque chose se passe à cet instant-là, c’est le déclic. Une année est à peine passée qu’il lâche les cours. Ça ne correspond plus à son train de vie frénétique et nocturne, il prend donc un boulot lambda chez un imprimeur et profite de la nuit. Des nuits. Il lézarde de club en club, dans les antres du punk. Il se balade un appareil photo à la main qu’il tient devant lui, comme pour se donner une raison d’être là. Jim Jocoy est introverti, il n’est ni musicien ni même vraiment punk ou photographe.
De la scène punk locale, ses photos retransmettent l’esprit do it yourself, le chaos et la spontanéité du moment. C’était l’époque où le San Francisco était anti-hippie, anti-disco, anti-parents. On porte des masques en société. Du maquillage outrancier, des aisselles poilues, du jean troué, une cigarette toujours au clapet, beaucoup de cuir et d’alcool. L’attitude de la jeunesse qui fréquente les concerts est féroce, elle adule les crocs acérés des Cramps et d’autres groupes révolutionnaires. Tous veulent s’exprimer, innovent en ce sens. Il y a des artzines, des groupes et du bruit. Tout ça, Jocoy est là pour l’immortaliser. Des toilettes des strip-clubs en passant par les voitures, les clins d’oeil échangés et les langues passées sur les lèvres, il ne laisse rien passer, photographiant l’intime comme l’inaperçu. Devant son objectif : des inconnus ou Allen Ginsberg. Le fleuron du beat et du punk.
Tout ça, il s’en souvient très bien. Sid Vicious qui pissait en pleine rue en sortant d’un taxi, d’un accident de voiture ou des bleus sur les genoux d’une demoiselle. Ses photos, toujours d’actualité, font le même effet que lorsqu’il les regardait tout juste sorties de sa chambre noire, restées cloîtrées dans le fond d’une boîte, des années durant. Seuls les chanceux présents à la soirée d’anniversaire de William S.Burroughs, autre poète maudit de la Beat Generation (avec Ginsberg), avaient pu se délecter de la vue de ses clichés, l’instant d’une soirée.
Certaines d’entre ses photographies n’ont vu le jour qu’en 2012 lorsque Thurston Moore (ex-Sonic Youth) les a envoyées à l’éditeur Powerhouse Books. Il écrit même la préface de We’re Desperate qui exposait enfin le travail de ce photographe au monde. Cette étape a donné envie à Jim Jocoy de reprendre du service. Order Of Appearance est sur le chemin. Un autre livre, exposant le reste. Ce bouquin sortira officiellement au LA art Bookfair organisé par Printed Matter, une librairie new-yorkaise. En attendant tout ça, on vous invite à écouter « Nightclubbing » d’Iggy Pop. S’il y avait une bande-son aux quatre années qu’il a saisies, ce serait celle-là.
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