Avec l’orga hip hop la plus productive du grand ouest, on a déblayé des thématiques ô combien passionnantes. Défrichage artistique, popularisation du courant, grande industrie, médias mainstream, (dé)politisation, Hip Opsession ne nous dit pas tout, mais c’est déjà beaucoup. Sa prochaine édition a le chic de donner une carte Blanche à Hocus Pocus (avec C2C et Alltta) et d’inviter 13 Block, Georgio, Neg Marrons, Davodka, Demi Portion, Isha ou encore Dope Saint Jude, sur le site de Transfert aux portes de Nantes, les 11 et 12 octobre 2019.
Ça n’est plus un secret pour personne, Sourdoreille a déclaré sa flamme au festival hip hop pluridisciplinaire Hip Opsession en 2015. Découvrant l’étendue de ses actions, on écarquille les yeux, une goutte de sueur nous perle sur la tempe, on ressort hagards hagards. Alors s’installe une découverte, celle d’une exposition-débat avec Afrika Bambataa, puis d’une conférence sur le hip-hop et le jazz qui scelleront pour un moment nos amours. Des interviews rythmées de l’orga, des réflexions passionnantes sur le sampling de Charlemagne (oui, oui) à J-Dilla et des hallucinations méritées devant les centaines de danseur.ses du géant Battle de danse annuel auront enfin raison de nos cœurs tout mous.
C’est ainsi qu’année après année, on est venu toquer à leur porte, filmer des sessions, celles d’Alltta, d’Homeboy Sandman & Edan ou de Sopico dans des endroits du patrimoine ou méconnus de Nantes, des extraits de lives de Roméo Elvis, de Gracy Hopkins ou Ill Camille à Stereolux. L’équipe de Pick Up produit un boulot, since 1999, qu’il n’est pas qu’à nous, subjectifs journalopes, de commenter. Mais difficile de s’en empêcher.
Car depuis son initiation en 2005, le festival Hip Opsession reste l’un des principaux rendez-vous hip hop de France, tout cela en ne bookant que très peu de têtes d’affiche, du moins gros vendeurs. En tout cas, pas au moment où ils sont programmés, conséquence d’un positionnement clair sur l’émergence et d’une nécessité, celle d’exister. A l’image du hip hop, culture devenue cultures, style devenu styles, pratique devenue pratiques, il se développe telle une hydre. Cent fois on a tenté de couper la tête au rap, mille fois il s’est réinventé. Une culture ne se tue pas, n’en déplaise aux vendeurs d’armes, elle s’oublie parfois, pour réapparaître un jour sous une autre forme. Ce qui lie les gens ne se délie pas facilement. C’est pourquoi malgré le mépris politique, la répression policière et les humiliations médiatiques, il s’est adapté. Raté. Après le jazz, raté. Après le rock, raté. Le jazz, la soul, le metal, le punk, le hip hop, raté. Et même si les mouvements vieillissent, s’encroûtent parfois, ils donnent naissance. Dans la certes courte histoire (quoique longue à l’ère de la story Snapchat) d’Hip Opsession, on a déjà donné des naissances.
« ‘Le rap c’était mieux avant’ c’est la pire phrase produite par ce mouvement »
Pour nous, Pierrick Vially (en charge de la coordination et de la programmation de l’activité hip hop de Pick Up Production, notamment Hip Opsession) se rappelle notamment d’une époque où eux et C2C (à l’époque Coup de Cross) initiaient le TKO pour Turntable Knock Out, ou comment mettre KO ses adversaires lors d’une compétition de turntablism (et créer de la musique avec des vinyles). Il se régale également de voir tous ces jeunes qui se lancent dans la danse, inspirés par les légendaires Battles Opsession retransmis en direct sur internet et faisant, chaque année, une audience délirante, dans le monde entier.
Pierrick évoque également le renouvellement du festival avec le fameux Reboot de 2019, initiateur d’une édition annuelle automnale uniquement dédiée au rap, et ainsi laisser la traditionnelle session de printemps à la danse. Pour cette première bouture, de 3000 à 4000 festivaliers sont attendus sur le site de Transfert, friche artistique et culturelle fantastique située aux portes de Nantes. Avec scénographie adaptée pour l’occasion, s’il vous plaît.
Plus d’infos sur le site et l’event Facebook du festival. L’interview, juste en-dessous.
INTERVIEW :
PIERRICK VIALLY
Le reboot d’octobre de votre festival se concentre uniquement sur la musique. Pouvez-vous nous parler de ce choix de séparer les disciplines ?
Ce choix répondu à plusieurs envies et constats. L’envie de nous renouveler après 15 ans de festival et proposer quelque chose de différent, occuper le paysage culturel plusieurs fois dans l’année, mieux traiter chaque discipline du mouvement avec des temps dédiés, satisfaire les communautés rap & danse avec des périodes plus concentrées, plus intenses. Pour cela, il y a Reboot cet automne mais il y aura surtout Hip Opsession dédié à la danse en février 2020, et Hip Opsession dédié à la musique hip hop à l’automne 2020. Le hip hop vit davantage aujourd’hui autours de groupes qui se passionnent pour une pratique artistique, la dimension de « mouvement global » est beaucoup moins présente et n’est pas ou peu revendiquée chez les nouvelles générations. Nous devons prendre en compte ce constat, tout en gardant une ligne de conduite sur la saison qui ne nous éloigne pas trop de la dimension culturelle et globale du hip hop, notre ADN.
Hip Opsession a pris le pari du festival grand public en mêlant têtes d’affiches, pas si nombreuses, et artistes émergents. Est-ce compliqué de remplir un tel festival avec ces contraintes ?
Ici, il n’y a pas les plus gros vendeurs d’albums, les artistes les + streamés, ceux que l’on voit dans les 5/10 plus gros festivals d’été. D’une part ils sont inaccessibles pour nous, d’autre part ça ne nous intéresse pas. On a toujours cultivé l’envie d’être différents, défricheurs, de rassembler une communauté de curieux plutôt que des consommateurs passifs. Nous sommes une association investie, pas un investisseur du spectacle. Ce n’est peut-être pas très clair, mais pour moi la nuance est très importante. Même si nous avons un passif en notre faveur, rien n’est jamais acquis. Si on ajoute la forte hausse des coûts du secteur et la multiplication des programmations hip hop opportunistes (phénomène de mode oblige), oui c’est compliqué.
« Quand on voit des rappeurs en télé, c’est Vald avec Ardisson ou Nekfeu avec Moix, c’est un lynchage organisé. »
En 2015, vous répondiez à nos questions, notamment votre regard sur l’état du hip-hop en France. Comment se porte, artistiquement, t-il de nos jours, selon vous ?
Dur d’apporter une réponse correcte, car le hip hop par essence ne se définit pas vraiment et concerne de nombreux activistes, artistes, disciplines… qui ont tous leurs problématiques. S’il faut se risquer à répondre, je dirais que plus de gens pratiquent, moins de gens parlent de sous-culture, davantage d’artistes en vivent et personne n’empêche ceux qui veulent rester underground de l’être encore. Donc ça va, mais les clichés ont la peau dure. S’il faut parler musique, personnellement plus il y a de manières de l’exprimer, plus ça me plait. « Le rap c’était mieux avant » c’est la pire phrase produite par ce mouvement.
Qu’en est-il du paysage des événements hip-hop en France ?
Plusieurs de nos homologues ont mis la clé sous la porte ces dernières années, pour des raisons différentes. Je parle des associations de passionnés. La grande industrie a pris le pas sur nous. Je compare souvent avec les commerces de proximité qui ont disparu au profit des hypermarchés. Moins de savoir faire, plus de volume, on n’y échappe pas non plus.
Il y a beaucoup plus de concerts qu’avant, mais moins d’événements dédiés du type festivals. Mais je vois beaucoup de jeunes de la nouvelle génération qui ont la dalle et développent leurs concepts, leurs soirées… il ne faut donc pas tomber dans le fatalisme.
Avez-vous l’impression que le regard des médias mainstream a changé sur le hip-hop depuis quelques années ?
Quand on parle de Booba ou Kaaris sur TF1, c’est pour la bagarre d’Orly, jamais pour leur musique. Quand on voit des rappeurs en télé, c’est Vald avec Ardisson ou Nekfeu avec Moix, c’est un lynchage organisé. Ça reste condescendant, ça pue le dédain. On a toujours fait sans les mainstream, il faudra continuer sans eux. Le renouveau de médias et journalistes spécialisés a fait du bien et on peut être visible du public avec des audiences réduites mais ciblées, sans aller se jeter en pâture.
13 Block – Fuck le 17
On entend parfois que le rap s’est dépolitisé, même s’il a gagné en esthétisme et en popularité. Faire un festival de hip hop est-il encore un acte politique ou militant en 2019 ?
Quel autre genre musical de grande écoute est plus politisé que le rap ? Aucun de mon humble avis. Il y a plus de diversité musicale que dans le rap des 90’s, donc le rap dit « conscient » se dilue forcément dans cette grande masse créatrice. Kery James vient de sortir un album au moment où je vous réponds. « Fuck le 17 » de 13 Block a sa dimension politique aussi. Faire un festival hip hop, pour nous, c’est défendre une certaine vision : la réduction des barrières cérébrales, l’expression libre, la culture du défi, la méritocratie… Chacun a son militantisme, il n’y en a pas un meilleur qu’un autre, c’est juste une question de vision des choses.
Quels principaux obstacles avez-vous rencontré depuis la création du festival ?
La structuration financière, la médisance, la jalousie… tout ce qui accompagne une personne ou une structure qui porte une initiative, quelque soit le domaine d’activité. C’est normal. Mais contrairement à d’autres amis organisateurs en France, à Nantes et globalement dans le grand ouest on n’a pas à composer avec la censure des politiques locales, c’est une vraie chance. Ça arrive encore à d’autres en 2019, des concerts sont annulés parce que l’artiste n’est pas « politiquement correct ».
Pouvez-vous nous raconter vos souvenirs les plus forts liés au festival ?
J’ai découvert le festival en 2016, stagiaire pour la 2e édition. Je n’ai pas vu 100% des 15 éditions. Je retiens le Battle de danse entre les Russes de Top9/Allthemost & les Américains de Mind 180, un 4vs4 de feu. Aujourd’hui des danseurs du monde entier m’écrivent en voulant participer à l’événement car ils ont commencé le Breaking grâce à la vidéo de ce battle, c’est incroyable.
Question concerts : Dilated People, Black Milk, Vîrus, Strange U… sont encore dans ma tête. Et puis il y a les afters, là où se passent les moments les plus fous, les cyphers les plus chauds et les anecdotes les mieux gardées.
Cette année, vous donnez notamment une carte blanche à Hocus Pocus. Le public aura notamment l’occasion d’y voir C2C ou Alltta. Pouvez-vous nous raconter la réflexion autour de ce temps fort ?
20Syl a une histoire avec Hip Opsession depuis le début. Il a initié le TKO (feu battle dj) avec Coup de Cross (devenu C2C) pour le festival, il a réalisé un vinyle collector pour les 10 ans du festival et j’en passe. Il a toujours été avec nous. Quand HP annonce une tournée des festivals au printemps dernier, normal de les contacter et de leur dire « Vous venez faire la seule date nantaise chez nous ? A la maison ? On fait un truc spécial ? »
Quels sont, selon vous, les autres performances à noter dans son agenda ?
Les autres performances du week-end Reboot ? Je conseillerais de venir à 17h, pour les premiers lives et de repartir à 2h, après les derniers lives. Si c’est un avis perso à donner, j’aime les 25 groupes programmés mais un faible pour Dope Saint Jude qui a tout éclaté sur scène en février dernier au Pôle Étudiant (pendant Hip Opsession), Makala et sa folie, Nadia Rose et son feu, Children of Zeus et leur caramel, 404Billy pour sa façon de parler de la rue.
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