Assimiler des dates anniversaires à des souvenirs festifs constitue la norme. Heureusement ! D’autres, en revanche, laissent un goût amer. Dans la sphère footballistique, c’est le 5 mai 1992 et dix-huit morts liés à l’effondrement d’une tribune lors d’un Bastia-OM qui ont marqué la France. Dans l’univers musical, l’annonce du décès accidentel de Philippe Zdar le 19 juin 2019 résonne tel un grande vide pour les mélomanes du monde. Ode à ce producteur éclectique (Phoenix, Sébastien Tellier, Kanye West, Cat Power, Franz Ferdinand…), ingé-son, DJ et musicien qui sortait de son studio pour nous faire danser à travers le duo Cassius.
« Philippe Cerboneschi, dit « Zdar », membre du duo Cassius, pionnier de la French Touch de l’électro, est mort à l’âge de 52 ans dans la soirée du mercredi 19 juin, a annoncé son agent à l’Agence France-Presse (AFP). »
C’est quoi ce bordel ?!? Un an en arrière, je me réveille et découvre cette nouvelle sur mon fil Facebook. Commençons par les précisions qui s’imposent : contrairement aux raccourcis entendus ou lus avec une photo racoleuse dans certains médias, qui laisseraient penser que Zdar est mort défenestré défoncé dans une soirée, la chute a eu lieu au troisième étage de son appartement en journée (vers 17h40 pour être précis).
Putain, c’est quoi cette mort Philippe ? Tu méritais tellement de finir tel le Molière de la French touch (mais pas que !)… Comment tu aurais dû nous quitter ? Après avoir arrangé le prochain album de Phoenix ou de Kanye West dans ton studio Motorbass, tu dînais en famille, couchais les enfants, puis filais mixer dans un club parisien pour partager ce cinquième album de Cassius, loin des débuts de La Funk Mob trente ans plus tôt. Galette qui comme souvent oscillait entre titres peu accrocheurs et pépites.
Mais on s’en fout, car en compagnie de ton binôme Hubert Blanc-Francard (aka Boom Bass) vos compositions faisaient vibrer sans distinction Noirs et Blancs, prolos et nantis, influenceurs Insta (autrement dit, placeurs de produits) et néo-retraités ayant dansé lors de tes sets avec Boom Bass et Étienne de Crécy dans les free parties, etc. Bref, ça transpirait et souriait dans ta maison commune d’auteur-compositeur accolée à la house. Et là, bam, ton cœur lâchait en plein mix de l’hypnotique Chuffed au petit matin… Sauf que la grande faucheuse en a décidé autrement, tu n’auras pas eu le temps de défendre ta dernière création le jour de la Fête de la musique 2019 à cause de ce putain de garde-corps défaillant.
Vous avez remarqué que c’est souvent lorsque les personnes décèdent qu’on s’intéresse profondément à leur parcours ? Tu débutes donc ta carrière d’ingénieur du son dans les années 1980 auprès d’Étienne Daho ou Vanessa Paradis en épaulant des réalisateurs artistiques références. Réseau qui te permet de travailler sur les derniers albums de Gainsbourg, devenu Gainsbarre. Il devait y avoir du boulot, mais qui peut se targuer d’avoir collaboré avec un génie de cette trempe ? Le plus révélateur dans ton parcours d’homme de l’ombre, c’est que tu as aidé tout le monde : de Stéphanie de Monaco à Marc Lavoine avant de devenir cet ingé-son reconnu, notamment pour ton travail d’orfèvre avec un jeune rappeur du nom de Claude MC Solaar. On te doit, en coproduction avec Boom Bass et Jimmy Jay, Qui sème le vent récolte et Prose combat. « Bouge de là » restera dans le panthéon du rap français.
https://www.youtube.com/watch?v=J-cIbUg97KA
Au contact de ces huiles de réalisateurs, tu as assisté Dominique Blanc-Francard, qui a pour fils Sinclair et Boom Bass, devenu ton acolyte dans Cassius. Dans Le Monde, Hubert Blanc-Francard confiait : « Un jour, mon père me dit : “Tu devrais rencontrer mon assistant, il est complètement allumé”. On est tout de suite devenus potes. » Et moi, comme des dizaines de milliers d’ados de la France rurale rêvant des nuits parisiennes, vous nous avez fait kiffer dans la chambre de mon ami d’enfance dont le grand frère écoutait aussi Super Discount. Naturellement, on s’est alors penché sur 1999, comme 250 000 autres acheteurs de ce disque qui tournait en boucle dans sa platine hifi stéréo. A côté du premier album de tes amis de Daft Punk. « Around the world » collait parfaitement à votre mouvance les gars. A une certaine idée de la France.
Sans te connaître Philippe, à la lecture des témoignages posthumes des artistes que tu as valorisés, tu appartenais à ce pédigrée de mecs qui impose le respect. En fan inconditionnel de l’album Wolfang Amadeus Phoenix sorti en 2009, j’ai maté les documentaires annexes. T’entendre évoquer ta satisfaction en déposant ta fille sur le chemin de l’école à l’écoute de l’arrangement du single « Rome » est un beau moment. Il restera un bonheur auditif contagieux. La bande de Thomas Mars te doit beaucoup. Ta modestie n’avait d’égal que le travail acharné fourni auprès de musiciens de tous genres. Itou avec Sébastien Tellier, dont tu confiais que « La Ritournelle » est l’une de tes réussites ultimes. Oh que oui, garde en mémoire que cette boucle planante accompagne la vie d’une foule de mélomanes sur cette planète. Le barbu déjanté a posté une épitaphe numérique qui en dit long sur ton travail d’orfèvre.
Je vais m’arrêter là car tu as bossé avec tellement de gens talentueux… Promis, je vais te laisser faire danser les vers de terre et tes voisins du cimetière au son de mon titre préféré de ta discographie, caractéristique du melting-pot qui bouillonnait dans ton âme. Cat Power et Mathieu Chedid ont repris tout en candeur l’énergique « Toop Toop ». Car oui, tu resteras ce producteur exigeant à l’humanisme reconnu par celles et ceux qui le sollicitaient pour parfaire leur musique. Zdar, tu es à jamais le tsar de l’éveil des sens sonores pour bon nombre d’entre nous, distillateur d’arrangements rendant le monde plus tolérable face à la bêtise et la violence sociétale croissante. Dur dur de se dire qu’un garde-corps a eu raison de notre garde-fou au service de la musique.
Pour en savoir davantage sur le garçon, visionnez cette longue interview réalisée par Konbini, enregistrée deux jours avant sa disparition, dans laquelle Philippe Zdar revient sur sa carrière accompagné de Boom Bass. Ça ne s’invente pas, leur album Dreems allait sortir le jour de la Fête de la musique.
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