Artiste inclassable, le compositeur français, plasticien, théoricien de la musique et créateur d’instruments Bernard Szajner, n’a pas fini d’expérimenter. L’artiste (trop méconnu) qui a inventé la fameuse « harpe laser » de Jean-Michel Jarre revient à la création après 20 ans de silence. Retour sur cet étrange oiseau récemment signé sur le label InFiné qui présentera ce 18 septembre un nouveau spectacle, Evolution, au Centre Pompidou, dans le cadre du festival Paris Electronic Week et pour Persystograf à l’occasion du festival Scopitone, une installation avec Jesse Lucas, Erwan Raguenes et Yro.
Bernard Szajner (alias Z) est né à Grenoble le 27 juin 1944. Issu d’une famille juive polonaise exilée, il passe les premiers moments de sa vie caché dans une cave et reçoit le surnom de Wolf. À l’origine passionné de peinture, il s’oriente progressivement vers la musique électronique, et compose 5 albums, mais aussi des singles, et de nombreuses collaborations. Vers la fin des années 1980, se disant écoeuré par l’industrie de la musique, il abandonne la production, et se concentre sur les arts plastiques, numériques, et le théâtre. Mais depuis 2012, il entreprend un grand retour à la production musicale, et s’entoure d’autres artistes pour créer des spectacles complets. D’où ce petit cours d’histoire.
Début de carrière
En 1969, Bernard Szajner fonde la société de light shows Laser Graphics, à laquelle ont notamment fait appel Les Who, Gong, Klaus Schulz ou Pierre Henry. Las de servir de « faire valoir » aux musiciens qu’il décorait de lumières, il décide de passer de l’autre côté de la rampe. Mais Bernard n’est pas vraiment musicien et ne comprend vraiment que les instruments de sa propre invention. Il se lance alors dans la création d’instruments, et parmi eux, la fameuse « harpe laser », parfois attribuée, à tort, à Jean-Michel Jarre. Cette harpe qui permet de créer de la musique à partir de lumière, décrit parfaitement la façon dont il considère la création musicale. A l’époque, il déclare que « la vision est totalement liée au son. Il faut une synergie son/image. Ces deux forces, si elles vont dans le même sens, créent une troisième force bien plus puissante que les deux autres ».
En 1981, lors du sixième festival de la science fiction et de l’imagination, Bernard Szajner inaugure sa harpe laser. Pour l’occasion, le quotidien Herald Tribune rédige un article sur « le premier homme combinant électronique et émotion humaine ». L’artiste critiquera d’ailleurs Jean-Michel Jarre de faire de la « musique pour orgue », c’est à dire de jouer de son synthétiseur sans en exploiter toutes les capacités. Grâce à ses créations, il raconte des histoires, éveille des sentiments. Il veut aller plus loin que faire de la musique pour plaire, et va même jusqu’à dire qu’une musique peut être moche et appréciable, pourvu que l’on s’intéresse à cette sorte de mocheté.
« Je ne suis pas un musicien, je suis un metteur en scène de sons et d’images », dit-il. Il va d’ailleurs progressivement se retirer du circuit de la production musicale après la sortie en 1983 de son cinquième album « Brute Reason » chez Island Records. La compagnie cherchait à vendre sa harpe comme un gimmick, et il perdait de l’argent à de concerts trop ambitieux. Dès lors, il bouda les majors. Il sortira un dernier EP : « Incident Délit », en collaboration avec Serge Gainsbourg, puis, silence radio. Quelques rééditions de ses albums et des versions CD, mais aucune composition de sa part. Néanmoins, ces rééditions ainsi que le classement de « Some Deaths Take Forever » comme album préféré de tous les temps par Carl Craig (source) montrent que sa musique n’a jamais vraiment été oubliée.
À partir de ce moment, on n’entend plus parler de Bernard Szajner que pour ses travaux d’artiste plasticien et numérique. Quelques exemples de ses créations ici.
Son grand retour dans la création musicale
En 2012 il entreprend un retour aux sources. Avec l’artiste Yro (live cinema-performances), il met au point le spectacle « The Conference of the Birds ». Présenté pour la première fois lors du festival Visionsonic (chez nous, à Mains d’Oeuvres), ce show consiste en un mélange de « fresques d’images géométriques et monochromes » et d’une « musique électronique aux accents sombres et aériens », le tout entrecoupé par la narration de contes dans lesquels il est question d’invasion d’oiseaux, de ciel et de conférences, tel que le décrit Ouest France après leur passage au festival Art Rock de 2013.
The Conference of the Birds au festival Visionsonic, le 16 novembre 2012
Dans le même temps, le label InFiné (Rone, Danton Eeprom, Aufgang, Spitzer, Clara Moto…) souhaite le faire redécouvrir au public, et l’invite à présenter lors du Workshop InFiné 2013 sa nouvelle performance live : Evolution. Ils ajoutent à cela la sortie en juillet 2014, d’une version remastérisée de « Visions of Dune » (album sorti initialement en 1979).
Evolution est le fruit d’une collaboration avec Almeeva (la dernière signature d’InFiné) et la plasticienne Laurence Lenoir, et sera présenté au Centre Pompidou, ce jeudi 18 septembre 2014, dans le cadre de la Paris Electronic Week de l’association Technopol (qui organise aussi la Technoparade). Spectacle riche en émotions, il restera le meilleur moyen de découvrir l’ampleur du travail de Bernard Szajner. Considéré autrefois comme fer de lance de la musique électronique, on le cite aujourd’hui comme un maître.
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